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Pour les années 2008 et 2009, 21 producteurs de bovins du Québec n’auront pas à payer la contribution spéciale de 53,86 $ par vache de réforme, destinée à financer l’achat de l’abattoir Levinoff-Colbex.
C’est en tout cas ce qu’a décidé le juge André Denis, de la Cour supérieure du Québec, le 7 février 2014.
Selon le magistrat, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ) ne pouvait pas condamner ces producteurs à payer des dommages-intérêts à la Fédération des producteurs de bovins du Québec (FPBQ), et ce, même si l’Assemblée nationale du Québec a colmaté la lacune décelée à la Loi sur la mise en marché des produits agricoles (LMMPA), par le projet de loi 21, le 30 novembre 2011.
Cette brèche avait été révélée lors de la bataille judiciaire menée par des producteurs acéricoles qui contestaient le pouvoir de la RMAAQ de les condamner à payer des dommages-intérêts pour avoir contrevenu au plan conjoint. On sait que la Cour d’appel a conclu, à trois reprises en 2011, que « le législateur n’a pas accordé le pouvoir à la Régie de condamner un producteur à payer des dommages-intérêts » et que celle-ci avait donc excédé sa compétence (ultra vires).
D’où la correction effectuée par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2011. Cette loi a eu pour effet de valider, rétroactivement, les clauses et les ordonnances de la RMAAQ antérieures à cette date. Mais on y précise aussi que cette rétroactivité présente une portée limitée et ne peut s’appliquer à une ordonnance de la Régie toujours « pendante » en date du 23 décembre 2010.
Or, le juge Denis a estimé que la cause des 21 producteurs contestataires entrait dans cette catégorie. Citant la Cour suprême, celui-ci rappelle « que seules les affaires ayant abouti à un jugement statuant définitivement sur les droits et obligations des parties ne sont plus pendantes ». À ses yeux, « la décision de la Régie est peut-être définitive, mais elle n’est pas exécutoire. Elle demeure pendante jusqu’à son homologation par cette Cour [supérieure] ». Selon le magistrat, la validité de la décision de la RMAAQ doit être appréciée en vertu du contexte qui prévalait avant l’adoption de la loi 21. En conséquence, le juge Denis a refusé d’homologuer la décision de la Régie du 14 décembre 2010.
Sympathie
« Même si le Tribunal avait donné raison à la demanderesse [FPBQ], il aurait refusé d’homologuer la décision de la Régie vu le délai inexpliqué et incompréhensible de la Fédération à faire homologuer la décision », ajoute le juge. À ses yeux, les producteurs pouvaient en effet se trouver dans une position d’expectative légitime de croire que toute cette affaire était derrière eux. Aussi ne peut-on leur reprocher de ne pas s’être adressés aux tribunaux pour protéger leurs droits. « Comment le petit producteur de bovins à qui l’on réclame une contribution illégale au taux d’intérêt prohibitif peut-il comprendre qu’il aurait dû entreprendre des procédures judiciaires pour protéger ses droits? » souligne-t-il.
Le juge Denis fait preuve d’une grande sympathie envers « ce petit groupe de producteurs de bovins, propriétaires de fermes individuelles », « qui font le combat de David contre Goliath » et « qui se battent à mains nues » dans cette affaire. Et il conclut en disant que « peut-être serait-il temps de laisser ces 21 petits producteurs de bovins retourner à leur ferme et clore cette affaire dans le respect et la dignité ».
Pas de commotion à la Fédération
Le refus de la Cour supérieure d’homologuer la décision de la Régie visant 21 producteurs de bovins n’a semblé ni surprendre ni créer de commotion à la FPBQ. « Il s’agit de 21 producteurs de bovins sur 10 000, a d’abord commenté le directeur général de la Fédération, Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, le 11 février. Et cette décision relève d’une problématique de droit très particulière, soit une zone grise du projet de loi 21 portant sur les causes pendantes. Et ces 21 producteurs sont les seuls qui peuvent s’en prévaloir. »
M. Deschênes-Gilbert a poursuivi : « Ça ne touche pas du tout les quelques dizaines de dossiers pour lesquels la Cour supérieure du Québec, la Cour des petites créances ou la Cour du Québec ont déjà donné raison à la Fédération. La jurisprudence a confirmé que notre règlement sur la contribution spéciale a toujours été et est toujours valide. »
M. Deschênes-Gilbert a rappelé que cette contribution a été mise en place en 2008 afin de réinjecter 30 M$ dans l’abattoir Levinoff-Colbex. Cette contribution récolte environ 5 M$ par an. Le taux de perception se chiffrait à 99 % en 2008-2009, a-t-il noté, et il dépassait les 90 % en 2013.
Que pense M. Deschênes-Gilbert de la suggestion du juge Denis de clore cette affaire et de laisser ces 21 petits producteurs de bovins retourner à leur ferme? « La Fédération ne fait aucunement preuve d’acharnement envers les producteurs qui contestent cette contribution, a avancé le directeur général. Elle veut faire appliquer son règlement et considère tous les producteurs sur un pied d’égalité. Il faudrait que le juge m’explique sur quelle base je pourrais faire payer seulement une partie des producteurs. Par ailleurs, la Fédération consacre quelque 150 000 $ par an en frais juridiques pour faire appliquer sa réglementation à un faible pourcentage de contestataires; une facture élevée pour l’ensemble des producteurs de bovins. »
Les avocats de la FPBQ évaluent la possibilité de porter ce jugement en appel dans un souci d’équité envers l’ensemble des producteurs qui ont acquitté leur contribution spéciale.
Une grande victoire
« Nous sommes très satisfaits, très contents du jugement; c’est une belle victoire », a déclaré le président de l’Association de défense des producteurs de bovins, Adrien Breault, le 12 février. Sa satisfaction vient principalement du fait « que le juge a bien compris l’essentiel du combat que nous menons depuis quatre ans. Et ça se traduit par des termes comme « contribution illégale à un taux d’intérêt prohibitif », « combat de David contre Goliath » et par une invitation à mettre fin à l’acharnement et « à laisser les producteurs retourner à leur ferme », a-t-il relevé.
M. Breault ne connaissait pas le montant réclamé par la Fédération aux 21 producteurs de bovins visés dans le jugement. « Ce n’est pas une question d’argent, mais de principe à propos du traitement réservé aux producteurs au sujet de l’acquisition de Levinoff-Colbex », a-t-il expliqué.
« Ce jugement ouvre le chemin pour nos prochaines batailles devant les tribunaux, a-t-il ajouté. Nous allons défendre un bon nombre de producteurs qui contestent le paiement de la contribution spéciale devant la Cour du Québec, les 12 et 13 mars prochains. »
« En droit, cette décision s’applique uniquement aux 21 producteurs de bovins visés, a signalé le cabinet Vaillancourt Riou & associés, procureur de l’Association, mais elle pourrait exercer une incidence dans d’autres dossiers. »
Intimidation
Outre l’acharnement de la FPBQ, M. Breault a dénoncé le fait que « les producteurs qui contestent cette contribution ne sont plus admissibles aux programmes gouvernementaux, dont ceux de La Financière agricole du Québec (FADQ). Cette mesure comporte un impact financier important pour ces producteurs. Nous demandons au ministre de l’Agriculture, François Gendron, de mettre fin à cette intimidation afin de forcer les producteurs à payer cette contribution ».