Faits divers 31 octobre 2024

Pourquoi des cimetières familiaux ont-ils poussé sur certaines terres?

À l’approche de l’Halloween, La Terre s’intéresse aux petits cimetières privés qui font partie du paysage rural québécois. Ces endroits mystérieux réunissant quelques épitaphes ou pierres tombales datent d’une autre époque. Mais pourquoi des gens ont-ils créé leur propre cimetière?

L’historien Claude Verrier, lui-même producteur agricole, avance une explication : « La majorité d’entre eux ont été créés à la suite de diversions religieuses. Avec l’arrivée des loyalistes dans les années 1800, des pentecôtistes, des congréganistes, des protestants; ils venaient de différentes régions et les valeurs de base de leur religion n’étaient pas tout à fait les mêmes. Quand les gens voulaient être enterrés dans un vrai cimetière [de leur religion], ils devaient faire parfois 40 km ou plus, et à l’époque, l’hiver, c’était presque impensable. Aussi, il y avait de nombreux morts chez les nouveau-nés de l’époque. Ils ont dû penser à d’autres solutions, et se sont dit : “On va s’enterrer ici.” » 

À l’inverse, ce type de pratique d’enterrer ses morts sur sa propriété familiale était très rare, voire inexistante chez les catholiques, dit M. Verrier, et ce, en raison de la faible distance, en général, les séparant du cimetière de leur église qui se trouvait dans presque chaque municipalité.

L’historien Claude Verrier conduit les tracteurs et dirige, avec son frère et son fils, les travaux de leur ferme totalisant 200 hectares. Photo : Luc Verrier

Abandonnés

La majorité des cimetières familiaux ont été abandonnés, fait remarquer l’historien.

Assez souvent, ces cimetières ont vécu l’espace d’une famille ou deux [générations], mais la majorité ont été délaissés, car si le père était agriculteur, ses enfants allaient faire des études. Et les anglais étaient favorisés à l’époque, alors ils avaient de bons postes, que ce soit dans la fonction publique ou dans les compagnies. Les enfants partaient travailler en ville et ne sont pas revenus.

Claude Verrier, historien

M. Verrier ajoute que plusieurs anglicans ont marié des catholiques, et l’Église avait mis d’énormes conditions, les obligeant à se convertir pour se marier et signer un papier comme quoi ils allaient être enterrés dans un cimetière catholique. 

Comme avec tout bon historien, la discussion avec Claude Verrier est fascinante et aurait pu durer des heures si ce dernier n’avait pas dû mettre fin abruptement à la conversation… pour une bonne raison. « Je dois raccrocher. Les tracteurs et la batteuse arrivent. On se reprendra demain matin! » 

Même s’il détient deux baccalauréats, une maîtrise ainsi qu’un doctorat en histoire, M. Verrier passe une centaine d’heures chaque année à conduire ses tracteurs. « Notre père nous a donné une terre, alors on s’en occupe! » lance-t-il. Son paternel avait hérité de la terre de son propre père. Difficile pour un historien de mettre fin à une telle tradition familiale. « En 2005, malgré notre âge, on a mis les efforts pour mettre nos terres en valeur. On a amélioré le pH, on a drainé, etc. Aujourd’hui, on s’amuse et c’est notre point d’attache entre frères », explique celui qui cultive 200 hectares avec son frère et son fils.

La passion de l’histoire

Établi dans le secteur de Drummondville, Claude Verrier a fait beaucoup pour la conservation du patrimoine de sa région. Il a entre autres contribué à la reconstitution d’un village illustrant le mode de vie des Québécois au 19e siècle. L’endroit est devenu une attraction touristique connue :  le Village québécois d’antan. M. Verrier en a d’ailleurs assuré la direction jusqu’en 2004. 

« Là, je termine ma huitième année à la présidence de la Société de généalogie de Drummondville », dit ce passionné. Son équipe de bénévoles a numérisé 200 000 avis de décès dans la région et a effectué les recherches de correspondance dans chaque cimetière. Ce qui les a amenés à travailler sur l’histoire des cimetières familiaux. 

Un cimetière a été aménagé sur la terre ancestrale des Husk, en 1863. Photo : Gracieuseté de Barry Husk

Par exemple, à L’Avenir, le cimetière Husk se retrouve sur la terre ancestrale des Husk, où la première inscription date de 1863, suivie de quatre autres. Même si la propriété a été vendue vers 1950, après plus de 100 ans d’occupation par cette famille, les descendants des Husk ont gardé possession de ce minuscule cimetière et continuent de l’entretenir. 

Un autre cimetière familial est celui des Watts-Sheppard, à Drummondville. Robert Nugent Watts, lieutenant-colonel de la milice canadienne et fondateur de la Société de l’agriculture de Drummondville, a créé son cimetière en 1851 sur ses terres après la mort de sa fille et un différend avec le pasteur. Ce cimetière a par la suite accueilli d’autres membres de la famille. Il existe toujours, mais avec le temps, le terrain a changé de propriétaire et le cimetière se retrouve au centre d’un terrain de golf de Drummondville.

Selon M. Verrier, la Société de généalogie de Drummondville serait la plus avancée dans le registre des cimetières au Québec, mais de façon moins exhaustive, le Répertoire du patrimoine culturel du Québec permet de retracer d’autres cimetières familiaux, dont celui de la famille Barber, en Outaouais.

Claude Verrier mentionne qu’il faut demeurer attentif. Parfois, une simple promenade à la campagne peut permettre de découvrir la fondation d’une pierre tombale ou la présence d’une épitaphe. « Il y a des gens qu’on sait qu’ils ont été enterrés sur leurs terres, mais parfois, sur 600 acres, ce n’est pas évident à trouver! »

Difficile de créer son propre cimetière sur sa terre

Ne crée pas un cimetière qui veut, dit Claude-Hélène Desrosiers, responsable des communications au Diocèse de Nicolet. « C’est quelque chose de très encadré par la Loi sur les activités funéraires. Une personne ne pourrait pas juste faire un cimetière pour sa famille. Une entreprise qui veut créer un cimetière peut, mais il faut avoir un permis, suivre un cours, respecter des normes sanitaires, etc. » énumère-t-elle.  


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