Alimentation 13 mai 2024

Venus de partout pour nourrir le Québec

Il y a les TET (travailleurs étrangers temporaires) et il y a aussi les « PEP » (producteurs étrangers permanents). Selon Statistique Canada, moins de 4 % des 42 300 agriculteurs québécois sont nés à l’extérieur du pays. En complément d’un récent dossier de La Terre de chez nous sur des producteurs afrodescendants, voici le portrait de quatre autres producteurs, à la vision et au parcours unique, qui sont partis d’Équateur, de Chine, de Bolivie et de France pour désormais nourrir les habitants de leur terre d’accueil.


Maraîchage père-fille

Juan Morales, qui a fait des études en agronomie en Équateur, a connu sa conjointe québécoise dans ce même pays, alors qu’ils œuvraient dans un programme de soutien aux populations autochtones. Les amoureux sont ensuite venus s’établir au Québec… avec un bébé dans les bras. 

À son arrivée, Juan rêvait de se lancer en agriculture. Il lui aura fallu 20 ans avant d’y arriver. « Il faut apprendre la langue, gagner sa vie… », énumère celui qui a d’abord travaillé comme employé en aménagement paysager.

C’est à la faveur de la pandémie qu’il a décidé de se lancer en agriculture avec sa fille Eugénie. La famille s’est installée à Sainte-Louise, sur les trois hectares de terres des beaux-parents. « On voulait leur rendre hommage, alors on a nommé notre ferme Herencia, qui signifie héritage », dit Juan Morales. Ils cultivent des légumes connus des Québécois, mais aussi beaucoup d’aliments populaires en Amérique latine, comme des légumineuses, dont ils proposent huit variétés. « On veut favoriser les protéines végétales dont la production a moins d’impact sur l’environnement », explique-t-il, soulignant que certaines des légumineuses sont québécoises, d’origine autochtone.

Jardins Herencia propose également des piments et des tomatillos, qui servent notamment à confectionner la salsa verde. Ils sont d’ailleurs notamment vendus dans un ensemble prêt à cuisiner. « On aimerait proposer plus de recettes latino-américaines, dit Eugénie, chargée de l’administration et des communications. Les gens de la région sont très curieux [des aliments latino-américains] et posent beaucoup de questions! »

Juan et Eugénie Morales Photo : Gracieuseté des Jardins Herencia

Le retour à la terre du « maudit Français »

Titulaire d’une maîtrise en gestion de l’eau, Clément Clerc en a eu assez de la vie de bureau. « En France, j’ai grandi dans une ferme, dit le néo-Québécois. Mes parents élevaient des moutons et des volailles biologiques. Ils avaient une table fermière et vendaient tout à proximité. » C’est un modèle similaire qu’il a choisi pour sa ferme, La Borderie, spécialisée dans les volailles de plein air (poulets et pintades) et la production de petits fruits émergents (amélanches, sureau, pimbina et cassis) dans le Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent.

Ils arrivent à maturité à différentes périodes. C’est important, car je dois pouvoir opérer la ferme à une personne et demie!

Clément Clerc

Pour ce qui est de se verser un salaire, il faudra attendre encore un peu. « Comme beaucoup d’agriculteurs, c’est parce que ma femme occupe un autre emploi qu’on y arrive, dit-il. Tout est réinvesti. On n’a pas beaucoup d’argent, mais on est riches d’autre chose. »

Comme ses parents, il vend en circuit court, dans les marchés publics et à la ferme. Bien qu’il soit ici depuis 20 ans, Clément ne se sent pas toujours accepté. « L’image du maudit Français est encore présente, reconnaît-il en riant. Pour certains, je serai toujours un immigrant. Je sens que je dois en faire un peu plus pour être crédible. »

Clément Clerc., Gracieuseté de La Borderie

Parti de la Chine, il fait pousser des camerises dans Lanaudière

Vivre en harmonie avec la nature, voilà ce qui a poussé Yun Dong Li à quitter la Chine et sa ville de Zhengzhou de 10 millions d’habitants pour venir s’installer au Québec au début de la cinquantaine. Dès son arrivée, il y a 10 ans, l’ingénieur en matériaux souhaitait changer de profession. « J’ai réalisé que ce n’est pas un métier durable », raconte-t-il.

Après avoir considéré la production de fleurs ornementales, il s’est tourné vers la culture de camerises. « J’ai pensé que, tant qu’à faire pousser des fleurs, je serais mieux d’en avoir qui donnerait des fruits », explique-t-il, dans le français hésitant qu’il a mis 16 mois à apprendre par des cours de francisation. La camerise, qu’il a découverte lors de sa formation en agriculture, était alors en émergence.

C’était plus facile parce qu’il n’y a pas autant de concurrence que dans la framboise, par exemple.

Yun Dong Li

Avec sa conjointe et sa fille, il a décidé de s’installer à Saint-Gabriel-de-Brandon, dans Lanaudière. « Les terres sont moins chères que dans les régions plus au sud et c’est proche de Montréal. » Il a planté ses premiers arbustes en 2018. Il ajoutera 500 plants cette année pour un total de 2 500 arbustes. 

Le Jardin de Camerise propose ses produits en autocueillette en plus de les vendre dans un kiosque libre-service. « Ce système marche très bien », précise-t-il, tout étonné et heureux d’habiter un endroit où règne une telle confiance.

Yun Dong Li et sa conjointe Hui Jiang Photo : Gracieuseté du Jardin de Camerise

De la Bolivie à L’Île-Bizard

La Bolivienne Sylvia Meriles, qui a fait des études en agronomie, est arrivée au Québec à l’âge de 29 ans. Elle a commencé par faire une maîtrise en gestion de l’eau avant de frapper un mur. « Quand je cherchais un emploi, j’ai été discriminée parce que j’étais enceinte et que j’avais déjà une fille », raconte celle qui a décidé que le contrôle de sa destinée passerait par l’entrepreneuriat. Soutenue par des programmes d’aide au démarrage et destinés aux femmes entrepreneures, elle est parvenue à monter un plan d’affaires. 

C’est grâce à un incubateur agricole qu’elle a pu se lancer sur une terre en location, qu’elle occupe toujours d’ailleurs, dans l’arrondissement montréalais de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève. « Au départ, je voulais faire pousser plein de légumes latinos. Ça marchait, mais le marché n’était pas assez grand. Alors, j’ai appris à connaître les légumes d’ici et à les faire pousser. » La propriétaire des Jardins épicés cultive toutefois encore certains aliments latinos, comme des fines herbes, des tomatillos, des piments et des caiguas, un croisement entre un poivron et un concombre. 

En affaires depuis 10 ans, elle vend ses produits via les paniers bio. L’année 2024 s’annonce toutefois difficile. « Comme la plupart des producteurs du circuit des fermiers de famille, j’ai connu une grosse baisse par rapport à l’an dernier », rapporte-t-elle. L’agricultrice se réjouit néanmoins que sa participation à une nouvelle épicerie coopérative, sur la rue Masson à Montréal, lui permettra d’écouler une partie de sa production.

Sylvia Meriles. Photo : Gracieuseté des Jardins épicés