Agricultrices 16 décembre 2024

1 000 heures par année et près de 38 000 $ en travail invisible

Karine Leduc estime que de prendre conscience de la quantité d’heures travaillées de manière invisible permet aussi d’expliquer la fatigue ressentie par les agricultrices. Photo : Gracieuseté de Karine Leduc

Karine Leduc n’a pas caché sa surprise lorsque le nouvel outil de calcul lancé le 11 décembre par les Agricultrices du Québec a évalué que le travail invisible qu’elle effectue à la ferme équivaut à 1 000 heures par année et à un montant de 37 900 $.

L’outil financé par le Secrétariat à la condition féminine permet de remplir un formulaire d’une vingtaine de questions. Les réponses compilées permettent de quantifier le travail invisible effectué à la ferme par chacun des répondants. 

« Oui, surprise du résultat parce qu’on ne pense pas à la charge qu’on a autre qu’à la ferme. Nous, on a une ferme laitière, une érablière et du déneigement l’hiver, alors c’est quand même beaucoup », dit Karine Leduc, de Saint-Adelphe, en Mauricie. « Mais c’est moi qui ai toujours tout fait, les commissions, les rencontres de parents, aller porter les enfants au sport, etc. En répondant aux questions, tu te dis : « OK, ouin, ça aussi. » On comprend que les femmes on a beaucoup de charges et les hommes, […] ils en ont beaucoup aussi, mais ils ne pensent pas qu’on en a autant. »

Éveiller les consciences et sensibiliser les hommes et les femmes à la quantité de travail invisible réalisée dans le quotidien, c’est précisément ce que l’exercice vise à accomplir, souligne la présidente des Agricultrices du Québec, Valérie Fortier. Les données amassées serviront d’appui à d’éventuelles revendications auprès des différentes instances gouvernementales. 

Marie Eve Bilodeau

L’exemple des fêtes d’enfant

Bien qu’elle reconnaisse l’importance de l’enjeu, Marie Eve Bilodeau, de la Ferme Teasdale et Fils, estime que les résultats sont à considérer avec précaution. « Il y a des questions du genre : « C’est la fête de ton enfant, qui s’en occupe? » Ce sont des questions at large aussi, n’importe [lequel des deux parents] peut s’occuper de la fête de son enfant. Que tu sois agricole ou non, tu vas avoir cette responsabilité-là, dit-elle. De dire que c’est mon travail invisible, ben non, c’est ma responsabilité en tant que parent. » 

Pour cette raison, cette conjointe d’agriculteur de Saint-Mathieu-de-Belœil, en Montérégie, qui n’a pas de parts dans l’entreprise, n’a pas souhaité dévoiler les résultats obtenus.

Après 22 ans, je ne suis toujours pas rémunérée à la ferme, mais je me suis parti des projets [de production maraîchère], et si mon conjoint n’avait pas été là pour me backer, pour supporter un certain montant financier, je n’aurais pas été capable de me le partir. Pour moi, ça, c’est un salaire.

Marie Eve Bilodeau, Ferme Teasdale et Fils

Valérie Fortier reconnaît que les données amassées sur le temps consacré à l’organisation d’une fête d’enfant ne serviront pas à faire des revendications auprès des instances gouvernementales. « Mais ça nous donne des données sur tout ce qui peut se passer dans une famille en général », ajoute l’agricultrice du Centre-du-Québec. Elle invite d’ailleurs les hommes à remplir le formulaire, afin de pouvoir établir un portrait représentatif des familles agricoles et identifier les différences entre les genres. « On essaie un peu de savoir ce qui se passe dans la tête des femmes et dans la tête des hommes, qui pense à quoi et combien de temps ça prend pour planifier telle chose. Une fête d’enfant, est-ce que pour un homme en 30 minutes, tout est casé et décidé, et pour la femme ça prend 3 heures? » donne-t-elle en exemple.

Valérie Fortier
Valérie Fortier

Au moment d’écrire ces lignes, le 11 décembre, le questionnaire de l’outil avait été rempli 160 fois sur le site des Agricultrices du Québec. L’organisation souhaite avoir un minimum de 200 répondantes et 200 répondants afin d’obtenir un échantillon statistiquement représentatif. Par la suite, les données seront analysées à l’interne par l’organisation.