Vie rurale 9 janvier 2020

Des vertes et des pas mûres

Les reportages à la ferme effectués au fil des ans par les journalistes de La Terre sont une source intarissable d’anecdotes. En voici quelques-unes qui comptent parmi les plus savoureuses de notre palmarès.


Face à face avec un bœuf

Nous sommes en 2011. Je suis encore nouveau à La Terre de chez nous et l’on me donne une assignation sur le bien-être animal dans le transport. J’ai alors droit à mon premier face-à-face avec un bœuf. L’histoire se déroule dans une remorque à bétail vide. J’y photographie le chauffeur Denis Bérard et l’interroge sur ses pratiques destinées à assurer le confort des animaux. Ceux-ci attendent à l’extérieur dans un enclos. Au moment où nous nous apprêtons à sortir de la remorque, je vois un bouvillon qui monte sur la passerelle et s’avance vers moi. Ses compagnons le suivent à la queue leu leu. Je prends une photo par réflexe et je dis à M. Bérard : « Est-ce normal qu’ils montent vers nous? » Le camionneur s’approche derrière mon oreille et chuchote d’un ton très solennel : « Ne fais aucun mouvement brusque. Ne les regarde pas directement dans les yeux. Avance très doucement, qu’on sorte au plus cr… de cette remorque. » Je marche lentement. Les animaux ne bougent pas. M. Bérard est tout près derrière moi et chuchote : « Quand je vais dire : “Go!”, on saute en bas de la passerelle. » Nous bondissons chacun au sol, sur la glace. Je lui dis alors : « Merde! J’ai cogné la lentille de mon appareil photo. » Denis Bérard me jette un regard très intense.
« Ton appareil? Ce n’est rien. Si les bœufs étaient entrés dans la remorque, ils nous auraient coincés au fond. Et il aurait fallu qu’un seul prenne panique pour qu’on se fasse piétiner et qu’on n’en sorte pas vivant », jure le transporteur, avant d’aller chauffer les oreilles de l’employé de ferme qui avait ouvert la barrière.

– Martin Ménard, journaliste


Toute une pêche!

En 2007, je participe à l’ouverture officielle de la pêche aux homards aux Îles-de-la-Madeleine. Jérémie Cyr, un vieux loup de mer de plus de 30 ans d’expérience, m’invite à bord de son bateau. À quatre heures du matin, nous décollons pour la mise à l’eau des cages. Cette année-là, dame Nature réserve tout un cocktail météo avec des vents et des vagues à faire verdir les pêcheurs les plus aguerris. Bien déterminée à ne pas être malade, j’avale non pas un antinauséeux, mais bien deux. J’ai rapidement les paupières lourdes et les jambes molles, mais je n’ai rien pour m’asseoir. Pour me réveiller, je sors la tête hors de la cabine du bateau pour prendre de grandes bouffées d’air frais. Malheureusement, je ne respire que les gaz d’échappement du bateau. À la fin de la journée, le capitaine Cyr me félicite de ne pas avoir vomi et me dit même que j’aurais du potentiel comme matelot.

– Julie Mercier, journaliste


Photo : Martin Ménard/TCN
Photo : Martin Ménard/TCN

RAV4 de montagne

J’ai passablement fait souffrir le petit Toyota RAV4 de La Terre de chez nous lors d’un reportage à L’Anse-Saint-Jean. Après m’avoir révélé les endroits secrets de ce magnifique village du Saguenay–Lac-Saint-Jean, le conseiller municipal Anicet Gagné, un célébrant de métier, m’indique qu’il ne faut pas manquer la vue sur les trois vallées glaciaires environnantes en haut du mont Édouard. Ne faisant ni une ni deux, nous sommes en pleine ascension sur un chemin de terre assez rude qui ceinture la montagne. Et ça grimpe! La pente devient abrupte. Après tout, c’est le 5e plus haut dénivelé skiable du Québec. Le devant du camion est vraiment incliné vers le haut. Nous faisons presque du sur place, les roues sautillent par manque d’adhérence. Il nous reste le quart de la montagne à gravir; impossible de reculer ni de se retourner. Anicet Gagné, qui s’exprime comme le ferait un curé, me dit : « M. Ménard, de grâce, embrayez les quatre roues motrices ou nous allons y rester! » Je le regarde en lui répondant que c’est déjà fait. De peine et de misère le camion avance. On entend les roches qui frottent sous la carrosserie. Et nous atteignons enfin le sommet. L’endroit est magnifique, mais le temps humide diminue la visibilité… ce qui m’empêche de prendre la photo nette des vallées glaciaires dont j’avais besoin.

– Martin Ménard, journaliste


Des agneaux pâturant le pré-salé à l’Île Verte, au Bas-Saint-Laurent. Photo : Julie Mercier/TCN
Des agneaux pâturant le pré-salé à l’Île Verte, au Bas-Saint-Laurent. Photo : Julie Mercier/TCN

Contrée marécageuse

En juillet 2005, lors d’un passage dans mon patelin du Bas-Saint-Laurent, je décide de me rendre à l’Île Verte pour réaliser un reportage sur l’élevage d’agneaux de pré-salé. Pourquoi ne pas en profiter pour emmener ma mère avec moi? me dis-je. Nous chaussons donc nos « bottes à vaches » et commençons à explorer l’estran à la recherche des moutons. Nous réalisons, trop tard, qu’estran n’est qu’un nom poétique pour… marécage. À chaque pas, la boue aspire nos bottes et nous devons user d’un savant mélange de force et d’équilibre pour les extraire de la « bouette » sans nous retrouver les quatre fers en l’air. Je crois d’ailleurs qu’une de mes bottes s’y trouve toujours. 

– Julie Mercier, journaliste


Un taureau exhibitionniste du Montana chez l’éleveur Bert Paris. Photo : Julie Mercier/TCN
Un taureau exhibitionniste du Montana chez l’éleveur Bert Paris. Photo : Julie Mercier/TCN

Un taureau exhibitionniste

Durant la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), je parcours le Wisconsin à la rencontre de producteurs de lait en faveur de la gestion de l’offre. Chez Bert Paris, un éleveur de Belleville, je décide de faire l’entrevue dans un pâturage, entouré de ses vaches et d’un… taureau. Je commence à filmer lorsque celui-ci, peut-être émoustillé par la caméra, se met à tourner autour des vaches avant de s’accoupler à l’une d’elle, à quelques mètres du producteur et directement dans l’objectif de ma caméra. Pour les amateurs du genre, ce moment est d’ailleurs immortalisé dans une vidéo à laterre.ca.

– Julie Mercier, journaliste


Louis Robert en mêlée de presse le 24 septembre à l’Assemblée nationale de Québec. Photo : Martin Primeau/TCN
Louis Robert en mêlée de presse le 24 septembre à l’Assemblée nationale de Québec. Photo : Martin Primeau/TCN

L’année Louis Robert vue de l’intérieur

Fin mars 2019, j’assiste à la première sortie publique de Louis Robert depuis son congédiement du ministère québécois de l’Agriculture. Il prend part à un atelier sur la santé des sols au marché Bonsecours, à Montréal. L’agronome a ensuite droit à une mêlée de presse, un exercice visiblement nouveau pour lui. Le malaise transparaît en tous points dans son langage non verbal, même qu’il recule au fil des échanges avec les journalistes. Cela contraste nettement avec le personnage rencontré six mois plus tard aux auditions de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN), à Québec. Ayant retrouvé son emploi, M. Robert montre alors de l’aplomb dans ses réponses aux journalistes parlementaires réunis autour de lui. 

– Martin Primeau, journaliste


Photo : Myriam Laplante El Haïli/TCN
Photo : Myriam Laplante El Haïli/TCN

Lumière sur le cannabis

En mai 2018, j’ai l’occasion de visiter les installations de Canopy Growth, à Saint-Lucien, dans le Centre-du-Québec. C’est quelques mois avant la légalisation du cannabis. Je constate que les protocoles de biosécurité y sont rigoureux. Il faut se mettre une blouse, des gants et un filet sur la tête. Nous arrivons dans la salle où ils font pousser les fameux plants. La lumière, extrêmement chaude, est éteinte pour permettre aux employés de travailler. Mais je ne peux pas venir jusque-là sans rapporter de belles photos pour le journal. Le problème, c’est que l’interrupteur est à l’extérieur de la salle et que seul le cultivateur en chef peut l’activer. Et selon les protocoles de Santé Canada, personne ne peut rester dans la salle si le chef n’y est pas. La dizaine d’employés qui entretiennent les plants doivent donc sortir le temps d’ouvrir l’interrupteur. Moi qui aime la photo, je me fais plaisir. Et je vous jure, malgré ce que la photo ci-contre laisse croire, je n’ai pas testé la marchandise! 

– Myriam Laplante El Haïli, journaliste


Un début de journée « mémorable »

C’était en août 2018. Je pensais avoir commencé ma journée du bon pied… jusqu’à ce que ce même pied soit durement éprouvé, au terme d’une succession de péripéties.

1– En vélo vers le travail, je perds mon cellulaire sur la piste cyclable. Je m’en rends compte au moment où je veux regarder l’heure. Je fais demi-tour et le retrouve grâce à un couple de passants qui l’a gentiment récupéré. Alléluia!

2– J’arrive au travail. Je réalise que mon assignation est à l’autre bout de la ville et que je ne pourrai pas pédaler sur l’autoroute 30. Je prends un taxi et je me fais insulter par le chauffeur haïtien parce que je suis surprise qu’une course de 20 minutes dans la même ville puisse coûter 52 $. Je commence à lui parler en créole. Complètement « sezi », le monsieur bredouille et finit par me demander si je lui pardonne. Je paie finalement 30 $ et je ne sais plus trop quoi penser de cette altercation.

3– Je rencontre des apprentis apiculteurs sur le site d’Agropur et je réalise des entrevues et des vidéos. Je me ramasse avec un faux bourdon dans la sandale pendant que je tiens un cadre amovible rempli d’abeilles. Je l’échappe belle jusqu’à ce qu’une abeille décide de me piquer le pied pendant que je filme une séquence. J’ai ainsi marqué l’imaginaire d’un collègue qui, à ce jour, rit encore de mon cri de douleur immortalisé sur la vidéo. 

Josianne Desjardins, tout sourire, quelques minutes avant qu’une abeille lui pique le pied droit. Photo : Josianne Desjardins/TCN
Josianne Desjardins, tout sourire, quelques minutes avant qu’une abeille lui pique le pied droit. Photo : Josianne Desjardins/TCN

Josianne Desjardins, journaliste


Le coloré président de R-CALF USA, Leo McDonnell. Photo : Julie Mercier/TCN
Le coloré président de R-CALF USA, Leo McDonnell. Photo : Julie Mercier/TCN

Dans l’antre de R-CALF

Après la découverte d’un cas de « vache folle » en Alberta, en mai 2003, le gouvernement américain ferme sa frontière aux bovins canadiens. Plus d’un an plus tard, Washington s’apprête à lever son embargo, mais une petite organisation d’éleveurs du nom de Ranchers-Cattlemen Action Legal Fund United Stockgrowers of America (R-CALF USA), réussit à paralyser tout le commerce de bovins entre le Canada et les États-Unis. Je me rends donc au siège social de R-CALF, au Montana. En chemin, j’aperçois des vaches au pâturage et je décide d’arrêter mon véhicule sur l’accotement pour prendre quelques clichés. Une voiture de police arrive en trombe, gyrophares allumés. Un policier s’approche, la main posée sur le revolver à sa ceinture et me demande ce que je fais là. Après m’avoir donné quelques sueurs froides, il me laisse repartir. Je réussis finalement à me rendre à destination où je rencontre le coloré président de R-CALF, Leo McDonnell, vêtu de son chapeau et de ses bottes de cowboy. Pendant plus d’une heure, celui qui refusait de parler aux médias canadiens enchaînera des déclarations fracassantes.