Bio 11 octobre 2024

Le bio frappe un mur sans se laisser abattre

Les ventes de produits biologiques québécois subissent une décote dans plusieurs secteurs, entraînant les revenus de certains fermes vers des niveaux critiques. Si des producteurs ne baissent pas les bras, se disant qu’il s’agit d’une situation temporaire, d’autres se demandent si le bio sera réellement en mesure d’aller chercher de plus grandes parts de marché, à moins d’obtenir de l’aide supplémentaire.


Le nombre de fermes certifiées biologiques était en augmentation depuis des années, mais récemment, une lumière jaune s’est allumée en raison d’une diminution des ventes dans certains secteurs. Tant en production végétale qu’en production animale, le nombre de fermes certifiées est maintenant en régression.


Photo : Martin Ménard/Archives TCN

Chez les maraîchers

Plusieurs petites fermes maraîchères bio quittent la production depuis deux ans. « On a une vague de relève qui frappe un mur. C’est dramatique! » s’exclame le maraîcher Robin Fortin, un vétéran des fermes de proximité bio. 

Jacob Morin, copropriétaire de la ferme Le Paysan Gourmand, fait également état d’une situation devenue difficile. « On est comme trop de maraîchers pour le nombre de clients. On ne vend pas un assez grand volume de légumes pour aller se chercher un salaire suffisant pour faire vivre une famille », dit l’agriculteur de Saint-Félix-de-Kingsey, dans le Centre-du-Québec.  

L’engouement moindre des consommateurs pour les paniers bio survient après que plusieurs producteurs maraîchers, motivés par les subventions et la demande folle pendant la pandémie, ont agrandi leurs infrastructures pour produire davantage.


Photo : Martin Ménard/Archives TCN

En grandes cultures aussi

« La demande a baissé et les prix sont moins intéressants. Il y a du soya bio de la récolte 2022 dont les acheteurs n’ont pas encore pris livraison. Même chose pour le chanvre et le sarrasin vendu à bon prix. Tu arrives à la récolte 2024 et il y a encore du stock dans le silo. Ce n’est pas le fun », rapporte Pierre Labonté, président du Syndicat des producteurs de grains biologiques du Québec. 

L’agriculteur et acheteur de grain bio David Proulx, de Nicolet, ne trouve pas preneurs pour le soya bio d’alimentation humaine.

Les transformateurs l’ont payé trop cher dans le passé et ils ne l’écoulent pas, car leurs propres produits sont devenus trop chers en épicerie. Je peux te dire que ces temps-ci, ils négocient serré et nous passent dessus avec le rouleau compresseur!

David Proulx

La demande aussi n’est plus ce qu’elle était, notamment dans le maïs-grain bio. « Un producteur est venu me voir dernièrement. Il voulait tout vendre à la récolte. J’ai fait des appels et le seul contrat que je pouvais avoir, c’est
380 $/t livré en… juin 2025. Mon client m’a dit que c’était trop loin et pas assez cher. Mais c’est ça », dit le directeur général de RDR Grains et Semences.

Pierre Labonté ajoute que la concurrence avec les pays étrangers, qui sortent du grain bio à faible prix, comme le sarrasin, déçoit aussi. Il ne s’en fait pas pour autant. « Des crises, on en a déjà vu », dit M. Labonté, qui se souvient des faibles prix du grain bio au tournant des années 2000. Maintenant, par contre, la majorité des fermes de grandes cultures ont amélioré leurs performances culturales sous régie biologique, ce qui a pour effet de limiter la tentation de retourner au conventionnel dans une période de moindre prix. 


Photo : Martin Ménard/Archives TCN

Le sirop bio reste davantage dans l’entrepôt

S’il fut un temps où il manquait pratiquement de sirop bio dans la réserve stratégique, c’est maintenant l’inverse : la grande majorité du sirop qu’il reste en réserve est du bio. « Nous observons effectivement une baisse de la demande pour les produits d’érable biologique depuis environ deux ans […] et une demande plus importante pour le sirop régulier », indique Joël Vaudeville, directeur des communications chez les Producteurs et productrices acéricoles du Québec. 

Selon Serge Dubois, d’Appalaches Nature, la différence n’est pas assez évidente pour le consommateur entre les sirops produits sous régie biologique ou conventionnelle. La prime offerte aux producteurs de sirop bio lui paraît donc trop élevée et ne convient pas aux consommateurs. 

Mais le sirop bio est encore recherché sur l’échiquier mondial, souligne Joël Vaudeville, qui n’anticipe pas de changement de prime.


Photo : Martin Ménard/Archives TCN

Le lait bio stagne

Après avoir continuellement haussé leur production jusqu’en 2022-2023, les producteurs de lait bio font maintenant face au mur de la demande. « Les ventes de lait bio restent relativement stables. L’affaire, c’est qu’on n’est plus capables d’aller chercher de nouveaux consommateurs. C’est un ralentissement qu’on a vu avant l’inflation, mais l’inflation n’a pas aidé. Je pense à de jeunes familles qui voudraient acheter du lait bio, mais le budget ne suit plus », analyse Michèle Lalancette, présidente du Syndicat des producteurs de lait biologique du Québec. 

Ce qui l’agace, c’est que le prix élevé du lait bio sur les tablettes est souvent causé par une trop grosse marge des épiciers, qui catégorisent le lait bio comme un produit de luxe. Elle demande aux épiciers d’être moins gourmands et au gouvernement du Québec, de montrer l’exemple en incluant un budget pour l’achat d’aliments bio destinés au secteur institutionnel. Elle veut que le lait bio cesse d’être vu comme un produit de luxe, car un produit meilleur pour l’environnement et meilleur pour la santé des animaux et des humains, ce n’est pas un luxe, martèle la copropriétaire de la Ferme Lalan7.