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SAINT-LÉONARD-DE-PORTNEUF — Les propriétaires de vieilles granges devront-ils installer un système de surveillance en continu pour éviter le vol des murs de leurs bâtiments?
La question peut paraître insolite de prime abord, mais elle se pose avec justesse compte tenu de la multiplication des vols de planches de bâtiments de ferme survenus au cours des derniers mois. Sans parler d’épidémie, la situation soulève suffisamment d’inquiétude pour que des producteurs et des protecteurs du patrimoine agricole soient aux aguets.
C’est le cas dans la MRC de Portneuf, près de Québec, où deux agriculteurs ont vu leurs vieux bâtiments être dépouillés de leurs murs depuis le début de l’hiver, l’un dans la municipalité de Deschambault-Grondines et l’autre à Saint-Léonard-de-Portneuf. Ce dernier, Jean-Paul Bhérer, un producteur de vaches-veaux, est propriétaire d’une grange de 70 ans. « Les gars qui ont fait ça étaient sûrement des habitués. Pour récupérer les planches aussi rapidement, c’est certain qu’ils avaient une méthode de travail. Ils ont tout pris », rapporte l’agriculteur.
Le bâtiment était jusque-là en très bonne condition, selon son propriétaire qui l’utilisait pour y ranger de l’équipement et des balles rondes. Située à deux kilomètres de la ferme, la grange faisait 10 m sur 15 m. M. Bhérer croit que les voleurs l’ont sans doute repérée par les sentiers de véhicules tout terrain des environs. Le vol a eu lieu à la toute fin de l’automne, à un moment où la circulation est réduite à la ferme, ce qui assure la quiétude aux pillards.
En forte demande
Ce producteur n’est pas le seul. Les voleurs sévissent dans plusieurs endroits au Québec comme en Ontario, a relevé la Terre. Au cours de la dernière année, de vieux bâtiments ont ainsi été dépouillés de leurs murs au Lac-Saint-Jean comme dans la région de Kingston. La cause la plus souvent évoquée est l’engouement pour le bois de grange aux fins de décoration, ce qui fait exploser sa valeur.
Sur des sites Internet de petites annonces, les offres et les demandes de bois de grange sont nombreuses. Une personne, établie en Estrie, s’annonce sur Kijiji et y fait état de ses besoins de 10 000 pi2 de planches… par semaine. Les prix offerts à l’achat varient de 1 $ à 5 $/pi2, mais pourraient aller jusqu’à 10 $, selon certaines sources. De quoi en faire saliver certains. « Une seule planche de 12 po sur 12 pi vaut sans doute plusieurs dizaines de dollars, estime M. Bhérer. Vous imaginez ce que rapporte ce type de vol? »
Les récupérateurs de ce vieux matériau avouent devoir être vigilants pour éviter le recel. « Je n’achète que le bois que j’ai d’abord repéré et seulement dans les environs », affirme Marie-Claude Vézina, propriétaire de Baldwin Récupération, de Bury en Estrie.
Elle soutient que l’entreprise qu’elle a achetée il y a cinq ans a été l’une des premières dignes de ce nom à faire la récupération de bois de grange en 2001. De plus, elle croit que sa « cour à bois est encore parmi les plus importantes au Québec ».
« Environ 60 % de mes clients sont des particuliers et 40 % sont des entrepreneurs et des décorateurs. On voit aussi de plus en plus de jeunes qui se lancent dans des projets artisanaux. »
Dans la région de Portneuf, un appel à la vigilance est lancé aux propriétaires. Sur son portail Internet, la municipalité de Deschambault-Grondines invite ses citoyens à demeurer attentifs et à communiquer avec la Sûreté du Québec s’ils sont témoins de méfaits ou d’actes de vandalisme.
Bhérer, lui, ne se fait pas d’idée. Il ne retrouvera pas ses vieilles planches de grange. Sa compagnie d’assurances a fait installer des murs temporaires qui seront refaits au printemps. Et il compte bien rester très vigilant pour protéger ses autres bâtiments.
Patrimoine menacé Le directeur général de l’organisme Culture et patrimoine Deschambault-Grondines, Donald Vézina, s’insurge contre cette mode. « Au moins deux fois, j’ai publié des messages sur les réseaux sociaux pour inviter les décorateurs à abandonner cette mode du bois de grange », explique-t-il. Il a également rédigé un appel à la sauvegarde du patrimoine rural bâti dans le bulletin municipal. « Nous n’avons pas d’autres moyens que la sensibilisation pour empêcher la disparition de ces bâtiments, qui font partie de notre patrimoine paysager », signale M. Vézina. « Ces vols de planches de grange et, de façon plus large, la disparition des vieux bâtiments, fait beaucoup jaser au sein de notre comité », indique Éliane Trottier, agente de développement culturel à la MRC de Portneuf et coordonnatrice de la Table de concertation sur la préservation du patrimoine. Elle reconnaît que la sensibilisation est l’un des seuls moyens susceptibles de freiner le phénomène de dilapidation du patrimoine agricole bâti. Son service s’apprête d’ailleurs à lancer un guide de bonnes pratiques en matière de préservation du patrimoine agricole, bâti et paysager, pour influencer et aider les propriétaires des 18 municipalités de la MRC dans leurs décisions. |