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C’est parti! L’avenir de la production et de la mise en marché de poulets élevés sans antibiotiques à grande échelle, à coût abordable et à long terme, est en train de se jouer au Québec.
Huit éleveurs répartis dans les régions de Saint-Hyacinthe, de Lanaudière, du Centre-du-Québec et de la Mauricie ont en effet consenti à participer au projet pilote, qui va durer un an. Les derniers poussins sélectionnés pour vivre cette expérience sont entrés dans leur poulailler le 23 juin dernier.
Toute l’industrie avicole du Québec est impliquée dans cette aventure : éleveurs, reproducteurs, meuneries, couvoirs, abattoirs, ainsi que deux vétérinaires de l’Université de Montréal, Martine Boulianne et Marie-Lou Gaucher.
L’inédit de cette expérience au Québec, à cette échelle en tout cas, incite souvent les observateurs à mettre l’accent sur ses aspects périlleux et sur les risques d’échec qui y sont associés. Vétérinaire à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, Marie-Lou Gaucher voit les choses autrement. « Je suis confiante d’arriver à des performances tout à fait comparables et peut-être même meilleures que celles observées dans les élevages conventionnels, grâce à une régie adéquate et à un suivi serré des éleveurs. » Directeur du marketing des Éleveurs de volailles du Québec, Christian Dauth ajoute : « C’est une occasion en or pour le Québec de se distinguer et de prendre le leadership dans un nouveau créneau à l’échelle nationale. Si l’industrie a embarqué dans ce projet, ce n’est pas pour faire la démonstration que c’est impossible d’élever des poulets sans antibiotiques à coût raisonnable et à long terme, mais pour déterminer les conditions gagnantes pour y arriver. » La Terre les a rencontrés, le 15 juin dernier, à Longueuil.
Les éleveurs retenus consacreront deux poulaillers comparables pouvant accueillir entre 15 000 et 20 000 poulets chacun. Dans l’un, les oiseaux seront élevés sans antibiotiques. L’autre, où les poulets seront engraissés de façon conventionnelle, servira de point de repère pour mesurer les performances. En pratique, quelque 160 000 poulets élevés sans antibiotiques seront produits à chaque période durant un an. « Si les résultats sont concluants, l’étape suivante va consister à déterminer comment et jusqu’où on va étendre ce mode de production, compte tenu des besoins du marché », précise M. Dauth. On sait que les Rôtisseries St-Hubert font des pressions depuis des années pour obtenir les 120 000 poulets sans antibiotiques requis chaque semaine pour approvisionner ses restaurants. « Le phénomène de l’antibiorésistance est aussi un motif en faveur d’élevages sans antibiotiques », avance la Dre Gaucher.
Conditions gagnantes
Le défi de produire de tels poulets est plus grand au Québec et au Canada qu’en Europe. Sur le Vieux Continent, les anticoccidiens sont autorisés dans l’élevage de poulets sans antibiotiques, ce qui n’est pas le cas en Amérique du Nord. Le géant américain Tyson en sait quelque chose, lui qui utilisait des ionophores (une classe d’anticoccidiens) et qui a dû cesser de qualifier ses poulets élevés sans antibiotiques après un avis sans équivoque du département américain d’Agriculture (USDA).
Selon la Dre Gaucher, quatre facteurs principaux contribuent à maximiser les chances de succès dans l’élevage de poulets sans antibiotiques et sans anticoccidiens : la régie de départ, l’alimentation, la vaccination contre la coccidiose, une maladie de l’intestin, et la suracidification de l’eau. Au chapitre de la régie de départ, l’éleveur doit entre autres s’assurer que les poussins ont un accès adéquat à de la moulée et à de l’eau de bonne qualité, que le chauffage est approprié et permet de déterminer une zone de confort pour les oiseaux et que la litière est chauffée avant l’arrivée des poussins.
Quant à l’alimentation, ces derniers ont droit uniquement à une moulée naturelle à laquelle on incorpore des produits alternatifs (huiles essentielles), qui visent à compenser l’absence d’antibiotiques. Par moulée naturelle, on entend une moulée conventionnelle qui peut contenir des farines animales, mais sans antibiotiques ni anticoccidiens. « Il a fallu développer une recette de base commune afin que la moulée soit standardisée le plus possible pour faciliter l’analyse des résultats, car plusieurs meuneries sont impliquées dans le projet », note Mme Gaucher. Pour leur part, les couvoirs administrent un vaccin contre la coccidiose. Le vaccin est vaporisé sur les poussins avant leur départ du couvoir, ce qui leur donne une tête rosée fort jolie, dit-on. « La coccidiose peut demeurer à l’état subclinique, mais elle peut tout de même provoquer des lésions qui constituent une porte d’entrée pour une entérite nécrotique entraînant des pertes de performance et de la mortalité », explique la vétérinaire. La suracidification de l’eau permet d’assurer le contrôle de bactéries sensibles à un pH plus bas, comme Salmonella et Campylobacter.
D’autres éléments sont également pertinents pour la réussite du projet. Ainsi, le choix des poussins n’est pas laissé au hasard. Seuls les mâles sont retenus. Et comme les quelque 20 000 poussins requis dans chacun des poulaillers (sans antibiotiques et témoin) ne peuvent provenir du même troupeau reproducteur, « il faut limiter le nombre de sources afin de composer avec des statuts sanitaires similaires », explique Mme Gaucher. Autrement, il serait plutôt téméraire de comparer les performances. Enfin, il ne faut pas oublier la densité d’élevage. « Plus la densité est grande, plus la pression d’infections dans le troupeau est élevée », rappelle Marie-Lou Gaucher. Cette densité se situe en deçà de 31 kg par mètre carré pour le test, inférieure à celle observée dans plusieurs élevages au Québec. Soulignons que tous les éleveurs choisis ont pris connaissance du cahier des charges en même temps, le 18 mars dernier, histoire d’être au diapason. On a remis une balance électronique à ceux qui n’en avaient pas et tous se sont familiarisés avec des instruments requis pour prendre les mesures prévues au protocole.
Départ critique
La Dre Gaucher attire l’attention sur deux phases plus critiques dans l’élevage de poulets. Ainsi, la première semaine est cruciale. « Le poids à sept jours constitue un indicateur important du poids que pourra atteindre le poulet à la fin de l’élevage, souligne-t-elle. Ensuite, c’est vers 2,5 ou 3 semaines qu’on observe habituellement des épisodes d’entérite nécrotique. » C’est d’ailleurs la période où les vétérinaires Boulianne et Gaucher visitent les élevages. Une fois ce cap franchi, les performances sont généralement bonnes.
Le projet tient compte du bien-être des oiseaux. « En cas de maladie et de mortalité, ils auront droit à des traitements alternatifs dans l’eau. Ces traitements vont se poursuivre si la mortalité diminue après trois ou quatre jours. Dans le cas contraire, on aura recours à des traitements conventionnels. » Avec autant de précautions et d’options, Mme Gaucher et M. Dauth n’envisagent pas de scénario catastrophe. Et « chose certaine, les éleveurs qui participent à cette expérience ne seront pénalisés d’aucune façon pour d’éventuelles pertes de performance en élevage ou à l’abattoir ou en cas de mortalité », assure M. Dauth.