Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Si vous circulez près de Grondines sur la route 138 bordant la rive nord du fleuve, une plantation d’épinettes cache un impressionnant projet faunique. Pas moins de 45 étangs ayant nécessité des centaines d’heures de travail y ont été aménagés.
Ce projet spectaculaire est l’œuvre d’une vie, celle de Sylvain Duval. Ce producteur forestier n’est cependant pas seul dans cette aventure puisque quatre autres propriétaires se sont engagés avec lui dans ce projet d’aménagement d’habitats fauniques. « Il y a dix ans, je discutais avec mon voisin André Boudreault, et on se disait qu’il était pour le moins dommage de voir tous ces poissons mourir au printemps… »
Un phénomène meurtrier
Tous les riverains du fleuve, du golfe jusqu’à Trois-Rivières, voient l’eau monter et descendre deux fois par jour : ce sont les marées. Plus hautes au printemps, elles inondent alors près de la moitié de la forêt de M. Duval. Lorsque l’eau se retire, les poissons demeurent emprisonnés dans les cuvettes. Par évaporation et percolation, les poissons se retrouvent à sec et meurent. Pour contrer ce phénomène, les cuvettes ont été agrandies en étangs et reliées jusqu’au fleuve par des canaux permanents. Non seulement les poissons n’y demeurent plus emprisonnés, mais ils y vivent et y frayent.
Des étangs au pluriel
Les travaux n’ont pas été exécutés au hasard. Les 45 étangs ont été réalisés à la pelle mécanique, dans un secteur humide qui sillonnait déjà la forêt d’un bout à l’autre, jusqu’au fleuve. Pour M. Duval, ce concept était doublement gagnant : d’une part, il permettait d’assécher des sections de terrain, maintenant plus propice à la croissance des arbres; d’autre part, il créait une multitude d’habitats fauniques. À cet égard, le travail est colossal. La majorité des étangs aménagés comporte une île au centre conçue exprès pour la sauvagine, qui peut y déposer ses œufs à l’abri des prédateurs. Des nichoirs pour les canards de surface (noirs et malards) de même que des cabanes pour les canards branchus ont été construits et positionnés à plusieurs endroits. « Pendant la saison morte, je visite chaque nichoir afin d’ajouter de la paille, relate M. Duval. Mais favoriser la nidification des oiseaux ne se résume pas seulement à installer des nichoirs. Nous restreignons également nos allées et venues près des étangs, et ce, du printemps jusqu’au début de l’été. Il est crucial de ne pas déranger les oiseaux en cette période de reproduction. » Parce que son lot se trouve en pente jusqu’au fleuve, les étangs sont étagés, et l’exutoire de chacun comprend un seuil dont le rôle consiste à maintenir un niveau d’eau suffisant pour les poissons. D’ailleurs, les pêches expérimentales du printemps dernier ont confirmé l’abondance de menés et de perchaudes, comme celle de dorés, d’achigans et de brochets. De l’aveu de M. Duval, la seule erreur de conception, résolue depuis, concerne les seuils situés très près du fleuve. « La marée de tous les jours érodait les premiers seuils.
Nous avons dû les refaire en roches plutôt qu’en glaise. Maintenant, tout est très solide. » Au final, près de dix années de travaux ont été nécessaires, et M. Duval estime y avoir investi personnellement 10 000 $. Le résultat lui plaît énormément. « Tu ne peux pas t’imaginer le nombre de hérons, de rapaces, de butors, de canards et d’oiseaux de toutes sortes qu’on voit maintenant ici. L’autre matin, j’ai eu le privilège d’observer une grosse chouette chasser un rat musqué. La faune s’est rapidement emparée de ces nouveaux habitats. Nous y apercevons des chevreuils, des loutres, des poissons et y entendons des concerts assez exceptionnels de batraciens! Vraiment, c’est une belle réussite. »
Une forêt également améliorée
Du point de vue forestier, les étangs remplacent un milieu autrefois peu productif, peuplé d’aulnes et de quenouilles. Aujourd’hui, les pourtours de ces points d’eau comprennent 600 feuillus nobles. « Deux fois par année, je m’assure de la santé de chaque arbre et je replace au besoin leur spirale antirongeurs. La première année, nous avons connu une sécheresse et nous avons dû les arroser un à un. Mes enfants, ma femme et moi avons transporté je ne sais combien de chaudières d’eau! » Les peuplements d’ormes, de frênes et d’érables argentés ont été mis en valeur en dégageant les aulnes pour favoriser leur régénération. Des endroits non traités ont toutefois été conservés afin de créer des zones opaques, servant de cachettes à différents oiseaux et mammifères. La maladie affectant l’orme et le frêne, le propriétaire a regarni de feuillus nobles les endroits décimés.
Le pacte
Malgré l’envergure de ces réalisations, et aussi surprenant que cela puisse paraître, il ne s’agissait que de la phase I. En effet, la phase II se concrétisera par des aménagements similaires effectués chez les autres membres du Regroupement des propriétaires du marais de Grondines. Présidé par M. Duval, ce regroupement compte cinq membres qui ont volontairement cosigné un pacte de 20 ans stipulant qu’ils consacrent une partie de leurs terres à la préservation de la faune et de la flore. Le sérieux de cette démarche leur a permis de récolter du financement. La Fondation de la faune s’est avérée un partenaire très important, défrayant des coûts liés à l’étude de conception et ceux d’une partie des travaux. L’usine d’Alcoa à Deschambault, où travaille Sylvain Duval, a également contribué financièrement au projet par ses programmes Bravo! et ACTION, mais aussi en main-d’œuvre, puisqu’une corvée a été organisée avec plusieurs employés venus avec leur famille pour planter bénévolement des arbres. D’ailleurs, le
Regroupement se donne une vocation éducative. Des groupes scolaires ont donc été invités à visiter les étangs et la forêt afin de les sensibiliser à la conservation de la nature. Pas question, toutefois, d’en faire un lieu ouvert au public; il s’agit de terres privées.
Finalement, la phase III, un rêve que le Regroupement et M. Duval espèrent réaliser, consiste à proposer aux autres propriétaires riverains situés dans le marais de Grondines, ou même ailleurs, de concevoir des aménagements pour la faune et la forêt. « On dit que le fleuve est pollué et que les animaux perdent leurs habitats, mais je crois que chaque propriétaire riverain a la responsabilité d’améliorer la forêt et les habitats fauniques sur ses terres. Si chacun fait sa part, nous laisserons quelque chose de très positif aux prochaines générations. »