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Si la science s’intéresse de plus en plus à la nutrition animale comme facteur de réduction des GES, les experts sur le terrain préconisent plutôt de considérer les émissions de la ferme dans leur ensemble pour effectuer des gains.
En ajoutant une petite quantité d’algues à l’alimentation de bouvillons pendant cinq mois, en 2021, des chercheurs de l’Université de Californie à Davis sont parvenus à réduire jusqu’à 82 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) du troupeau. Comme ces algues qui empêchent une enzyme du système digestif de contribuer à la production de méthane, les inhibiteurs alimentaires de méthane sont dépeints par la science comme étant la voie du futur pour réduire les émissions de GES issus du processus de digestion (fermentation entérique) des bovins. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui regroupe 278 experts provenant de 65 pays, les a d’ailleurs qualifiés de « prometteurs » dans un rapport publié il y a un an.
Des algues marines, des sels spéciaux et des produits issus des plantes sont des additifs actuellement étudiés par la science, mais l’efficacité de ces produits n’est pas encore prouvée, souligne le responsable du développement technologique laitier de Purina-Cargill Nutrition pour le Canada, Marc-Antoine Guesthier. « On a des projets de recherche avec plusieurs universités américaines qui nous permettent de tester certains des nouveaux additifs. On en trouve qui fonctionnent, sauf que malheureusement, souvent, le microbiome de la vache s’adapte après un certain temps et on retourne à des niveaux de préutilisation [de l’additif]. C’est le cas, par exemple, du NO3. Alors, on essaie de voir quel autre produit on peut créer [pour réduire les émissions de GES des bovins] », indique-t-il.
Le supplément alimentaire Bovaer, contenant la molécule inhibitrice de méthane la plus prometteuse, le 3-NOP (voir l’encadré), a été approuvé par la Commission européenne en 2022. Toutefois, les producteurs canadiens ne sont pas près de pouvoir l’ajouter aux rations de leurs animaux. Le produit a été classé, il y a un an, comme médicament à usage vétérinaire et le processus d’homologation auprès de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pourrait prendre plusieurs années.
Des augmentations de coûts à prévoir
L’un des experts en production laitière chez Lactanet, Jean-Philippe Laroche, souligne que les additifs alimentaires inhibiteurs de méthane qui font actuellement l’objet de recherche auront des effets positifs sur l’environnement, mais occasionneront des dépenses supplémentaires pour les producteurs sans améliorer la performance économique du troupeau. Ce sera le cas du 3-NOP lorsqu’il sera homologué au Canada.
Une autre stratégie alimentaire, qui a un potentiel de réduction des émissions de 9 % autant pour les bovins laitiers que pour ceux de boucherie et qui est applicable dès maintenant, consiste à accroître la quantité de concentrés, c’est-à-dire d’aliments comme des céréales, du tourteau de soya ou des drêches de brasserie ajoutés aux fourrages pour équilibrer les rations. « C’est vrai que quand on augmente la quantité de concentré qu’une vache [ingère], la production de méthane va être réduite. Par contre, c’est une stratégie qui […] augmente le coût d’alimentation », réitère M. Laroche.
Dans certains cas, l’augmentation des concentrés améliorera aussi la productivité des bovins (de 17 % dans la production de lait et de 21 % pour les bovins de boucherie), poursuit-il, mais dans les troupeaux performants, cette stratégie diminuera seulement les émissions de méthane sans aider la situation économique du producteur.
Le méthane influencera bientôt les choix génétiques
Au cours du mois d’avril, Lactanet Canada lancera des évaluations génétiques qui permettront aux éleveurs de Holsteins du pays d’estimer les émissions de méthane de leurs vaches. Cet outil de sélection génétique pourra réduire de 20 à 30 % les émissions de méthane des vaches d’ici 2050 sans avoir d’effets sur la production, fait valoir Lactanet. En raison du lien entre la production de lait et la fermentation entérique, les données de composition du lait peuvent être utilisées pour prédire les émissions de méthane d’une vache. Un projet de recherche international dirigé par l’Université de Guelph a permis de développer un algorithme capable de prédire les émissions de méthane d’une vache grâce aux composantes laitières. Étant donné que Lactanet a amassé des données de composantes laitières depuis de nombreuses années, elle prévoit que la fiabilité de son outil de sélection génétique dépassera 70 %. Le Canada devient ainsi le premier pays au monde à offrir un tel service, indique le chef de la direction de Lactanet Canada, Neil Petreny, par voie de communiqué.
5 exemples d’inhibiteurs alimentaires de méthane
Le 3-NOP : Donnée aux bovins sous forme de supplément alimentaire, cette molécule chimique est l’inhibiteur le plus prometteur. Des méta-analyses scientifiques estiment que la molécule réduit les émissions de méthane des vaches laitières de 20 à 35 %, sans nuire à la production. Son utilisation est sans danger pour les vaches et les consommateurs, et n’a pas d’incidence sur la qualité des produits laitiers.
Lotier corniculé : Cultivé comme une plante fourragère ailleurs dans le monde, le lotier corniculé est constitué de tannins, un composé qui a démontré sa capacité à inhiber la production de méthane chez les bovins sans nuire à la productivité des animaux. On estime qu’elle réduira les émissions de méthane des vaches laitières de 24 %. Cette plante a le potentiel d’être utilisée au Québec, mais son efficacité reste à être prouvée scientifiquement dans notre climat.
Nitrate NO3 : Le nitrate est un composé chimique capable de capter les molécules d’hydrogène dans le rumen et d’empêcher ces dernières de participer à la formation de méthane. On estime qu’il réduira les émissions de méthane des vaches laitières de 13 % et des bovins de boucherie, de 12 %. Le nitrate est considéré comme efficace pour réduire les GES, mais il peut être toxique pour les ruminants lorsqu’utilisé en trop grande quantité.
Huiles ou gras : Ajouter des huiles ou des gras d’origine végétale à la ration réduit efficacement les émissions de méthane, notamment parce qu’ils fournissent un apport d’énergie qui n’a pas besoin d’être fermenté par le rumen des vaches. On estime qu’ils réduiront les émissions de méthane des bovins de boucherie de 22 % et des vaches laitières, de 12%. Par contre, l’ingestion d’une trop grande quantité d’acides gras insaturés pourrait nuire à la santé de l’animal, mais également réduire la composition du lait en gras, ce qui aura une incidence sur la paie du producteur.
Graines oléagineuses : Ajouter des graines oléagineuses à la ration permet de réduire les émissions de méthane de 12 % chez les vaches laitières en raison de leur contenu en acides gras. Toutefois, ces derniers ont un effet négatif sur la productivité des bovins de boucherie et auront les mêmes effets que les huiles et les gras si ingérés en trop grandes quantités.