Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Après quatre ans d’activité, Jean-Martin Fortier est fier de la réussite du modèle de la Ferme des Quatre-Temps qui combine la culture de fruits, fleurs et légumes biologiques et l’élevage d’animaux. Mais en fin de compte, certaines difficultés persistent, constate humblement le producteur, surtout la rentabilisation de l’élevage.
Rappelons qu’en 2015, le milliardaire André Desmarais avait rencontré le maraîcher Jean-Martin Fortier afin de concrétiser un désir : révolutionner l’agriculture québécoise en développant un modèle de ferme qui permettrait à un producteur de tirer un revenu de 100 000 $ par an. M. Desmarais souhaitait développer un concept de ferme holistique associant la culture maraîchère biologique et l’élevage d’animaux. Deux de ces fermes ont vu le jour : une à Hemmingford, en Montérégie, et l’autre à Port-au-Persil, dans Charlevoix. La Terre fait le bilan, en quatre temps.
Premier temps : le partage de connaissances
« La plus grosse réussite de la Ferme des Quatre-Temps, ce sont les gens qu’on a formés et qui travaillent aujourd’hui ailleurs. Je pense à Myrtha [Zierock] dans son vignoble, à Dany [Bouchard] devenu consultant; la liste est longue », dit d’emblée Jean-Martin Fortier, qui a été engagé par M. Desmarais pour concevoir et développer la Ferme des Quatre-Temps selon ses techniques de maraîchage biologique intensif.
Jean-Martin Fortier affirme que son implication dans les deux fermes de M. Desmarais et dans la ferme qu’il a fondée avec sa conjointe lui permet maintenant de tirer des conclusions.
« Ça prend des serres froides et chaudes. Il faut commencer à faire des légumes plus tôt et étirer la saison plus tard. Avant, personne [dans les petites fermes maraîchères bio] ne parlait de produire des légumes jusqu’en décembre en serre froide, mais ça marche et on organise même un gros congrès sur le sujet le 23 octobre prochain. Ça m’excite vraiment », dit M. Fortier.
Le levier financier de M. Desmarais lui a permis de cumuler des connaissances sur des équipements dernier cri comme les fameuses serres, une salle de nettoyage, etc. Le site de Charlevoix lui a aussi permis de découvrir une autre réalité. « J’ai compris que là-bas, la saison est tellement courte qu’il faut vraiment se grouiller au printemps pour déployer les jardins et préparer les tunnels. Ça coûte plus cher en main-d’œuvre, mais il faut agir rapidement. Sinon, les résultats ne sont pas là », souligne le maraîcher.
Deuxième temps : la promotion accrue des petites fermes
Si Jean-Martin Fortier avait déjà atteint une forte notoriété grâce à son livre Le jardinier-maraîcher, son association avec le milliardaire André Desmarais lui a permis de populariser davantage le concept des petites fermes maraîchères bio. En plus de faire un passage très remarqué à l’émission Tout le monde en parle en 2018, M. Fortier a accordé de nombreuses entrevues à plusieurs grands médias québécois ces dernières années. À cela s’ajoute la série d’émissions Les Fermiers qui a fait la promotion des produits locaux et a plongé les téléspectateurs dans la réalité des petits maraîchers.
La taille de la Ferme des Quatre-Temps a permis d’ouvrir un kiosque au Marché Jean-Talon, à Montréal, où M. Fortier et son équipe font la promotion des aliments produits directement par les petites fermes comme la leur. Celui-ci souligne d’ailleurs que le contact avec le client demeure la meilleure façon pour les petites fermes de se démarquer des gros producteurs. « Ce rapport-là que tu crées avec le client est très durable. C’est ce qui fait que les gens veulent encourager ta ferme et en faire partie », témoigne le maraîcher.
Troisième temps : difficile, l’élevage
Mais rien n’est parfait, avoue Jean-Martin Fortier. « Les animaux, c’est beaucoup plus difficile qu’on l’avait pensé. On n’a pas réussi à rendre l’élevage rentable. C’est plate, mais que veux-tu que je te dise? » atteste-t-il humblement.
Il explique, par exemple, que la mise en marché de la viande de leurs porcs au pâturage s’avère difficile. « C’est une qualité de viande exceptionnelle, mais les gens ne sont pas prêts à payer », résume M. Fortier. Le troupeau a même été diminué à 160 porcs. « On prévoit le remonter à 500, car on lance l’an prochain notre propre charcuterie et à ce moment, l’élevage de porcs sera rentable », prévoit le producteur. La main-d’œuvre nécessaire au déplacement des porcs et des bovins de boucherie engendre des frais d’exploitation difficiles à rentabiliser, sans oublier les frais élevés d’abattage et les investissements importants qu’a nécessités la construction des bâtiments d’élevage conformément aux différentes normes.
Du côté des œufs fermiers, « la demande est vraiment là! Quand on arrive au marché avec des œufs frais, on vend tout en une heure. Il faut même limiter les achats à une douzaine par famille! » dépeint M. Fortier. La production d’œufs avec les 500 poules n’est pas déficitaire ni payante. « C’est le break even », dit Jean-Martin. « Il a fallu payer 120 000 $ en quotas. Juste ça, c’est difficile à rentabiliser! Et c’est difficilement justifiable. La Fédération [des producteurs d’œufs du Québec] a la mainmise sur la production et ça ne devrait pas être ainsi. Je suis prêt à aller au bat contre ça, car même avec leur prêt de quotas, il y a trop de bâtons dans les roues au Québec pour faire des œufs fermiers », déplore-t-il.
La production d’agneaux à partir d’un élevage d’une centaine de brebis à la ferme de Charlevoix se porte bien. « On vend tout et le coût de production est plus raisonnable », décrit-il, ajoutant que globalement, la Ferme des Quatre-Temps n’a pas encore trouvé les bons réglages pour rentabiliser l’élevage d’animaux. « Mais on n’abandonne pas! M. Desmarais insiste là-dessus : il veut une ferme holistique et rentable. »
Quatrième temps : un modèle maraîcher qui fonctionne
« Le côté maraîcher, ça va super bien, juge M. Fortier. On réussit à tirer notre épingle du jeu. On est rendus à presque quatre hectares et à un chiffre d’affaires de 700 000 $ en légumes vendus », commente-t-il fièrement. L’expérience de la Ferme des Quatre-Temps lui laisse cependant croire qu’une plus petite ferme demeure le modèle à prioriser en termes de rentabilité. « Ma blonde fait plus d’argent [avec sa ferme Les Jardins de la Grelinette, d’une superficie d’un hectare], car elle garde ça simple et ses coûts d’opération sont plus bas », compare M. Fortier. Il précise qu’à la Ferme des Quatre-Temps, l’endettement associé à l’achat d’équipements et à la construction des bâtiments plombe le bilan financier. « [L’achat d’une] table en inox qui coûte cinq fois le prix d’une station de lavage normale est dur à justifier », donne-t-il en exemple. Il ajoute que la masse salariale accrue gruge les profits. « Quand c’est plus gros, tu dois avoir des échelles salariales. C’est aussi plus de frais pour gérer le staff et le loger. »
En entrevue, La Terre fait remarquer à M. Fortier que plusieurs petites fermes maraîchères peinent à atteindre le point de rentabilité. « Avant de te lancer, tu dois prendre le temps de bien te former, de travailler dans une autre ferme et d’avoir un bon plan d’affaires. Une démarche entrepreneuriale, c’est sérieux », conseille-t-il.
Accueil « écorcheur » à Charlevoix La construction de la Ferme des Quatre-Temps à Charlevoix n’a pas fait que des heureux. Des producteurs locaux ont accueilli négativement l’arrivée, dans leur paysage rural, de Jean-Martin Fortier et de son partenaire, le milliardaire André Desmarais. « C’est plus rock and roll là-bas. L’accueil par certains producteurs a été écorcheur et tout ça a laissé des traces. Les choses se replacent, mais j’ai trouvé ça difficile », confie Jean-Martin Fortier. Les agriculteurs du secteur n’ont pas apprécié de perdre des parts de marché à la suite de l’arrivée de la Ferme des Quatre-Temps. Leurs commentaires viennent de pousser à bout la personne responsable de la ferme de Charlevoix, révèle Jean-Martin Fortier. « Elle a fait beaucoup de belles choses, mais tout ça l’a grugée. Elle quitte. » |