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Des femmes remarquables se démarquent chaque jour en agriculture. Par leurs forces et leurs compétences, elles font évoluer leurs entreprises tout en resserrant souvent les liens dans leur communauté. Voici les portraits de dix femmes aux parcours admirables et diversifiés. Celles-ci ont été nommées lors d’un récent appel à tous de La Terre de chez nous visant à souligner la Journée internationale des droits des femmes.
Josée Lajeunesse
La sentinelle en santé mentale
Josée Lajeunesse ne reste pas les bras croisés devant la détresse psychologique en milieu agricole. Depuis des années, cette horticultrice de la Montérégie multiplie les efforts pour soutenir des initiatives en santé mentale autour d’elle.
Depuis 2021, Mme Lajeunesse a amassé quelque 15 000 $ par la vente de produits du romarin pour le maintien de deux travailleuses de rang dans sa communauté. Elle a créé également le festival familial de la gourmandise à Saint-Stanislas-de-Kostka pour faire découvrir les délices de sa région, mais également pour sensibiliser les agriculteurs aux enjeux des maladies mentales.
« Sous un grand chapiteau érigé au cœur de notre pépinière, je réunis les services de santé communautaire et les organismes de prévention pour que chacun puisse aller chercher l’aide nécessaire », explique la copropriétaire du Domaine du paysan.
L’isolement et l’anxiété font des ravages chez les travailleurs agricoles, rappelle Josée Lajeunesse, formée en prévention du suicide.
Par ces gestes, cette mère de deux enfants souhaite remercier tous ceux qui l’ont aidée dans des moments sombres. « J’ai eu des enfants difficiles, pour lesquels j’ai reçu beaucoup d’aide. C’est ma façon de remettre tout ce que j’ai reçu », précise-t-elle.
Elena Pavlova
Apicultrice, scientifique et immigrante
Elena Pavlova fait partie des exceptions. Arrivée de Bulgarie en 2004 avec un baccalauréat en biologie en poche, cette femme est parvenue à créer son entreprise agricole sans pouvoir compter sur d’importantes ressources financières.
Mme Pavlova a fondé, en 2016, Les abeilles de la colline avec son conjoint, Vladimir Pavlov. Grâce à ses 74 ruches dispersées dans les forêts des Laurentides, le couple produit du miel, ainsi que de la cire, des bougies, du pollen d’abeille, des nucleus et de la teinture mère de propolis.
« Ce n’était pourtant pas notre intention de se lancer en affaires », s’esclaffe cette scientifique, qui s’est surtout intéressée à la forte symbiose entre les abeilles et la nature après que son mari a complété une formation collégiale en apiculture. « Notre but premier était d’offrir un milieu sain aux abeilles pour assurer leur survie. Le miel n’est que le cadeau qui vient au bout du processus. »
Elena Pavlova est fière d’avoir ouvert une voie aux femmes immigrantes, souvent peu fortunées.
Manon Gosselin
La princesse dans la bouette
Manon Gosselin n’aura jamais la prétention de se considérer comme une cheffe de file. Pourtant, cette productrice laitière de Sainte-Marie, dans Chaudière-Appalaches, fait figure de modèle pour toutes les femmes qui croisent son chemin.
« Je suis une femme dans un monde d’hommes », reconnaît l’énergique Beauceronne qui, à 18 ans, a su convaincre son conjoint de relancer la ferme de ses beaux-parents, délaissée depuis une vingtaine d’années.
La force de travail de cette « vraie Jarret noir » apparaît indéniable. En l’espace de 15 ans, la Ferme M. & M. a triplé sa capacité de production. De nouveaux bâtiments ont été érigés en autoconstruction et, depuis 2017, l’élevage en stabulation libre a été instauré pour le troupeau de vaches Jersey.
Manon Gosselin prend également une part active dans les compagnies acéricoles et forestières de son conjoint. Cela ne l’empêche pas de collectionner les diplômes en gestion entrepreneuriale ni d’apprendre l’espagnol pour communiquer avec son employé originaire du Guatemala. Tout cela sans bouder son attrait pour la coquetterie. « Je suis une princesse dans la bouette », se décrit-elle en s’esclaffant.
Marie-Elaine Poirier
Une influenceuse à la ferme
Marie-Elaine Poirier combat l’isolement en agriculture à sa manière. Par ses vidéos emplies d’humour et d’autodérision sur TikTok, elle répand une joie de vivre contagieuse malgré les épreuves de la vie.
Cette agricultrice de Saint-Ours, en Montérégie, n’hésite pas à se mettre en scène pour témoigner de la réalité des femmes à la ferme et dans les champs. Elle peut danser dans le garage avec son pistolet à graisse, parler ouvertement de ses angoisses de mère ou encore s’étonner de voir encore en 2024 un vendeur qui ne parle qu’à « l’homme de la maison ». « Moi aussi, je veux une casquette en cadeau », glisse-t-elle dans sa vidéo, sourire en coin.
Les commentaires laissés par sa communauté d’abonnés lui confirment le besoin d’écoute ressenti par les agriculteurs.
Cette dernière a pourtant vécu elle-même, avec son conjoint, son lot de contrecoups au cours des dernières années : la fermeture forcée de la porcherie, une difficile répartition familiale de l’entreprise et un grave accident de la route subi par son fils aîné.
Malgré tout, Marie-Elaine Poirier considère l’agriculture comme une médecine pour l’âme. « Dans une ferme, tu peux toujours trouver un nouveau défi pour garder le goût à la vie. »
Nathalie Bolduc
Agricultrice-née
En 2024, Nathalie Bolduc réalisera son rêve de jeunesse. Cette agricultrice de Saint-Georges, en Beauce, deviendra l’unique propriétaire de la ferme laitière fondée par son père.
« Je n’ai jamais eu de plan B. C’est toujours ce que j’ai voulu faire dans la vie », affirme celle qui travaille aux côtés de son père depuis plus de 20 ans.
Ressent-elle une pression particulière d’être une femme dans un monde d’homme ? « Non. Je sais que je suis une bonne gestionnaire. Mon troupeau est rentable, et ma famille vit bien sans devoir consacrer sa vie entière à la ferme. Je ne ressens pas le besoin de tout faire moi-même pour prouver ma valeur. Je suis capable de m’entourer de personnes compétentes. »
Cette mère de trois filles ne manque pas une occasion de partager son amour du mode de vie agricole dans sa communauté. Sa nièce de 9 ans veut même suivre les traces de sa tante. « Imaginez, une petite fille de Dorval qui veut devenir agricultrice ! » s’exclame-t-elle avec émotions.
Hélène Bernard
La fidèle conseillère
Hélène Bernard a choisi l’agriculture, ou plutôt le génie agroenvironnemental, après avoir vu la photo d’une moissonneuse-batteuse en action au coucher de soleil.
« À ma première session en génie mécanique à la Polytechnique, on nous a présenté tous les types de génie. Après avoir vu la photo de la moissonneuse-batteuse, le soir même, j’ai fait une demande d’admission tardive pour la saison d’hiver à l’Université Laval. Je n’ai pas dormi de la nuit, j’avais trouvé ma vocation avec certitude! » raconte cette conseillère en agroenvironnement au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec en Mauricie.
Son instinct ne l’a pas trompée. Plus de vingt ans plus tard, cette ingénieure est reconnue comme une passionnée de l’agriculture. Elle travaille principalement en gestion de l’eau. Elle appuie notamment les agriculteurs en matière de drainage, de nivellement, d’ouvrages hydroagricoles ou encore d’irrigation. Elle aide aussi directement des entreprises agricoles en démarrage.
Gabrielle Blanchet
Dompteuse de mastodonte
Gabrielle Blanchet a su affronter ses peurs pour vivre sa passion : chaque jour, elle grimpe au volant d’un poids lourd pour recueillir des milliers de litres de lait chez une dizaine de producteurs des environs de Saint-Hyacinthe.
« J’avais eu longtemps le rêve de conduire des semi-remorques, mais j’avais peur du regard des hommes. Je craignais qu’ils se demandent ce que je faisais là. Je me demandais si je pourrais reculer avec un mastodonte de 68 pieds. Je ne savais même pas conduire avec une transmission manuelle », se rappelle la diplômée en cuisine, en boulangerie et en service de restauration.
Près de trois ans plus tard, aucune de ses peurs ne s’est avérée. Pas de commentaire sexiste ni de jugement condescendant, assure-t-elle. « Au contraire, je crois que les femmes attirent une collaboration naturelle », dit la Drummondvilloise, qui partage son circuit avec une autre camionneuse.
La jeune femme se félicite d’avoir eu le courage de foncer.
« Pour l’instant, ça va attendre. J’ai un horaire stable, un bon salaire et des avantages sociaux. Et je me sens tellement valorisée dans ce que je fais. »
Jeannine Bourque
La pionnière
Jeannine Bourque est une pionnière. Depuis près de 60 ans, cette ancienne présidente de la Fédération de Québec-Sud de l’Union des producteurs agricoles (UPA) ouvre la voie aux femmes en agriculture.
Cette productrice de Saint-Georges, dans Chaudière-Appalaches, se souvient encore de l’émoi qu’elle avait provoqué par sa seule présence à un congrès de l’Union catholique des cultivateurs, l’ancêtre de l’UPA, au début des années 1960. Des hommes, en particulier les aumôniers, n’aimaient pas qu’une femme prenne la parole au cours des assemblées, dit-elle.
« L’un d’eux m’avait dit que ma place était dans les cercles des fermières. Je lui ai répondu qu’il n’était pas question que je passe mes soirées à tricoter », raconte-t-elle aujourd’hui.
Son élection à la tête du syndicat régional du porc dès sa fondation en 1966 fut le début d’une ascension dans les rangs syndicaux, ainsi qu’au sein de plusieurs associations provinciales et nationales. Elle a notamment siégé au conseil d’administration de la Régie des assurances agricoles dans les années 1980.
« Jean Garon [ministre de l’Agriculture de 1976 à 1985] a écrit dans son livre que j’étais la seule personne qui lui donnait l’heure juste », souligne cette femme reconnue pour son franc-parler.
Lizianne Fortier
La semeuse de bonheur
Lizianne Fortier a appris comment vendre des fleurs avant même de devenir floricultrice. Elle réussit de si belle façon qu’elle accompagne désormais les agriculteurs désireux de commercialiser eux-mêmes leurs produits.
La vie de cette spécialiste en marketing a pris un tournant décisif après sa rencontre avec un producteur laitier de Saint-Albert, près de Victoriaville. Elle a quitté la métropole pour fonder une famille et créer, en 2017, la ferme florale Pivoinerie Lili. « J’étais auparavant à mille lieues de l’agriculture. Je n’étais ni entrepreneure ni fleuriste », souligne-t-elle.
Cette « fille de produits » en connaît cependant un rayon sur la commercialisation. Déjà, ses récoltes se déclinent non seulement en bouquets, mais également en une série de produits de beauté et pour la maison, en vente dans une cinquantaine de boutiques au Québec et au Nouveau-Brunswick.
Ses conseils sont désormais recherchés, surtout par les agricultrices.
« C’est ma mission d’entrepreneure. Les fleurs n’en sont que le prétexte », affirme-t-elle.
Marie-Ève Julien-Denis
La bergère urbaine
Marie-Ève Julien-Denis a réussi à réintroduire un peu de nature dans sa ville. Grâce à cette bergère, des moutons ont remplacé les tondeuses dans des parcs de Montréal, en plus de sensibiliser les citoyens urbains à la protection de la biodiversité.
Depuis 2016, une quinzaine de chèvres et de moutons de différentes races passent leur été à brouter dans des parcs. L’organisme possède aussi un poulailler, des ruches, un potager et une champignonnière. Ses quelque 150 bénévoles donnent également différents ateliers.
Marie-Ève Julien-Denis se dit émue de voir l’importance acquise par le projet dans sa communauté. Si son influence se fait surtout sentir dans les petits gestes au quotidien, il change aussi la destinée de certaines personnes. « Une bénévole a décidé de faire des études en horticulture, alors qu’une autre a choisi carrément de devenir bergère. »
Mme Julien-Denis doit cependant prendre ses distances avec ses moutons depuis qu’elle a contracté, en 2023, une maladie allergique nommée « le poumon du fermier ». Fortement ébranlée par cette fatalité, elle tire néanmoins une consolation par la pérennité de son œuvre.