Vie rurale 9 décembre 2019

La détresse tue encore en milieu agricole

Le suicide est un sujet délicat. En parler dérange, mais cela peut sauver des vies pour peu que les signaux d’alarme des intervenants sur le terrain soient entendus. Il est question ici de cinq décès, mais aussi d’une vie épargnée. Toutes les victimes étaient liées à l’agriculture.

Trois producteurs laitiers se sont enlevé la vie en Outaouais en moins de quatre mois cette année. Ils étaient tous unis par une même passion : l’agriculture. Mais au-delà de leur enthousiasme habituel se cachait sournoisement une profonde détresse.

L’église évangélique de Thurso était remplie pour rendre hommage à l’éleveur laitier Luc Leduc, 65 ans, qui s’est enlevé la vie en juin dernier. « Ce n’était même pas aussi plein à Noël. Les producteurs ont vraiment été affectés par ça », témoigne le vice-président de Syndicat de l’UPA de Papineau, James Thompson. Une trentaine d’entre eux ont créé une importante mobilisation dans le village en se rendant tous ensemble, à bord de leur tracteur, aux funérailles de leur confrère.

Luc Leduc
Luc Leduc

Profondément touchée par cet élan de solidarité, Karyne Leduc, la nièce de la victime, a livré un vibrant témoignage sur Facebook. Son message a été partagé des centaines de fois. « La détresse psychologique des agriculteurs n’est pas un mythe. […] C’est malheureusement la triste vérité », a-t-elle déclaré, tout en félicitant ceux qui osent demander de l’aide. « Dites-vous que ce n’est pas un geste de faiblesse, mais un signe que vous êtes courageux, bien au contraire! »

Jointe par La Terre, Karyne raconte à quel point elle a été ébranlée lorsqu’on lui a annoncé la triste nouvelle. Son oncle, qui était toujours de bonne humeur, dynamique et impliqué dans toutes les sphères de son entreprise, n’avait jamais laissé transparaître la détresse qui l’habitait. « On ne se doutait pas, pas une seconde que ça pouvait lui arriver. L’agriculture lui coulait dans les veines. »

L’incompréhension demeure entière. « On se demande toujours ce qu’on aurait pu faire. […] C’est un métier difficile, tout le monde se bat pour sa survie. Et c’est un milieu qui est tellement méconnu des autres », souligne-t-elle.

Fatigue extrême

Les producteurs de Shawville ont aussi été secoués par la mort d’Éric Labine, qui avait à peine 26 ans lorsqu’il a mis fin à ses jours en juillet dernier. Plusieurs se sont rendus aux funérailles en tracteur.

Eric Labine
Éric Labine

Quelques semaines avant son suicide, Éric avait confié à sa sœur, Cindya Labine Hodgins, être « fuckin tired » (vraiment fatigué). Mais pour celle qui est aussi productrice bovine, le fait de dire entre producteurs qu’on est fatigué est monnaie courante. « C’était peut-être sa façon de dire que ça n’allait pas bien », pense-t-elle avec le recul.

« Si ça avait été évident [son état de détresse], on lui aurait rapidement conseillé de consulter », assure Cindya, qui décrit son frère comme une personne qui était souriante, avec un grand cœur et qui aidait tout le monde.

Éric Labine aimait sa production bovine, mais il y consacrait de longues heures, en plus d’occuper un autre emploi sur une ferme laitière. À cela s’étaient ajoutées des dépenses imprévues et l’accumulation de paperasse qui ne l’ont pas aidé, estime Cindya.

À 300 milles à l’heure

L’autre producteur qui est passé à l’acte en Outaouais était aussi très investi dans son entreprise et cumulait d’autres emplois. Au cours des dernières années, il avait travaillé sans relâche, « à 300 miles à l’heure », témoigne son partenaire d’affaires qui a requis l’anonymat.

En 2018, son associé avait commencé à dépérir. Il était suivi par plusieurs professionnels de la santé et avait tiré la sonnette d’alarme plus d’une fois. Mais cela n’a pas suffi, regrette son confrère. Aujourd’hui, ce dernier en a gros sur le cœur. « Ce n’est pas le travail à la ferme qui l’a mis à terre. C’est le système [de production laitière], les nouvelles exigences et la paperasse qui alourdit constamment notre travail. On aime faire ce qu’on fait, mais c’est tellement devenu lourd! »

Selon lui, il est plus que temps de se questionner sur l’état du système agricole, mais aussi sur cette urgence d’avoir une ressource spécifique dans le milieu avec l’embauche d’une travailleuse de rang. « Ce n’est pas normal. Les professionnels de la santé devraient pouvoir s’adapter à nous. » 

Des ressources à connaître

Besoin d’aide ? 1 866 APPELLE (1 866 277-3553)
Liste complète des centres de crise du Québec : centredecrise.ca/listecentres
Au Cœur des familles agricoles (ACFA) : 450 768-6995 ou acfareseaux.qc.ca
Écoute agricole des Laurentides : 514 929-2476 (lundi au vendredi, de 9 h à 7 h).
Pour toute urgence, composez le 811, option 2.

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