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Lupin sortit le bout de son nez de sous la neige. Un nez qu’il avait très long. Très fin. Avant de sortir au grand air, il voulait s’assurer qu’il faisait assez froid. Et assez froid, pour Lupin, c’était trrrès froid! Vous savez, ces jours où, dans le rang, entre les fermes, l’on n’ose s’aventurer sans une tuque enfoncée jusqu’au cou, un foulard sur la bouche et deux paires de mitaines? Ces jours-là où les narines collent ensemble dans l’humidité du matin et où les cils se couvrent de givre…
Chaque hiver, juste avant Noël, Lupin gagnait les campagnes en rampant sous la neige.
Vous connaissez les lutins. Ils sont espiègles, jouent des tours aux enfants, cachent leurs jouets, sortent les vêtements du tiroir, mangent leurs biscuits dans l’armoire, renversent tout sur leur passage et cessent de bouger tout le jour, pour reprendre vie la nuit venue, quand s’endort la maisonnée. Lupin n’était pas un lutin comme ceux-là.
Encore caché sous la neige, ayant senti l’air vivifiant, Lupin bondit dans une explosion de neige, au soleil couchant. Surprise, Mimi la mouffette, qui passait tout près, souleva la queue et faillit l’arroser…
– Nooon! s’écria Lupin. C’est moi!
Juste à temps. Mimi baissa la queue, se retourna et salua le visiteur heureux d’avoir été épargné. Mimi avait connu Lupin l’hiver d’avant et ils étaient devenus amis. Puis les fleurs du printemps étaient venues, ensuite la saison des semailles, des travaux aux champs et celle des récoltes. Lupin avait regagné le nord.
S’il réapparaissait aujourd’hui, c’était pour un petit garçon, inconsolable depuis qu’il était venu de la ville avec ses parents pour s’établir à la campagne, loin de tout.
Mimi avait pensé très fort à Lupin pour le prévenir et il avait trouvé son chemin jusqu’à elle, on ne sait comment.
– Alors, il est où? demanda Lupin.
Mimi le conduisit jusqu’à une maison de brique rouge protégée par de grands arbres, près d’une bergerie.
– C’est là, dit Mimi. Les agneaux m’ont dit qu’il ne sortait jamais de la maison. J’ai croisé deux poules et un coq, aussi. Aucun ne l’a vu encore, sinon qu’à sa fenêtre, le nez collé à la vitre embuée. Il regarde dehors, mais refuse de quitter sa chambre depuis qu’il est là.
– D’accord, répondit Lupin.
Il s’agrippa aussitôt au poil du chien de la maison, venu faire pipi dehors. Il entra sans être vu, sous le ventre de l’animal qui semblait s’amuser de la situation.
S’étant dissimulé près de la cuisine, Lupin réussit à gagner la chambre du garçon, dont les parents étaient au salon. Il n’était pas très tard, mais dehors, la nuit tombait déjà. L’enfant était assis à son bureau, la tête posée sur un livre ouvert. Il respirait profondément, les yeux fermés.
– Hum! Hum! Elliot, fit Lupin.
Surpris, le garçon se redressa, écarquilla les yeux à la vue du petit bonhomme. Mais qu’est-ce que c’était que ce lutin? On ne voyait ça que dans les histoires de Noël!
– Qui es-tu? Et qui t’a dit mon nom? demanda-t-il.
– Ton nom, c’est Mimi qui me l’a dit, répondit doucement Lupin pour rassurer le garçon. Mais ce serait trop long à raconter. Elle me dit que tu t’ennuies, ici. C’est vrai?
Elliot pensa appeler son père, mais le doux regard de Lupin, ses grands yeux apaisants, son gentil sourire lui firent comprendre que cela n’était pas nécessaire. Lupin venait en ami…
– Eh bien, avoua Elliot, je n’ai personne avec qui jouer.
Je n’ai pas d’amis, ici, et rien à faire.
– Pas d’amis? Rien à faire? reprit Lupin. Il dressa ses longues oreilles, se gratta la tête entre deux touffes de cheveux couleur de blé, réfléchit et proposa : « Regarde à la fenêtre… »
Quelque chose d’étrange se produisit. Dehors, malgré la noirceur, Elliot pouvait distinctement apercevoir la bergerie, cette fois nimbée d’une lueur jaunâtre, pleine de chaleur et de gaieté. C’était comme si… comme si les murs extérieurs de la bergerie avaient été retirés. Comme si l’on pouvait voir à travers les murs du bâtiment, qui lui avaient paru bien ternes à ce jour. Maintenant, la bergerie grossissait, semblait se rapprocher. L’enfant pouvait y voir les agneaux dans un coin et, plus loin, un coq, deux poules et un chat.
– Oh! s’exclama Elliot. Comment t’arrives à faire ça?
– Facile! répliqua Lupin. C’est un rêve… Écoute.
– Elliot! bêlaient les agneaux…
– Viens jouer avec nous, caquetait le coq.
Le chat somnolait, les yeux fermés, les pattes de devant repliées sous lui au milieu de la paille. Elliot pouvait entendre distinctement le ronron qu’il faisait, disant tout le confort qu’il y avait à habiter cette bergerie et le plaisir qu’il pourrait y avoir à enfouir ses doigts dans le poil soyeux de la petite bête.
– C’est un rêve, rappela Lupin. Tantôt, tu t’éveilleras et peut-être te rappelleras-tu tout cela. Mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est qu’il y a de la vie dans cette bergerie. Et des animaux qui ne demandent qu’à t’apprivoiser et à être apprivoisés. Alors, à ton réveil, enfile manteau, chapeau, bottes et mitaines. Va à la bergerie : ils sont là, peut-être, tes nouveaux amis.
Lupin fit quelques pas vers la sortie et disparut.
Elliot releva bientôt la tête, se redressa sur la chaise où il s’était endormi et regarda dehors. La bergerie avait repris son état normal. Mais une petite lueur jaunâtre scintillait à l’une des fenêtres. Mû par un élan soudain, il se leva et sortit de sa chambre.
– Papa! Maman! Je vais voir les agneaux, s’écria-t-il.
Surpris, les parents d’Elliot apparurent. Déjà, il avait mis ses bottes, son manteau, ses mitaines.
– N’oublie pas ta tuque! cria maman, avant qu’il se l’enfonce sur la tête et se précipite à l’extérieur.
– Qu’est-ce qui lui arrive? demanda son père.
– Je ne sais pas, répondit sa mère, mais c’est bon signe…
Dehors, Elliot s’arrêta, leva les yeux et dans la nuit huma l’air froid. Cette froidure qui colle les narines et vous met du givre aux cils… Il chercha le lutin tout autour, mais n’aperçut au loin qu’un petit nuage de neige, près de l’endroit où se tenait une mouffette qui s’éloignait.
Elliot sourit aux étoiles et marcha vers la bergerie…