Aquaculture 25 novembre 2024

Les petites fermes aquacoles à la croisée des chemins

L’aquaculteur charlevoisien Benoît-Michel Béïque revient d’une rencontre avec ses collègues et le moral n’est pas à la fête. Faute de pouvoir agrandir leurs installations en raison des normes environnementales, plusieurs songent à quitter la production, dont lui. 

« Je me donne jusqu’à la fin décembre, et après, ce sera pas mal fini. Même si je fais de l’argent et que j’ai de la demande pour mon poisson, le fait que je ne puisse pas grossir m’empêche d’avoir des employés. Alors, je suis pogné
7 jours sur 7 sur le gun, et sans possibilité d’avoir une entreprise avec de la croissance. Je suis encore jeune. Je suis entrepreneur. J’aime mieux aller dans autre chose », confie M. Béïque à La Terre.

Le vice-président de l’Association des aquaculteurs du Québec assure que son constat est partagé par d’autres. « Les gars sont brûlés, écœurés de donner beaucoup d’énergie dans l’espoir de prendre de l’ampleur. Certains ont rêvé et ont voulu. Mais la vérité, c’est que le gouvernement les a limités », résume celui dont l’association représente une quarantaine de membres produisant un total d’environ 1 400 tonnes de poissons annuellement. 

Norme environnementale vs compétitivité 

Une solution existe pour agrandir les installations et elle est connue : un système de filtration et de recirculation de l’eau, qui empêche les déjections de poisson d’atteindre les cours d’eau. Cette technologie est bien vue par le ministère de l’Environnement. Le problème, selon M. Béïque, en devient un de rentabilité.

L’un de nos membres a un système de recirculation et les coûts d’acquisition et d’opération font en sorte qu’avec ce système, c’est impossible de concurrencer le poisson de table qui rentre de l’étranger. Il faudrait fermer les frontières aux produits étrangers ou compenser les producteurs pour la différence de prix, mais le gouvernement n’embarquera jamais là-dedans.

Benoît-Michel Béïque, aquaculteur

La directrice de l’Association, Lara-Catherine Desrochers, ajoute que le marché du poisson de table est peu encadré et subit une forme de dumping. Les supermarchés vont ainsi opter pour la truite d’élevage à faible prix provenant de pays comme le Pérou. « Nos producteurs, qui ont des coûts de production dans le piton, ne sont plus compétitifs », résume-t-elle. 

Développer le marché d’un poisson de table québécois pour les Québécois n’est pas l’eldorado pour les petites fermes aquacoles. L’autre marché qui les fait vivre, celui de la vente de poissons d’élevage pour l’ensemencement des pourvoiries, stagne et est menacé par le réchauffement climatique, affirme-t-elle.  

La truite mouchetée, aussi connue sous le nom d’omble de fontaine, n’apprécie pas l’eau de plus en plus chaude en été. Dans ces conditions, elle mord moins aux appâts des pêcheurs, dit Bruno Dumont, de la Fédération des pourvoiries du Québec. Son groupe milite pour que les pourvoiries puissent employer un autre poisson d’élevage, la truite arc-en-ciel, qui mord mieux même dans les mois chauds, mais le gouvernement refuse ce poisson dans plusieurs régions sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’une espèce indigène. Pourtant, les poissons ensemencés sont stériles, expose
M. Dumont.  

Benoît-Michel Béïque estime que les astres s’alignent pour que sonne la fin des petits joueurs. « Soit que l’Environnement nous limite pour les surplus de phosphore, soit que la Faune nous limite pour la truite arc-en-ciel. Et le MAPAQ [ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec] ne nous soutient pas plus qu’il faut. Mon feeling, c’est que le gouvernement veut nous laisser mourir avec nos installations et prioriser des mégaprojets, qui seront soit un mégacoup de circuit ou un mégaflop. C’est dommage, car les fermes aquacoles familiales, c’est bon pour les régions et ça répartit le risque en maudit! » 

Questionné par La Terre sur son soutien aux petites fermes aquacoles, le MAPAQ dit offrir un appui technique et financier à l’ensemble des entreprises piscicoles, sans égard à leur taille. En octobre dernier, il a renouvelé, pour une durée de trois ans, son financement au Centre de transfert et de sélection des salmonidés. Il a également appuyé, par l’entremise du Fonds des pêches du Québec, la réalisation d’un projet de 1,9 M$ sur la moulée faible en teneur de phosphore « qui était une priorité pour le secteur piscicole », écrit le relationniste Yohan Dallaire Boily.