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Au bout du fil, l’émotion étrangle la voix de Sarah. La jeune femme de 32 ans, fille de Pierre-Maurice Gagnon, est coiffeuse au quotidien. Elle ne peut cependant imaginer que les boisés de son père pourraient un jour lui échapper, faute de connaissances suffisantes pour en prendre la responsabilité.
« C’est tellement une belle richesse », s’enthousiasme-t-elle au sujet de la forêt de son père, président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec.
« Je ne suis pas capable d’envisager que les terres de mon père seront vendues parce que je ne suis pas capable de m’en occuper », parvient-elle à dire. Un long silence suivra.
Sarah, tout comme sa sœur Catherine d’ailleurs, a suivi le cours d’abattage d’arbre et d’entretien d’une scie mécanique. Elle admet qu’elle ne pourra jamais suivre la cadence d’un homme, mais estime que cette formation lui permettra de mieux comprendre les subtilités de l’aménagement forestier. En compagnie de son conjoint, elle est d’ailleurs en train de se construire un chalet à proximité de la cabane à sucre familiale. Un jour, elle se voit très bien posséder des lots forestiers, quitte à en confier l’aménagement à une tierce partie.
« Je pourrais engager des ouvriers pour effectuer les travaux, mais je veux être capable d’évaluer le travail qui se fait », confie-t-elle. Celle-ci doute aujourd’hui qu’elle pourrait un jour vivre essentiellement des revenus tirés de la forêt, persuadé d’en tirer d’abord un apport secondaire.
« Je ne sais pas si je pourrais me rendre là », admet-elle quand même.
Sans en faire un métier, note Catherine pour sa part, la forêt représente d’abord à ses yeux un passe-temps de choix qui rejoint ses valeurs. Cet amour pour la forêt, convient-elle, lui provient de son père à qui elle voue une grande admiration. « Ce n’est pas gênant de dire que je suis la fille de Pierre-Maurice Gagnon et des Pierre-Maurice, il n’y en a pas 50 », lance-t-elle avec conviction. De son enfance, elle garde un vif souvenir à construire des cabanes dans le bois, se balader en ski de fond, en raquettes ou encore à y inviter tous les parents et amis.
« On a toujours eu du plaisir dans le bois, en famille à la cabane à sucre, évoque-t-elle. Je ne m’ennuie pas en forêt et j’aime mieux ça que de sortir dans les bars.
Pierre-Maurice Gagnon est bien heureux de constater l’intérêt de ses filles pour sa forêt, visiblement plus grand que pour l’agriculture. Il admet avoir été surpris par leur réaction quand il a été forcé de vendre certains lots, voyant que « cela leur a fait mal au cœur ».
Le président de la Fédération dit avoir laissé ses filles libres de l’accompagner en forêt. La cabane à sucre et « des nuits à faire bouillir », le ski de fond et la raquette ont été autant d’occasions de les initier à la vie forestière. Il profitait de chaque visite pour partager sa science de la forêt, « leur montrer à identifier les arbres ».
Sarah admet avoir suivi son père en forêt avec intérêt depuis sa tendre enfance. Bien qu’elle aurait aimé s’impliquer davantage, elle jugeait que « ce n’était pas un métier pour une fille ». Les choses changent et avec les années elle considère maintenant que les femmes peuvent jouer un plus grand rôle en forêt.
« La forêt est encore un monde d’hommes », convient toutefois Pierre-Maurice Gagnon. Ce dernier constate tout de même « une lente évolution », disant voir plus de femmes devenir propriétaires de boisés. S’il observe la présence accrue de femmes lors des assemblées syndicales, il déplore leur faible représentation au sein des conseils d’administration.
« Autrefois, relate-t-il, il était fréquent d’entendre un propriétaire affirmer qu’il allait vendre ses lots boisés parce que ses garçons n’étaient pas intéressés à prendre la relève. Quand une femme tombait veuve, c’était automatique, elle vendait. »
« Les choses changent, ajoute-t-il. Ce n’est plus vrai que c’est rien qu’aux garçons. Les femmes ont pris leur place et elles sont capables de travailler en forêt. Il y a tellement de nouvelles méthodes et des moyens modernes comme la géomatique. On retrouve aussi de la belle petite machinerie. Il sera quand même toujours important de connaître son boisé. »
Ce texte a été publié dans la revue Forêt de chez nous en février 2016. Il a valu à son auteur, Pierre-Yvon Bégin, d’être le récipiendaire du prix Rosaline-Ledoux en 2016. Ce prix a été créé en 2009 en hommage à la carrière de la journaliste-chroniqueuse Mme Rosaline Ledoux qui a œuvré pendant près de 50 ans à l’avancement des femmes en milieu rural dans les pages de La Terre de chez nous.