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L’hiver, à Colza, tout brille. C’est une île au cœur de la mer. La seule qui n’est pas reliée à l’archipel des Bécasseaux roussâtres à quelques kilomètres plus au sud. Le ciel y est d’un bleu époustouflant et l’eau, qui tarde à geler tout autour des falaises rocheuses, s’agite avec l’énergie d’une survivante. Mais derrière ses beautés sauvages, Colza est très imparfaite et mélancolique.
En décembre, les goélettes ne peuvent plus atteindre le rivage et seuls les quelques habitants de l’île, d’origine écossaise, et les animaux, restent pour braver le froid et l’isolement. Les pêcheurs ont fait sécher les filets depuis longtemps et sont rentrés fumer la pipe, collés sur le feu de bois. Durant plusieurs mois, tous guetteront le vent glacial venir du large et tenter de s’immiscer dans les plus petites ouvertures des chaumières crochues.
À Colza, à cause des rafales, une grande tristesse afflige les familles depuis trop longtemps. Le vent d’hiver est si brutal que les rênes du père Noël ne se posent jamais sur l’île. Les enfants ne reçoivent donc jamais de cadeaux pour Noël.
On dit qu’autrefois, certaines bêtes auraient tenté l’escale, mais se seraient blessées sur la falaise des Moucherolles, à 190 mètres en hauteur, et seraient tombées dans la mer. Si les loups marins n’avaient pas été là pour rescaper les cervidés, le chariot magique ne pourrait peut-être plus voler aujourd’hui et ce serait les enfants de la terre entière qui en pâtiraient. Pour cette raison et à regret, père Noël et mère Noël envoient, tous les ans, un télégramme d’excuses aux enfants de Colza, chanté par une Paruline triste.
Aux abords de Colza vit aussi Anicette, une petite loutre marine. Anicette aime sortir quand ses frères et ses sœurs roupillent. Elle se hisse tout doucement hors du lit et enfile son casque de bain à fleurs et ses bouchons d’oreilles, lorsqu’elle a traversé l’embrasure de la porte seulement. Elle est coquette, délicate et très active.
Dehors, elle croque une feuille gelée, fait des pirouettes sur la grève et se glisse dans l’eau glacée. C’est alors qu’elle ferme les yeux et se laisse flotter. Elle fait bouger son museau dans le vent et observe les dernières belles vagues combattre la glace de décembre. Parfois, elle nage à toute vitesse en traçant des S avec vivacité. Puis, elle reprend son souffle.
Ce jour-là, le 24 décembre, Anicette sort sa tête de l’eau et croise le regard de la Paruline triste qui vole vers le phare de Colza pour annoncer la mauvaise nouvelle aux enfants.
-« Ah non, pas toi encore! Les enfants n’ont pas versé une larme depuis le printemps et toi, tu reviens les faire pleurer? » dit la loutre marine affectée.
D’un air abattu, la Paruline lui jette un regard de compassion, hausse les ailes et accélère.
-« Attends! » s’écrit Anicette qui replace son bonnet. « Je n’en peux plus de voir cette scène chaque année. Va vite dire au père Noël que j’ai une solution pour lui. »
Toute surprise, la Paruline arrête son vol brutalement et descend en flèche vers l’eau.
-« C’est vrai? dit le petit oiseau jaune. Et comment? C’est pourtant impossible. »
– « À chaque problème, une solution. Avec du travail et de la volonté, tout est possible, Paruline », lance Anicette, encore incertaine de ce qu’elle proposera au père Noël.
Pour la première fois, la Paruline sourit et repart en vitesse vers le pôle Nord.
Anicette fixe les blanchons et les phoques au loin sur la banquise. La petite loutre ne sait pas encore nager dans de si grosses vagues. En plus, ses amis le Grand cormoran et le Guillemot à miroir ont quitté les hautes falaises pour l’hiver. Ils ne reviendront qu’au printemps et c’est à ce moment qu’elle pourra se hisser sur leurs ailes. Elle admirera la beauté du paysage et surprendra les mouettes tridactyles couvant leurs œufs.
Mais pour l’instant, Anicette doit s’armer de courage. Elle enfile sa petite combinaison de plongée fuchsia et fonce, seule, droit vers la banquise. Elle avance à vive allure dans la houle, avale quelques gorgées d’eau salée, plonge et plonge à nouveau. Elle est déterminée, la petite loutre. Chaque minute compte. Jamais elle ne s’est aventurée aussi loin. Elle voit la banquise qui se rapproche. Et juste au moment où elle lance un cri pour avertir les amis blanchons de son arrivée, une vague la submerge et l’engloutit.
À son réveil, Anicette est couchée sur le dos. La lumière est éblouissante. Au-dessus d’elle, la Paruline et sa famille de loutres la fixent avec douceur et soulagement. Puis, derrière, les reines ont réussi à poser le traîneau sur la banquise plate. Père Noël est en train de déposer un cadeau sur chaque nez de phoques et ceux-ci nagent en file jusqu’à Colza porter les présents aux enfants qui, eux, attendent en hurlant de joie sur la grève étroite de l’île.