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Dans une mer de commerces appartenant à des chaînes, il n’est pas toujours évident d’avoir une offre locale sur les tablettes. « Ce n’est pas l’ADN des grandes chaînes. Si elles pouvaient avoir un ou deux fournisseurs avec le même produit, à l’année, et le même prix, ça ferait leur affaire, explique Jacques Nantel, spécialiste du marketing et professeur émérite à HEC Montréal, qui conseille plusieurs agriculteurs. Les ententes avec leurs différents propriétaires peuvent varier, mais les trois principales bannières ont des politiques similaires : un épicier doit acheter environ 90 % en achats groupés, le reste étant à sa discrétion. »
Si une partie des achats groupés inclut des produits québécois, offrir des produits régionaux grâce à des ententes directes avec les agriculteurs, souvent plus petits, est une autre paire de manches. « Ça prend quelqu’un de vraiment motivé! » dit Jacques Nantel. Certains propriétaires d’épiceries rattachées à des bannières y parviennent toutefois très bien. C’est aussi le cas de certaines épiceries indépendantes.
Comment arrivent-elles à prospérer? « Notre modèle est basé sur le volume. Il faut un roulement sur les tablettes, explique Mario Vanier, dont l’épicerie, baptisée Ferme Régis, dans Lanaudière, a 45 000 pieds carrés de surface. C’est plus difficile pour les petites surfaces. » Pour atteindre un tel volume de ventes, Ferme Régis mise également sur les prix. « Nos employés font l’épicerie chez nous, raconte Nathalie Gagné, sa conjointe, qui travaille à ses côtés. Je leur demande souvent : “Qu’est-ce que la mère de famille pense de ce prix-là?” »
Autre élément-clé : pouvoir offrir une variété de produits. « J’ai la chance d’avoir beaucoup de producteurs autour, dit Denis Nolet, propriétaire de la franchise Provigo Ville-Marie, en Abitibi-Témiscamingue. Des épiciers me disent qu’ils aimeraient ça, offrir plus de produits régionaux, mais ils n’en ont juste pas. »
Même son de cloche de Marie Lacasse, conseillère au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité. Spécialiste des marchés de proximité offrant une alimentation à 100 % locale, elle croit aussi que la réussite passe par la variété, notamment en créant des ententes interrégionales. Elle souligne également l’importance d’avoir des produits à l’année. « Il faut créer une habitude, une récurrence chez les clients pour avoir du volume de ventes. En hiver, on peut même offrir du frais : des pousses, des légumes d’hiver ou des produits congelés. Mais pour ça, il faut travailler avec les agriculteurs. » Jacques Nantel estime également que les produits congelés ou en conserve sont intéressants pour fidéliser la clientèle à l’année.
Pierre-Alexandre Blouin, président-directeur général de l’Association des détaillants en alimentation du Québec, rappelle un facteur fondamental pour la prospérité d’une épicerie misant sur les produits locaux : « Il faut combler un trou dans le marché. » C’est exactement ce qu’ont fait les Fermes Rudbeckie, qui voulaient combler la carence en produits régionaux dans les commerces dans la MRC des Appalaches en lançant leur petite épicerie, où se côtoient les denrées des agriculteurs locaux.
Pas pour tout le monde
Cela dit, si l’achat de produits du voisin charme encore bien des consommateurs, la vente directe n’est pas pour tous les producteurs, tient à nuancer Marc Jacob, propriétaire de l’épicerie Metro de Saint-Tite, en Mauricie. « Certains agriculteurs vont préférer vendre dans des kiosques ou à des grossistes et c’est ben correct », souligne-t-il.
Les parts de marché maintenues pour l’instant
Selon le rapport Survol de l’industrie alimentaire québécoise, de NielsenIQ, les parts de marchés des produits québécois dans les grandes chaînes sont passées de 28,9 à 28,2 % entre 2021 et 2023. Une éventuelle récession pourrait toutefois changer la donne. Le professeur Jacques Nantel estime qu’être en mesure d’offrir des rabais pourra aider à maintenir des parts de marché pour les produits du Québec.
Les épiceries communautaires et de proximité, toujours vivantes
Si la mission d’offrir exclusivement des aliments d’agriculteurs locaux et souvent issus de production biologique est bien noble, le défi pour les coopératives ou les organismes sans but lucratif qui la soutiennent reste considérable. Tenues à bout de bras par des bénévoles, faute de revenus suffisants, certaines s’essoufflent et ferment boutique.
Marie Lacasse, conseillère au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, rapporte qu’il en reste encore une quarantaine. « Quelques-unes apparaissent chaque année depuis 10 ans, certaines ferment, mais plusieurs ont plus de 10 ans », mentionne-t-elle.
Le marché de solidarité régionale de Victoriaville, dans le Centre-du-Québec, roule sa bosse depuis 14 ans. Il a malgré tout décidé de se pencher sur l’enjeu de la précarité. « On veut rendre notre modèle plus pérenne, en devenant un incontournable », relate Véronique Allard, présidente du conseil d’administration. Comme les autres marchés de solidarité régionale, il fonctionne à la base sur les ventes Web. Chaque producteur a son compte sur le site, reçoit les commandes des clients et livre les quantités requises chaque semaine à la boutique, pour l’assemblage des paniers. « Mais encore beaucoup de gens veulent toucher la marchandise, dit Véronique Allard. On pense donc à bonifier notre offre en boutique et élargir les heures. Il faut faciliter la vie des clients. »
Quant à l’avenir de ces marchés, Marie Lacasse s’inquiète de l’incidence d’une possible récession, mais elle se réjouit de la nouvelle politique du gouvernement québécois visant l’approvisionnement local des institutions.