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Au Québec, près de quatre propriétaires forestiers sur cinq récoltent du bois sur leurs lots pour assurer le chauffage de leur maison, de leur chalet ou de leur évaporateur à sirop d’érable.
Même si cette pratique remontant au début de la colonisation semble inscrite dans nos gènes, elle n’a plus grand-chose en commun avec l’image traditionnelle des bûcherons de nos livres d’histoire.
« Je dirais qu’on retrouve aujourd’hui autant de propriétaires privés que de producteurs commerciaux, mais ces derniers accaparent environ de 85 à 90 % du marché du bois de chauffage », estime l’ingénieur forestier Sylvain Rajotte.
Directeur général d’Aménagement forestier et agricole des Sommets, à Coaticook, il a été témoin de la transformation du marché. « Il y a 40 ans, on retrouvait des gens qui produisaient des quantités limitées de bois de chauffage comme 20, 30, 40 ou 50 cordes. Puis, ils vendaient ça et ça leur procurait un revenu d’appoint. Aujourd’hui, quelqu’un qui fait du bois de chauffage se doit d’être productif, sinon il va travailler sous le salaire minimum. »
Selon Sylvain Rajotte, il existe deux types de producteurs : celui qui bûche pour ses propres besoins ou ceux de sa famille et celui qui s’équipe en vue d’une production commerciale. « Ce dernier va acquérir un moulin à bois de chauffage qui peut produire de quatre à cinq cordes à l’heure, coupées et fendues. Pour un homme qui travaille manuellement, faire une corde à l’heure, c’est beau pas à peu près. Il va pouvoir le noter dans son agenda. » Le prix des moulins à bois de chauffage varie évidemment selon le modèle et la qualité, mais il faut compter au moins 8 000 $ pour un équipement de base.
Une situation que confirme Jean-Paul Roy, un entrepreneur électricien à la retraite de Coaticook, qui bûche depuis près de 50 ans. Il faisait partie, jusqu’à il y a quelques années, de ces propriétaires qui vendaient des cordes de bois. « Je ne touche plus à ça. C’est de l’ouvrage pis ce n’est pas vraiment payant. Tu travailles pour 7, 8, 10 $ l’heure. Travailler à ces prix-là dans ce temps-ci, oubliez ça. Les clients sont de plus en plus difficiles et la rentabilité n’est plus là », précise celui qui se contente aujourd’hui de couper les 12 cordes de bois nécessaires à ses propres besoins.
Analyser… puis couper
La première chose que doit savoir un producteur forestier désirant couper son bois de chauffage, c’est qu’il est important de bien connaître son boisé. « Un plan d’aménagement, c’est encore mieux puisque ça aide à diriger ses interventions », précise Sylvain Rajotte.
Et l’élément essentiel que le propriétaire doit toujours conserver en tête,
c’est que le bois de chauffage se retrouve au bout de la ligne de la valorisation du bois. Dans un premier temps, un arbre sera donc abattu pour les produits de qualité qu’on pourra en extraire : le bois de déroulage d’abord, puis le bois de sciage, et enfin, ce qu’on appelle communément le bois de palette. Dans un deuxième temps, une autre section de l’arbre servira à alimenter les papetières comme Domtar en Estrie ou Fortress en Outaouais. « C’est juste ensuite qu’on arrive au bois de chauffage », explique l’ingénieur forestier.
Augmenter sa productivité
Tout en permettant de générer une douce chaleur dans les habitations durant les longs mois d’hiver, la récolte du bois de chauffage se veut aussi la meilleure façon d’augmenter la productivité des boisés. « Cela permet de dégager les arbres en pleine croissance qui présentent une plus grande valeur commerciale », note Marc-André Rhéaume, responsable à l’aménagement forestier à la Fédération des producteurs forestiers du Québec. C’est ainsi que l’ingénieur forestier suggère de commencer à couper le bois mort, les arbres qui dépérissent, qui sont renversés ou ont le tronc courbé. « La récolte du bois de chauffage, c’est une bonne activité pour s’initier à l’aménagement de sa forêt », ajoute-t-il.
Sur ses 350 acres de lots, où il extrait annuellement 60 grosses cordes (4 pi x 4 pi x 8 pi) pour le bois d’œuvre, Jean-Paul Roy met en pratique cette règle de base en sylviculture. « Une forêt, c’est comme un grand jardin. Pis un jardin, ça prend du temps à produire », philosophe-t-il.
La période idéale pour couper le bois est en hiver lorsque la sève a totalement quitté l’arbre, mais on peut aussi s’y mettre à l’automne dès que les feuilles sont tombées, explique Marc-André Rhéaume. « Ce qui fait la qualité du bois, c’est un bon fendage qui permet de bien le sécher et un bon entreposage. Du bois trop humide, c’est ça qui encrasse les cheminées et qui crée une fumée qui n’est pas intéressante », renchérit Sylvain Rajotte.
Une fois coupé et fendu, le bois sera disposé dans un endroit aéré en prenant soin de recouvrir la partie supérieure de la corde pour la protéger de la pluie. L’humidité ayant disparu durant la saison estivale, le bois sera alors prêt à être entré en prévision des grands froids.
Économie souterraine : une époque révolue ou presque
Comme les producteurs commerciaux dominent le marché – certains produisent près de 1 500 cordes par année –, il n’est pas étonnant de constater que l’époque de la corde de bois payée sous la table en argent comptant est pratiquement révolue. « Ce n’est plus une économie souterraine, acquiesce Sylvain Rajotte. Ce sont des entreprises qui ont pignon sur rue et qui perçoivent la TPS et la TVQ comme n’importe quelle autre. »
Difficile de déterminer le prix d’une corde de bois de chauffage puisqu’il varie d’une région à l’autre. Deux facteurs peuvent justifier ces écarts, explique le directeur d’Aménagement forestier et agricole des Sommets : le coût du transport et le jeu entre l’offre et la demande. « On ne sera pas surpris d’apprendre qu’une corde de bois à Montréal, c’est plus cher qu’en Estrie. »
Pour bien illustrer combien les temps ont changé, Sylvain Rajotte explique qu’un propriétaire forestier sans équipement de pointe ne se lancera jamais dans une production commerciale de bois de chauffage. « C’est comme si on demandait aujourd’hui à un producteur laitier de traire ses vaches à la main », conclut-il.
Bernard Lepage, collaboration spéciale
Cet article est paru dans l’édition de septembre 2018 de la revue Forêts de chez nous.