Vie rurale 12 août 2019

La formation de sentinelle vue de l’intérieur

Le 24 juillet dernier, l’Union des producteurs agricoles accueillait pour la première fois à ses bureaux de Longueuil la formation Agir en sentinelle pour la prévention du suicide – déclinaison agricole. La journaliste Myriam Laplante El Haïli de La Terre comptait parmi les 12 participants du groupe. Dans un style très personnel rarement employé dans nos pages, elle livre ici ses impressions de cette expérience parfois déroutante, mais ô combien utile et nécessaire.

LONGUEUIL — Je suis arrivée à la formation de sentinelle confiante, un peu trop confiante. Un mois plus tôt, dans le cadre de mon travail, je m’étais entretenue avec un producteur en détresse et j’avais réussi à le diriger vers l’organisme Au cœur des familles agricoles (ACFA). L’homme avait accepté de collaborer. Mission accomplie, merci bonsoir. Ce matin-là, c’est précisément à cet événement que je repense en écrivant mon nom sur l’affichette de la formation. Ce sera facile, pensais-je naïvement; diriger des gens en détresse vers des professionnels, c’est juste ça, la job de sentinelle. Après sept heures de formation avec Jessica Plante, intervenante au Centre de crise et de prévention du suicide du Haut-Richelieu-Rouville, j’ai compris que c’était loin d’être juste ça, la job d’une sentinelle.

Suicide, ce mot difficile à prononcer

La formation n’avait débuté que depuis une heure et déjà on utilisait un mot qui me sortait de ma zone de confort : suicide. Comment la personne suicidaire se sent, comment reconnaître la clientèle vulnérable au suicide, les signes de détresse ou les moments critiques, etc. Et au moment où Jessica reprenait la lecture de sa fiche, ça m’a sauté aux yeux : la formation s’appelait Agir en sentinelle pour la prévention du suicide.

Panique. Mais qu’est-ce que je fais ici? Je ne peux pas m’occuper de gens qui sont à ce point en détresse; ce n’est pas mon rôle, pas ma place. Un sentiment d’insécurité et d’impuissance m’a subitement envahie. Et plus on avançait dans le cahier du participant, plus je me rendais compte que je n’étais pas la seule à paniquer. Il était près de midi et nous avions appris à reconnaître les signes précurseurs du suicide, mais nous n’avions pas encore abordé les stratégies à déployer pour aider la personne souffrante. « C’est normal, a dit la formatrice, tous les groupes passent par cette phase. Ne vous en faites pas », avait-elle dit avant de nous laisser aller dîner.

Des outils

J’ai pris confiance en moi au fur et à mesure que les outils en question étaient déployés par la formatrice, les exercices de mise en situation aidant, puisqu’ils ont permis de mettre immédiatement en pratique les acquis. Ce qui m’a le plus surprise, c’est à quel point il faut être direct avec la personne souffrante et lui demander de but en blanc si elle a des idées suicidaires. Pas des idées noires; il faut utiliser le mot suicide. Plus que ça, il faut lui demander si elle a un plan de passage à l’acte, et si oui, transférer ces informations à la personne-ressource du Centre de prévention du suicide ou d’ACFA. Moi qui pensais que diriger la personne en détresse vers la bonne ressource était la seule tâche de la sentinelle, je me suis rendu compte qu’évaluer son niveau de détresse était important et que c’était aussi ça, le rôle d’une sentinelle.

Je ne vais pas le cacher : à mes yeux, cette formation n’est pas faite pour tout le monde. On y partage des histoires extrêmement personnelles de proches ou de collègues qui se sont enlevé la vie, de personnes en détresse qu’on a pu aider ou non, des histoires qui remuent grandement le for intérieur.

Mais je sais à quel point cette formation me sera utile. J’ai même pu mettre mes nouveaux acquis à l’épreuve dès le samedi suivant. Un ami ne feelait pas et j’ai expliqué à la personne à qui il se confiait quoi surveiller, dire et faire lors de ses échanges avec lui. Pas pour m’improviser psychologue, mais pour l’aider au maximum de mes capacités et de mes limites et ensuite, le diriger vers les bonnes personnes-ressources. C’est à ce moment-là que j’ai pris pleinement conscience de l’importance de la sentinelle en prévention du suicide et que je me suis sentie outillée pour jouer ce rôle.

Des ressources à connaître
Besoin d’aide ? 1 866 APPELLE (1 866 277-3553)
Liste complète des centres de crise du Québec : centredecrise.ca/listecentres
Au Cœur des familles agricoles (ACFA) : 450 768-6995 ou acfareseaux.qc.ca