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En ce début d’année, le moment semble idéal pour revisiter l’environnement économique de l’industrie forestière et ainsi permettre aux producteurs de bois d’entrevoir les conditions de vente en 2018.
Le marché immobilier stimule la demande pour les produits du bois
La demande pour les produits de construction en bois croît à mesure que le marché immobilier américain s’épanouit. En 2017, les mises en chantier ont atteint un rythme de 1,2 million d’unités aux États-Unis. C’est bien, mais toujours insuffisant pour loger les 1,5 million de nouveaux ménages qui se forment chaque année. On estime que depuis 2006, la crise immobilière a créé un gouffre de plus de 6 millions de résidences nécessaires pour loger l’ensemble des nouveaux ménages. Pour pallier cette demande latente, le rythme de construction devrait s’accroître de 6 % en 2018 et de 24 % d’ici 2021.
L’immobilier connaît bien quelques ratés : le manque de lotissement freine le développement, la croissance rapide de la valeur des maisons favorise la spéculation, le manque criant de main-d’œuvre spécialisée en construction ralentit les chantiers et la hausse disproportionnée du coût des matériaux (bois d’œuvre canadien taxé!) accroît le coût de construction. Toutefois, ces turbulences n’affectent toujours pas les paramètres fondamentaux du marché.
La vigueur de l’économie, un marché de l’emploi robuste et la croissance des salaires permettent aux ménages américains d’opter pour des résidences unifamiliales au détriment des -logements collectifs. C’est en soi une bonne nouvelle pour l’industrie forestière, car la construction d’une résidence -unifamiliale nécessite près de trois fois plus de bois d’œuvre et de panneaux structuraux en bois que celle d’un logement collectif.
Puis, la renaissance du marché immobilier se traduira -également par une hausse de près de 8 % par année des dépenses en rénovations domiciliaires. Enfin, plusieurs catastrophes météorologiques ont endommagé une partie non négligeable du parc résidentiel américain (les ouragans Harvey au Texas, et Irma en Floride, et les feux de forêt en Californie) et la réparation de ces infrastructures résidentielles nécessite d’importants volumes de produits de construction de bois.
Le dynamisme du marché immobilier soutient la demande pour les produits du bois puisque la construction, la rénovation et la réparation de maisons accaparent les trois quarts de la production de panneaux à lamelles orientées (OSB), les deux tiers du bois d’œuvre résineux, ainsi que le tiers des panneaux d’apparat en bois.
Cette situation réjouira sans doute les dirigeants de Louisiana-Pacific, Norbord, Forex, Arbec, Uniboard et Tafisa, qui détiennent tous des usines de panneaux au Québec, tout comme les nombreux propriétaires de scieries de bois d’œuvre résineux.
L’industrie multiplie les investissements
La croissance de la demande provoque inévitablement une réponse de l’industrie qui redémarre les capacités excédentaires fermées pendant la crise forestière.
Panneaux à lamelles orientées (OSB)
Au cours des derniers mois, la capacité de production de panneaux à lamelles orientées était clairement insuffisante, ce qui a décuplé les prix. Toutefois, trois usines ont démarré à la fin 2017 : RoyOMartin et Norbord aux États-Unis ainsi que Forex à Amos. Deux autres usines s’ajouteront au début de 2018, soit Tolko en Alberta et Huber au Tennessee. L’ouverture quasi synchronisée de cinq usines de panneaux en Amérique du Nord crée, dans un premier temps, une pression temporaire sur les prix, puis dans un deuxième temps, retarde la mise en activité potentielle de l’usine de Norbord à Chambord. Tant en forêt publique qu’en forêt privée, des quantités importantes de bois de peuplier ne trouveront pas preneur tant que cette usine ne redémarrera pas.
Bois d’œuvre résineux
Les taxes de 20 % sur le bois d’œuvre canadien favorisent les scieries américaines. Celles-ci ont gonflé leurs bénéfices et -profitent de la situation pour accroître leur production. À preuve, la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ) a recensé depuis 2016 des investissements d’environ 1 G$ qui visent à accroître la capacité de production dans le sud des États-Unis. Cinq scieries modernes seront ajoutées au parc existant et plusieurs compagnies ont annoncé des programmes d’investissements pour moderniser leurs installations. C’est -principalement de cette région que proviendra la hausse de l’offre nécessaire pour répondre à la croissance de la demande.
Pendant ce temps, malgré les taxes sur le bois d’œuvre -résineux, les scieries canadiennes maintiennent leur offre, tout comme leurs revenus. En effet, les consommateurs américains ont, bien malgré eux, absorbé ces coûts supplémentaires, comme en font foi les prix records obtenus sur les marchés. Cependant, le conflit commercial avec les États-Unis et la chute de la possibilité forestière en Colombie-Britannique réduiront graduellement la capacité du Canada à fournir du bois d’œuvre.
Au Québec, il sera difficile pour l’industrie d’accroître -davantage sa production en raison du manque de ressources. En 2016, les producteurs forestiers de la forêt privée ont livré 87 % des volumes mobilisables de sapin-épinette de qualité sciage. En forêt publique, c’est 94 % des volumes de sapin, -épinette, pin gris et mélèze (SEPM) consentis en droits forestiers qui ont été consommés par les scieries. Il reste donc peu de marge de manœuvre pour accroître les approvisionnements et donc la production. À moins bien sûr que l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette ne vienne augmenter temporairement l’offre.
Panneaux d’apparats en bois (MDF et particules)
Kronospan (362 M$ US), Arauco (400 M$ US) et Egger
(310 M$ US) ont annoncé récemment des investissements massifs dans ce segment de marché. Deux nouvelles usines de panneaux de particules et de nouvelles chaînes de production à la fine pointe de la technologie verront le jour entre le printemps 2018 et 2020 aux États-Unis. À eux seuls, les projets annoncés par Arauco et Egger contribueront à une augmentation de 13 à 18 % de la capacité de production nord-américaine. Dernièrement, la demande a crû à un rythme d’un peu plus de 2 % par année. Il faudrait donc encore plusieurs années de croissance ininterrompue pour absorber cette nouvelle capacité. Tafisa et Uniboard souffriront-ils de cette concurrence accrue?
Un contexte favorable pour les prix
Le prix des produits forestiers a été généralement favorable ces dernières années en raison d’une demande accrue et du taux de change qui a favorisé les exportateurs canadiens. Tout indique que 2018 et 2019 s’avéreront tout aussi favorables. D’un côté, le dollar canadien devrait osciller aux alentours de 0,80 $ US. À ce niveau, un exportateur canadien réalise des gains de 25 % sur les produits vendus à l’étranger et négociés en dollars américains, comme c’est généralement le cas pour les produits forestiers. De l’autre côté, bien que l’augmentation de l’offre sur les marchés puisse se traduire par de légères baisses de prix, ceux-ci demeureront néanmoins élevés selon les standards historiques et plus que suffisants pour assurer la rentabilité de la filière.
Et les producteurs de bois dans tout ça?
Dans l’ensemble, la demande vigoureuse pour les produits du bois devrait se refléter par des livraisons importantes de bois rond aux usines concernées. Au cours des dernières années, le bois de sciage résineux a été le principal vecteur de croissance des livraisons de bois de la forêt privée. Or, il reste peu de place à l’amélioration puisque la presque totalité des volumes disponibles sont récoltés et que le conflit commercial avec les États-Unis pourrait fragiliser temporairement la demande en provenance de ces usines. Les producteurs forestiers ont aussi augmenté leurs livraisons aux usines de panneaux ces dernières années, mais le démarrage successif de plusieurs usines ailleurs en Amérique du Nord limite le potentiel de croissance sur ces marchés.
Quant aux bois livrés aux pâtes et papiers, bien que la demande soit forte pour la pâte de bois et les papiers et cartons d’emballage, elle chute pour les papiers d’impression. Qui plus est, une plainte commerciale des États-Unis à propos du papier non couché à base de pâte mécanique (ex. : papier journal et -circulaires) et la surabondance de copeaux produits par les -scieries viennent sérieusement fragiliser ce marché pour les producteurs de bois. En conclusion, le niveau de récolte de bois en forêt privée devrait être similaire à ceux obtenus en 2016 et 2017.
Vincent Miville, ing. f., M. Sc., économiste forestier
Cet article a été publié dans l’édition de février 2018 du magazine Forêts de chez nous.