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Laissez-moi vous raconter mon mardi soir. Un mardi qui semble « normal », tranquille, sans flafla. Je suis installée dans mon lit et je tricote (cliché de la femme d’agriculteur qui attend son homme).
Donc, j’enchaîne une maille après l’autre lorsque je reçois un texto m’indiquant : « Vêlage difficile. » À ce moment précis, je me questionne : s’agit-il d’une information ou d’un appel à l’aide? Je demande à mon conjoint s’il a besoin de moi à la ferme. Il me répond : « Oui. » Un seul mot qui en dit beaucoup. Généralement, mon chum est l’homme de la situation en matière de vêlage; il a rarement besoin d’aide. Encore moins de mon aide. L’heure est grave.
J’enfile le plus vieux de mes moins vieux jeans, mon t-shirt de sauveteur (ce détail est important, gardez-le en tête) et je fonce en courant à la ferme. C’est là que je trouve mon conjoint, les deux mains dedans (l’action). « Le veau se présente par le siège. Viens m’aider! » J’hésite entre l’envie de perdre connaissance à la vue de toutes ces matières visqueuses et le désir de sauver ce petit veau. Je choisis la deuxième option.
Mon conjoint me guide avec sa voix, m’indiquant où trouver les objets dont il a besoin. « Va chercher la corde jaune à côté de la laiterie, mais pas dans la laiterie; mettons proche de la laiterie et la chaîne aussi. » Avec ses explications si précises, je pars en mission. Lorsque je reviens, la future mère est debout. Je comprends donc que mon « travail » commence : mon chum attache la patte du veau avec la corde et ensemble, nous faisons un contrepoids (style de balancier) pour faire sortir le veau.
À ce moment-là, je ne réfléchis aucunement, car c’est hors de mes capacités. Je me contente de faire ce que mon conjoint me dit. J’attrape la corde (visqueuse). On force, on espère, on attend, on prie. Le veau finit par sortir. Une belle génisse; elle respire. Non, elle respirait. Je ne peux pas croire qu’elle ne respire plus. Sans réfléchir, je propose de faire la réanimation cardio-respiratoire. Rappelez-vous que je suis sauveteur.
Et c’est là qu’un mardi soir « normal » en apparence, je me suis mise à masser une génisse nouveau-née, visqueuse et en pleine allée d’étable. J’ai forcé, j’ai sué, j’ai espéré et j’ai échoué. Elle n’a jamais retrouvé son souffle. J’ai pleuré, beaucoup pleuré, même. Je venais de toucher à la mort, cette triste réalité où deux personnes ont tout tenté pour sauver leur génisse. Elle ne devait pas mourir : pas après tant d’efforts, pas devant mes yeux, pas après un massage cardiaque. J’ai pleuré, tremblé et je suis retournée tristement à la maison.
« Comment fais-tu pour ne pas pleurer? » ai-je demandé à mon conjoint. « Je ne pleure pas, car je suis fier de toi, Hélen. Réalises-tu que tu as tout fait pour la sauver? Je suis tellement fier de l’équipe que nous formons ensemble! » Et c’est ainsi que je me suis endormie un mardi soir pas banal du tout.
Hélen Bourgoin, Agrimom.