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Josée Fontaine, une productrice de poulets, de dindons et de porcs, a de la chance.
Elle le sait et elle remercie le ciel… mais surtout ses parents, Lucille Gagné et Marcel Fontaine, agriculteurs depuis 41 ans dans ce petit village de la Montérégie. En effet, ces deux sexagénaires n’ont pas hésité à s’investir dans la construction d’un poulailler tout neuf, à la fine pointe de la technologie et capable d’accueillir 33 000 poussins, avant de tirer leur révérence à l’aviculture. Il aura suffi à Josée de laisser tomber, un matin, en déjeunant avec son père : « J’aimerais bien ça avoir un poulailler neuf! » pour que ce souhait, à première vue irréaliste, se concrétise.
Il faut dire que ce projet correspondait en fait à un désir profond et inassouvi de son père Marcel.
Les Fontaine sont encore grisés par le plaisir d’élever des poulets dans leur nouveau bâtiment de trois étages valant 1 M$. « C’est la facilité qui me frappe », résume Josée, signalant en être seulement au deuxième élevage. « Les oiseaux évoluent dans un environnement toujours idéal, grâce à un système de ventilation centralisé contrôlé par ordinateur réduisant à leur minimum les variations de température. Ils ont aussi accès à une eau purifiée de façon ininterrompue, même en cas de pépin, grâce à la piscine hors terre de 21 pieds qui sert de réservoir. » Josée recueille des données en temps réel sur la consommation de moulée et d’eau, sur le gain quotidien de poids des poussins, sur la température, etc., grâce au système de contrôle Expert 4 X 4. Elle savait ainsi qu’à 11 h 30 de l’avant-midi, le 19 mai, ces petites bêtes âgées de neuf jours à peine avaient consommé 450 litres d’eau, à chaque étage, depuis minuit. Par ailleurs, « c’est sans doute l’un des rares poulaillers, sinon le seul au Québec, à être bâti avec des poutrelles en acier galvanisé afin de résister aux tornades », ajoute Marcel.
Un choix mûri
Après avoir acquis une partie de la ferme parentale il y a déjà 15 ans, Josée deviendra dans quelques mois le seul maître à bord des Entreprises L.M. Fontaine inc. — et de son poulailler tout neuf — qui mettent en marché quelque 220 000 poulets et 45 000 dindons par an, à Saint-Ignace-de-Stanbridge. « J’ai de la chance de prendre la relève dans une ferme en bonne santé financière, a confié Josée, en présence de ses parents et de la Terre, le 19 mai dernier. Ça permet une marge de manœuvre dont ne peut bénéficier quelqu’un qui arrive de l’extérieur du milieu agricole. » Quant à Lucille et Marcel, ils ne cachent pas leur bonheur de voir l’entreprise dans laquelle ils ont mis tant d’énergie et d’investissements demeurer au sein de la famille. « Le plus important, c’est que Josée soit heureuse dans ce qu’elle fait », a toutefois précisé Lucille.
Malgré les apparences, Josée n’a pas tout eu cuit dans le bec. « À six ans, elle pressait le foin en balles », a noté Lucille. Son diplôme d’études collégiales en gestion agricole en poche, elle a travaillé deux ans dans une ferme porcine, laitière et de grandes cultures. Après un séjour de deux ans à la ferme parentale, elle a évolué comme manutentionnaire chez Costco durant six ans. À 30 ans, il lui manquait toutefois un dernier déclic pour faire le saut définitif en agriculture. Le projet de Lucille et Marcel de vendre la ferme à leur employé, en 1996, a obligé Josée à se faire une idée définitive quant à sa vocation d’agricultrice. Josée jouit maintenant d’une solide expérience après 15 ans aux commandes de sa propre ferme, Ferme avicole porcine Josée Fontaine.
« Je produis 3000 porcs par an à forfait dans la porcherie bâtie par Marcel en 1974 et agrandie à quatre reprises depuis. Au début, l’engraissement était au premier étage et la maternité-pouponnière au-dessus. Mais les très bas prix du porc m’ont convaincue de convertir le deuxième étage en poulailler en 2001. J’y élève l’équivalent de quelque 70 000 petits coqs et 2000 dindons par an. »
La petite histoire
À la fin des années 60, machiniste à Marieville, Marcel rêvait depuis dix ans d’avoir une ferme. Il se voyait éleveur de porcs. Une petite annonce parue dans La Presse lui permet d’en dégoter une, à Saint-Ignace-de-Stanbridge, le 24 décembre 1969, une date à jamais gravée dans sa mémoire. « Il fallait être un peu fou pour se lancer dans cette aventure, a-t-il signalé. Tout y était archi à l’envers. Tout le voisinage prévoyait que nous deviendrions la cinquième faillite en ligne sur cette ferme. » En 1970, les Fontaine sont propriétaires de « deux poulaillers délabrés », où ils élèvent du dindon à forfait. Le volume produit servira à établir le quota mis en place l’année suivante au pays. L’année 1972 a été fertile en rebondissements. Marcel amorce en effet l’élevage de porcs dans une vieille grange. Le quota de dindon est réduit à 57 %, limitant les élevages à deux au lieu de trois. Et le feu ravage un poulailler! Deux ans plus tard, il érige une porcherie et ajoute un deuxième étage au poulailler restant pour compenser la perte de production de dindons. Marcel a vu passer le prix du quota de dindon de 80 $ à 450 $ du m2 entre 1976 et 2008. À partir de 1999, Lucille et Marcel utilisent le quota de dindon comme levier pour acquérir du quota de poulet, qu’ils produiront en même temps que les dindons, grâce à la technique du détassement, sur les deux étages de leur poulailler. « En 13 ans, nous n’avons jamais connu d’épisode de maladie », ont-ils noté. Ils ont maintenant abandonné cette approche unique au Québec, qui risque de ne plus être autorisée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, dans un avenir rapproché. La ferme L.M. Fontaine a acquis du quota de poulet à 285 $ du m2 et jusqu’à 1200 $ du m2. Le temps requis pour sortir un poulet ou un dindon a aussi fortement évolué au fil des ans. « Grâce à la génétique, il faut environ 11 semaines pour rendre un dindon à terme et 36 jours pour un poulet. À notre entrée en production, il fallait respectivement entre 12 et 16 semaines pour le dindon et 54 jours pour le poulet. »
La ferme L.M. Fontaine s’étend sur un peu plus de 100 hectares, défrichés et drainés sur une quinzaine d’années. Le couple Fontaine y récoltait du foin et du maïs, au début, puis seulement du maïs intégré dans la ration fabriquée à la ferme et donnée aux porcs. Les terres sont maintenant en location. Quant au fumier de poulet et de dindon, conservé dans un abri spécifique, des receveurs se l’arrachent!
L’avenir
Les éleveurs de dindons ont récemment décidé d’instituer une vente centralisée de quota de dindon. « J’ai hâte de voir si l’enchère tronquée sans prix plafond va réussir à stabiliser le prix du quota de dindon ou s’il va continuer à monter », note Josée. « C’est sûr que le quota est cher, mais on peut faire les paiements parce que les revenus sont stables en gestion de l’offre et qu’il s’agit d’achats à la marge », explique Lucille. « Si tu te limites à prendre un crayon, tu n’achèteras rien et ne bâtiras rien », a renchéri Marcel. L’issue des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et particulièrement au regard de la baisse des tarifs douaniers et de la hausse d’accès au marché canadien, inquiète un peu Josée. « J’essaie de ne pas trop y penser. Et je me dis que je ne serai pas toute seule à me battre contre ça si ça arrive. Les politiciens sont mieux d’y penser à deux fois avant de s’en prendre aux productions sous gestion de l’offre, les seules qui fonctionnent bien sans subventions. »
Les Fontaine, père et fille, ont eu leur coup de cœur pour l’élevage du porc, mais leur fièvre est passée. « Si je dois agrandir ou investir à l’avenir, ce sera sûrement dans la volaille, même si le porc me procure un revenu d’appoint fort apprécié », confie Josée. Personne n’osera lui reprocher son choix, à la lumière de la crise qui secoue les éleveurs de porcs depuis des années!