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GRANBY — Encore illégaux il n’y a pas si longtemps en Europe, les spiritueux à base d’absinthe réapparaissent sur le marché. Un producteur de la Montérégie cultive même 800 plants d’absinthe afin de produire ses propres boissons alcoolisées.
« C’est la plus grosse plantation d’absinthe au Canada », clame fièrement Jean-Philippe Doyon, copropriétaire de l’Absintherie des Cantons, à Granby, en Montérégie. « Je me suis passionné pour l’histoire de cet alcool disparu, autrefois consommé par les poètes et de grands peintres. J’ai fait plusieurs essais et plusieurs erreurs avec différentes plantes provenant d’un herboriste du Québec. Puis, je suis arrivé à obtenir le bon équilibre entre douceur et amertume », précise celui qui a fondé sa propre distillerie avec des associés, dont ses parents.
Une réputation injustifiée
L’absinthe est une plante vivace qui pousse très bien au Québec. On en retrouve même à l’état sauvage. Bien qu’elle ait mauvaise réputation, elle n’est pas toxique et, contrairement à ce que certains clamaient il y a 100 ans, ce n’est pas une drogue. Jean-Philippe Doyon en a même mangé un bouquet fraîchement cueilli lors de l’entrevue, sans sembler incommodé… à part par le goût très amer!
C’est une molécule contenue dans les plants d’absinthe, appelée la thuyone, qui a permis à ses détracteurs de démoniser l’absinthe en la présentant comme un produit causant des hallucinations, des vertiges et de la violence excessive. De grandes concentrations de thuyone créent bel et bien un effet stimulant et étourdissant, mais elles ne sont pas responsables de tous les maux qui lui ont été associés. La haute teneur en alcool de l’absinthe, qui varie de 50 à 74 % par volume, se révèle la vraie coupable des problèmes d’alcoolisme et de désordre public de l’époque. Quoi qu’il en soit, depuis qu’elle est redevenue légale en Europe, l’absinthe est soumise à une réglementation qui limite la concentration de thuyone à 35 mg par litre d’absinthe.
« Une poule et deux lapins »
Jean-Philippe Doyon a été parfaire son savoir en Europe. Il a visité des absintheries situées en Suisse qui ont continué à produire clandestinement de l’absinthe lors de la prohibition. « Les Suisses n’ont jamais arrêté. Le savoir s’est transféré de génération en génération. Une dame m’a raconté qu’elle fonctionnait par code pour vendre son absinthe. Ceux qui venaient à la ferme pour acheter une poule et deux lapins repartaient avec une bouteille », dit celui qui a appris à produire son alcool lui-même, de la plante à la bouteille.
Un autre microdistilleur du Québec produit de l’absinthe, plus spécifiquement à Saint-Arsène, près de Rivière-du-Loup. Jonathan Roy cultive actuellement 400 plants servant à produire 2 500 bouteilles de La Courailleuse, une absinthe verte à 72 % d’alcool par volume.
Des absinthes à 100 $ le litre
L’absinthe pique l’intérêt des consommateurs et les ventes gagnent tranquillement du terrain pour deux producteurs québécois, l’Absintherie des Cantons et la Distillerie Fils du Roy. Ces deux microdistilleurs assurent que la mise en marché n’est cependant pas gagnée d’avance : les vieux préjugés, le prix de près de 100 $ le litre et la haute teneur en alcool servant à préserver la qualité et la couleur verte de l’absinthe, en font encore un produit marginal. Il est à noter que l’absinthe blanche en provenance de Suisse et l’absinthe verte de France ne se consomment pas pures. La tradition veut qu’on verse 30 ml d’absinthe dans un verre et qu’on ajoute 2 à 4 volumes d’eau et un peu de sucre.
Interdite pendant presque 100 ans L’absinthe était plus populaire que le vin en France au début des années 1900. Les gens en abusaient, ce qui ne plaisait pas au clergé et aux vignerons, notamment. Une mobilisation contre « l’absinthe qui rend fou » a mené à l’interdiction en 1915 de cette boisson alcoolisée en France. La prohibition a également été décrétée ailleurs en Europe de même qu’aux États-Unis. Des études récentes ont pourtant montré qu’il faudrait ingérer plusieurs litres d’absinthe pour que l’une des molécules, la thuyone, crée des convulsions et soit toxique pour le corps. La distillation de l’absinthe a été à nouveau autorisée en Suisse et en Belgique en 2005. Il a fallu attendre jusqu’en 2011 en France avant que la dénomination « absinthe » soit réautorisée par l’État. |