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Chez nous, on dirait que les saisons sont décalées. Bien sûr, dehors, c’est blanc et froid, aussi froid que puisse l’être le nord du Lac-Saint-Jean en plein cœur de l’hiver. Par contre, entre les murs de ma bergerie, c’est le printemps. Oui, oui, le printemps. Comme le disait si bien Félix Leclerc dans son hymne au printemps : « … dans l’étable crient les nouveau-nés. » Si la saison des naissances est synonyme de cette merveilleuse saison, eh bien, j’ai la chance d’y être.
Quelle joie pour moi d’ouvrir la porte le matin et d’entendre un bêlement tout petit, tout frêle, tout nouveau. Parce que oui, avec les années, on en vient à reconnaître le cri d’un nouveau-né, différent de celui d’un agneau de deux ou trois jours. L’oreille aguerrie de la bergère en moi est toujours à l’affût de cette merveilleuse musique, chaque matin, de la mi-janvier à la mi-juillet.
Cette période est celle que j’affectionne le plus, même si, à la fin juillet, je suis bien contente d’avoir un petit répit de bébés pour quelques mois.
Ce temps de l’année, bien que des plus motivants, apporte aussi son lot de petits malheurs puisqu’à travers cette frénétique valse des naissances, la mort réussit toujours à s’emparer de quelques petites vies. Malgré le fait que je fasse tout en mon pouvoir pour la tenir la plus loin possible, c’est immanquable, chaque année, quelques-uns s’éteignent sans que mes soins aient porté fruit.
C’est toujours avec le cœur gros que je me dis que le prochain, je ne lui laisserai pas. Je redouble donc de prudence et d’attentions envers les plus faibles.
Heureusement, il s’en trouve toujours quelques-uns qui échappent à cette fatalité. Ceux que j’appelle affectueusement mes petits « gréements » réussissent tant bien que mal à faire un pied de nez à cette mort si cruelle pour la bergère que je suis. Avec une immense fierté, je les vois tranquillement remonter la pente, prendre du mieux et devenir de plus en plus vigoureux. Alors là, je me dis que nous avons bien travaillé.
Évidemment, je sais bien que cet agneau trop petit n’aurait pas survécu sans mon aide, ou celui avec sa petite patte croche, ou même le petit dernier d’une gang de quatre, dont la maman n’a pas de temps à lui consacrer. Je sais aussi que ces agneaux resteront un peu plus longtemps avec moi, mais pour moi, il est primordial de leur donner leur chance.
J’ai décidé il y a maintenant 14 ans de vivre de cette production. Pour moi, chaque vie est précieuse et c’est mon devoir de la protéger.
Bien sûr, je suis productrice d’agneaux et, conséquemment, il doit y avoir une fin pour mes bêtes. Ainsi va la vie pour tous les éleveurs de ce monde, mais chaque fois, j’ai le sentiment du devoir accompli, d’avoir mené à bien ce à quoi je suis destinée. Même si j’ai longtemps pleuré certains départs, maintenant, je suis fière de mon élevage, fière de la manière dont mes animaux sont traités et soignés, fière d’offrir un produit de qualité, élevé avec amour, passion et soin.