Alcools 15 novembre 2024

Les vins du Québec sur la carte des restaurants haut de gamme

Si les vins québécois étaient encore snobés des restaurants haut de gamme il y a à peine dix ans, ils sont plusieurs aujourd’hui à s’y frayer un chemin. Les grandes tables vendent parfois leurs bouteilles à des prix qui dépassent les 80 $.

« En 2015, je pense qu’il y avait quatre ou cinq producteurs de vins québécois qu’on jugeait de qualité et qui répondaient [à nos critères de sélection]. Avec le temps, c’est devenu un peu plus de 25 producteurs », affirme Vincent Laniel, qui dirige l’équipe de sommellerie du restaurant Candide, à Montréal. 

Le Vignoble de la Bauge, que Simon Naud a racheté de ses parents en 1996, ne figure sur la carte des grandes tables que depuis 2019, soit l’année où il a commencé la transition vers le vin nature. Photo : Gracieuseté de Simon Naud

Une grande section de la carte des vins de cet établissement gastronomique est réservée aux produits du Québec en provenance d’une vingtaine de vignobles différents. Tous les vins affichés, explique le sommelier, sont issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement et répondent aux standards de qualité de l’établissement.

Selon le président de Conseil des vins du Québec, Matthieu Beauchemin, un nombre grandissant de vignerons, justement, percent le marché des restaurants haut de gamme, parce qu’ils passent sous régie biologique ou transigent vers les vins nature. « Beaucoup de ces tables ont tendance à donner une belle place aux vins nature et il y a une mouvance vers ça », observe le copropriétaire du Domaine du Nival, à Saint-Louis, en Montérégie. 

Plusieurs de ces restos, avec le temps, ont développé une relation de proximité avec des producteurs locaux. Ils sont souvent à la recherche de produits rares, donc c’est naturel qu’ils aillent vers de petits vignobles, des artisans.

Matthieu Beauchemin

Le Vignoble de la Bauge, que Simon Naud a racheté de ses parents en 1996 et qui a convergé vers la régie biologique en 2016, ne figure sur la carte des grandes tables que depuis 2019, soit l’année où il a commencé la transition vers le vin nature. Aujourd’hui, 30 % de son chiffre d’affaires repose sur la vente en restauration. Son vin se retrouve sur les cartes de 300 établissements différents à travers le Québec. 

« Je pense que ce qu’ils recherchent, c’est une certaine authenticité. Un produit qui est différent, qui a une signature », croit le vigneron, qui, en 2023, a remporté le prix du meilleur producteur de boissons artisanales aux Lauriers de la gastronomie québécoise.

Grâce à des défricheurs

Vincent Laniel, qui est également copropriétaire du vignoble Très-Précieux-Sang, à Bécancour, dit profiter aujourd’hui du travail que d’autres, tels que Les Pervenches, à Farnham, Pinard & Filles, à Magog, ou encore le Domaine du Nival ont fait avant lui.

« Ils allaient faire goutter leur vin à des restaurateurs et se faisaient fermer la porte au nez. Le vin du Québec était vu de haut. Nous, on arrive dans les belles années du vin québécois », exprime celui qui en est à sa quatrième année de production.

Véronique Hupin, copropriétaire du vignoble Les Pervenches, roule sa bosse depuis 20 ans, mais observe un engouement plus grand pour ses vins depuis quelques années. « Disons qu’il y a eu une accélération de la cadence, surtout avec la pandémie. Au lieu de vendre nos vins sur une période de 4-5 mois, on s’est mis à les vendre plus rapidement, sur quelques semaines et même parfois avant que les produits soient mis en vente », témoigne-t-elle.


Vincent Laniel, qui dirige l’équipe de sommellerie du restaurant Candide, à Montréal, est aussi copropriétaire du vignoble Très-Précieux-Sang, à Bécancour. Les produits de la jeune entreprise ont déjà fait leur chemin dans certains restaurants gastronomiques. Photo : Gracieuseté de Vincent Laniel

Des vins d’entrée de gamme

Au restaurant Candide, la bouteille de vin du Québec la plus chère se vend 106 $. Elle provient du vignoble Pinard & Filles. Certains vins du Domaine du Nival affichent des prix se situant entre 65 $ et 89 $, mais plusieurs autres se vendent à moindre coût, notamment ceux du vignoble Mâsson-Villages, à Berthierville, qui se détaillent de 43 à 46 $. 

« Bien souvent, les vins du Québec sur notre carte sont en entrée de gamme. C’est la façon de boire le moins cher au Candide », indique le sommelier Vincent Laniel. À titre comparatif, la majorité des bouteilles importées que propose son restaurant se vendent à plus de 100 $, et ­parfois même 200 $. 

Plusieurs clients apprécient les vins locaux ou sont curieux d’en essayer, fait remarquer M. Laniel, mais ne seraient peut-être pas prêts à débourser 150 $ pour en boire. D’ailleurs, son restaurant s’accorde une majoration plus petite sur les vins locaux que sur ceux qui sont importés, de sorte que les bouteilles du Québec restent somme toute abordables.

Le propriétaire du Vignoble de la Bauge, en Estrie, Simon Naud, estime qu’il est nécessaire que le prix des vins québécois reste concurrentiel dans les restaurants, même si ça peut être un couteau à deux tranchants. 

« L’affaire, dans le monde du vin, c’est que les clients ont toujours l’impression que plus ils payent cher, plus c’est de la qualité, mentionne-t-il. Oui, on est des vins du Québec et il faut rester abordables, mais en même temps, ça fait peur aux clients quand on est moins chers. »

Des avantages à vendre aux restaurateurs

Vincent Laniel, copropriétaire du vignoble Très-Précieux-Sang, préfère vendre ses bouteilles aux restaurateurs qu’aux épiceries fines, même si les premiers se prennent une majoration beaucoup plus grande que les deuxièmes. « Mon vin à 21 $ que je vends à un restaurateur, ça se peut qu’il se retrouve sur une carte à 55 $ avant taxes et services, mais ça ne refroidira pas le client qui s’attend à payer ça au restaurant. Le même vin, si je le vends 21 $ à l’épicier, il va se retrouver à 33,35 $ avec taxes sur les tablettes, et là, les consommateurs risquent de le trouver cher », compare le vigneron. « Si je ne veux pas que mon vin se retrouve trop cher sur les tablettes, ça me met dans une position où je dois faire un escompte à l’épicier et couper dans mes revenus », exprime-t-il.

Le propriétaire du Vignoble de la Bauge, Simon Naud, souligne, de son côté, devoir payer une majoration à la Société des alcools du Québec lorsqu’il vend ses produits dans les épiceries fines, alors que ce n’est pas le cas lorsqu’il les vend aux ­restaurateurs.