Porcs 15 novembre 2024

Un retard à rattraper en matière de productivité et de technologies

La filière porcine québécoise accuse un retard en matière de productivité et d’adaptation aux nouvelles technologies comparativement à ses plus proches compétiteurs sur les marchés d’exportation, dont les États-Unis.

Ces faiblesses font partie d’un portrait présenté par Catherine Brodeur, économiste agricole pour le Groupe Ageco, lors du Forum stratégique des Éleveurs de porcs du Québec, le 7 novembre, à Québec. Cette dernière a spécifié que la productivité des entreprises canadiennes et québécoises a évolué « en dents de scie avant de stagner depuis les vingt dernières années », alors que cette évolution a été plus constante du côté américain. 

Dans les usines d’abattage et de transformation de viande de porc, on constate « une grande différence de productivité du travail, qui est de 77 tonnes [de viande transformée] par équivalent d’employé temps plein du côté québécois versus 122 tonnes aux États-Unis, soit une différence de près de 50 % de productivité », a-t-elle illustré.

Par ailleurs, la plus grosse usine de transformation de viande américaine a une capacité d’abattage et de transformation de 4,5 fois supérieure aux plus grandes usines québécoises, ce qui permet des économies d’échelle difficiles à atteindre de ce côté-ci de la frontière. Cette réalité affecte aussi les élevages porcins, où il est également plus difficile de faire des économies d’échelle pour l’achat d’intrants ou de moulée, a-t-elle donné en exemple.

Or, croit Mme Brodeur, ces entreprises pourraient rattraper une partie de l’écart en investissant davantage dans les nouvelles technologies pour augmenter leur productivité et, donc, leur compétitivité sur les marchés d’exportation.

Le rythme d’évolution technologique est excessivement rapide, et ça va être la capacité à saisir ces opportunités et à les intégrer qui peut venir changer de façon importante les termes de la compétitivité, que ce soit avec l’automatisation en élevage ou en transformation, avec des robots de découpe, avec l’intelligence artificielle au service de la gestion, du contrôle de maladies, de la création ou du contrôle de données afin d’avoir des outils d’aide à la décision et de faire des gains de productivité.

Catherine Brodeur, économiste agricole pour le Groupe Ageco

La recette du poulet à appliquer

Invité à un panel de discussions pendant le Forum stratégique, Yvan Brodeur, vice-président de l’approvisionnement et de la production porcine chez Olymel, a signalé qu’encore peu de technologies efficaces existent pour automatiser les lignes d’abattage et de transformation du porc, alors que ces technologies sont déjà très avancées du côté de la transformation du poulet.  Dans cette production, il signale que l’implantation de nouveaux équipements automatisés a permis de passer de 6 000 poulets abattus à l’heure à 15 000, avec le même nombre de personnes. « L’usine a presque triplé de volume de production, donc ça aide à garder les coûts de production très bas. C’est ça qu’il faut aussi arriver à obtenir comme technologie dans le porc, avec des robots plus efficaces et rentables à acheter », a-t-il mentionné.

L’économiste agricole Catherine Brodeur a présenté un portrait comparatif des forces et faiblesses de la filière porcine de la province face à ses compétiteurs, lors du Forum stratégique des Éleveurs de porcs du Québec. Photo : Gracieuseté des Éleveurs de porcs du Québec

De son côté, Janin Boucher, copropriétaire de l’usine de transformation CBCo Alliance, a reconnu qu’il y avait un retard à rattraper sur cet aspect, mais qu’il fallait néanmoins être prudents, puisque cette solution avait certaines limites. Il a donné l’exemple des coupes à valeur ajoutée, pour lesquelles les demandes particulières des clients varient beaucoup, alors que la robotisation ne pourrait pas facilement se réadapter à ces changements fréquents.

« Et souvent, comme pour les robots d’emballage, on sauve une ou deux personnes, mais ça va coûter 1 M$, en plus de l’espace que ça prend dans l’usine. Ce n’est pas l’investissement le plus rentable », a renchéri Yvan Brodeur.


Le transport, une autre faiblesse de la filière porcine

Le système de logistique de transport canadien comporte « des faiblesses et vulnérabilités importantes qui nuisent aux secteurs porcins », selon l’économiste agricole Catherine Brodeur. Le pays figure d’ailleurs au 32e rang en matière de performance et de fiabilité de ses infrastructures de transport, selon un classement établi par le World Economic Forum, a-t-elle rapporté. En comparaison, les États-Unis arrivent au 12e rang. « Pour un pays qui repose aussi fortement sur les exportations que le Canada, ça reste très, très problématique », a-t-elle fait savoir, rappelant les différents enjeux qui ont perturbé et qui perturbent encore les transports ferroviaire et maritime, que ce soit en raison d’inondations, de feux ou de conflits de travail.

Une réglementation stricte qui nuit aux économies d’échelle

Une étude réalisée par le Groupe Ageco en 2019, dont les résultats ont été présentés par l’économiste agricole Catherine Brodeur lors du Forum stratégique des Éleveurs de porcs, a comparé les réglementations environnementales du Québec à celles d’autres provinces canadiennes et d’États américains. Les données recueillies concernant divers règlements sur les odeurs, l’azote, le phosphore, notamment, démontrent que les seuils sont beaucoup plus sévères au Québec qu’ailleurs. « Donc on est réglementés sur les mêmes choses, mais avec des seuils de sévérité qui arrivent plus rapidement que chez nos concurrents. […] L’impact, c’est souvent que ça va coûter plus cher de faire des projets d’agrandissement, ou bien que la sévérité réglementaire va carrément empêcher ces agrandissements-là. En conséquence, ça peut nous priver d’économies d’échelle ou de gains d’efficacité pour ajuster la taille des élevages pour aller chercher le maximum d’avantages », analyse Mme Brodeur.