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Très présente dans plusieurs régions du Québec, la livrée des forêts sévit toujours. Figurant parmi les insectes défoliateurs les plus connus, elle préoccupe bon nombre de producteurs acéricoles en raison des pertes de revenus potentielles dont on la rend responsable. Le point sur la question.
Dans nos contrées, la « bibitte » n’est pas nouvelle. La première invasion notable, relativement bien documentée, remonte à 1791. Au Canada, la livrée des forêts a été observée sur 29 essences différentes, dont 27 sortes de feuillus. En ordre décroissant, ses hôtes préférés demeurent toutefois le peuplier faux-tremble, le bouleau à papier, l’érable à sucre, le saule et le chêne rouge. L’érable rouge, par contre, ne l’intéresse guère.
Cette année, des acériculteurs de certains secteurs de l’Estrie ont rapporté que la chenille avait frappé fort. En 2017, les Laurentides et l’Outaouais avaient été particulièrement touchées. Le biologiste au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) Pierre Therrien rappelle qu’un inventaire aérien est réalisé tous les ans. Pour 2018, les données sont actuellement en traitement et ne peuvent donc être diffusées à ce moment-ci.
« Des observations faites sur le terrain laissent présager une baisse en Abitibi-Témiscamingue, mais pour les autres régions – Outaouais, Laurentides, Lanaudière, Montérégie, Estrie et Centre-du-Québec –, il subsiste encore des populations. Il faut néanmoins savoir que la livrée fait partie de l’écosystème et ne tue pas, en principe, les peuplements. D’autres causes ont un impact plus important », indique M. Therrien.
Agir ou non?
En moyenne, une infestation dure de trois à quatre ans et se déplace pendant cette période. Normalement, les parasites, les prédateurs, les maladies et le gel maintiennent les populations de livrées à un niveau endémique.
Même en phase de pullulation, ces facteurs contribuent largement – jusqu’à 80 % – à réduire la quantité de larves. Lors d’infestations graves, la mouche sarcophage intervient en pondant dans les cocons.
Pour diverses raisons, il arrive malgré tout que le recours à une aide supplémentaire soit souhaité. Dans ce cas, l’insecticide biologique Bacillus thuringiensis (Bt) est employé. Une évaluation des pertes anticipées s’impose alors, pertes que l’on doit comparer au coût d’un arrosage printanier qui permet, en quelques jours à peine, de supprimer une bonne partie des chenilles. C’est le choix qu’a fait l’acériculteur Roger Masson.
« Cette année, chez nous, le problème était exponentiel! témoigne le propriétaire de l’érablière du même nom, située à Compton, en Estrie. Je vis sur les lieux et je ne voulais plus être là! Pour les soupers de cabane à sucre, ça aurait carrément fait fuir le monde tellement il y en avait… » Ses voisins et lui – une dizaine de producteurs – ont opté pour un épandage collectif de Bt par hélicoptère. Facture totale de l’exercice : 70 000 $.
Convaincu qu’une offensive commune a plus de chances d’être efficace qu’une action en solitaire, Roger Masson confirme que l’opération a réussi. « Mais il faut la faire au bon moment, qu’il n’y ait pas de pluie, et idéalement, probablement que plusieurs arrosages seraient nécessaires », précise-t-il. Le même genre d’initiative s’est organisé l’an dernier à Saint-Esprit, dans Lanaudière, mais Sylvain Grégoire, lui, a décidé de ne pas y participer. « Je ne voulais pas empoisonner. J’ai préféré laisser faire la nature et ne pas embarquer avec les autres, rend compte le propriétaire de la Cabane à sucre chez Oswald. En 2013, j’ai utilisé le Bt et ça n’a pas donné grand-chose au final… L’année d’après, j’ai quand même eu une bonne récolte. J’aime mieux travailler en prévention et j’ai plutôt misé sur un plan d’aménagement. Pour les érables fragiles, on a par exemple devancé l’abattage. »
L’avis du spécialiste
La livrée des forêts affecte-t-elle la production de sirop d’érable? « On pourrait penser que la défoliation influe sur les réserves de l’arbre et, de ce fait, sur la production de sirop, mais beaucoup d’autres variables, comme le climat, jouent un rôle. Il n’y a pas d’information scientifique qui le démontre. Des recherches ont été faites au Vermont et dans le Maine, mais les résultats ne sont pas concluants », répond Pierre Therrien.
Sans exclure l’application de Bt, le spécialiste prône plutôt un aménagement sylvicole adéquat et à long terme (favoriser une bonne densité des tiges, le maintien des essences compagnes, la régénération et les arbres les plus vigoureux; éviter de blesser les érables; amender le sol au besoin; entailler de façon conservatrice). « Pour un acériculteur, une infestation peut être une opportunité d’évaluer la santé de son érablière », conclut-il.