Porcs 31 octobre 2024

L’antibiorésistance transmise de la truie aux porcelets

Des bactéries résistantes aux antibiotiques ont été retrouvées en quantités importantes dans le microbiote de porcs qui n’avaient pourtant jamais reçu de traitement antibactérien. C’est ce que démontrent les travaux de chercheurs d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) visant à évaluer la biorésistance en production porcine. 

Cette situation s’expliquerait « par une longue histoire d’administration d’antimicrobien dans la production porcine conventionnelle », et le fait que « la truie peut transmettre, par un transfert vertical, les bactéries résistantes aux antibiotiques à plusieurs générations de porcelets », précise Devin Homan, chercheur au centre de recherche d’AAC de Lacombe, en Alberta.

Son étude comparative, effectuée dans cette province canadienne à la fois auprès de porcs élevés de manière conventionnelle que d’autres élevés au pâturage, a notamment montré que les premiers ont une abondance « nettement plus importante » de gènes de résistance aux antibiotiques dans leur microbiote intestinal comparativement aux autres. Cependant, ces gènes étaient présents chez les porcs de chacun des deux groupes, bien que ceux-ci n’aient reçu aucun traitement antimicrobien. 

Dominic Poulin-Laprade

Ces résultats ont été rapportés dans le cadre d’une journée de vulgarisation scientifique d’AAC, qui a eu lieu à Sherbrooke, le 16 octobre.

À cette occasion, la chercheuse Dominic Poulin-Laprade a également parlé d’un projet qu’elle dirige au Québec pour identifier les bactéries zoonotiques résistantes aux antimicrobiens dans les intestins des animaux d’élevage, et leur transmission dans l’environnement. 

L’un des volets de son étude portait sur des porcs élevés dans une quinzaine de fermes commerciales sous quatre régies différentes, soit une régie d’élevage sans antibiotique, une autre biologique, une certifiée bien-être animal, et une quatrième utilisant la pénicilline chez les truies au moment de la mise-bas et chez les porcelets mâles lors de la castration. Les échantillons « ont permis de mieux comprendre plusieurs aspects de l’utilisation des antibiotiques chez le porc », a souligné la chercheuse pendant la conférence, en signalant entre autres « que les porcs qui ont reçu de la pénicilline étaient résistants à plus de classes d’antibiotiques que les autres » et « que c’est la truie qui contribue grandement à la transmission des bactéries résistantes aux antibiotiques dans la pyramide de production ». Des bactéries résistantes aux antibiotiques ont néanmoins été trouvées dans toutes les catégories de porcs. 

Comme on l’a reconfirmé, on a des évidences qui nous montrent que ça vient de la truie, car même quand on diminue l’usage des antibiotiques, on voit un peu une diminution de la charge, mais ça ne disparaît pas complètement. C’est tellement bien installé dans le cheptel porcin au complet que ça va prendre vraiment beaucoup de temps pour renverser la cadence.

Dre Poulin-Laprade en entrevue avec La Terre. 

Canneberge et ensilage de luzerne

Un autre pan de sa recherche, toujours en cours, est de trouver des solutions « tangibles et pratiques », spécifie-telle, pour aider le milieu agricole à réduire l’utilisation des antibiotiques dans les élevages commerciaux. « J’ai testé plusieurs choses, comme des sous-produits de canneberge, de l’ensilage de luzerne ou du colostrum bovin. Souvent, on ne retrouve pas le gain de croissance qu’on observe avec l’utilisation des antibiotiques, mais avec l’ensilage de luzerne, par contre, dès la naissance, on a vu une meilleure diversité microbienne dans les intestins des porcelets. Cela laisse croire qu’ils seraient plus résistants aux infections, mais il faudrait les amener jusqu’en finition pour savoir s’ils arriveraient au même poids que les autres à l’abattage », souligne la chercheuse.

Ces différentes études de chercheurs d’AAC sur l’antibiorésistance prennent part au Plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens, qui vise à renforcer la préparation et la réponse collective du Canada face à cet enjeu représentant une menace à l’échelle mondiale, autant pour les activités agricoles que pour la santé humaine. « On s’intéresse surtout à la production porcine, parce que ce sont les animaux d’élevage qui sont de loin les plus grands consommateurs d’antimicrobiens d’importance médicale. Au Canada, on parle de 82 % des antimicrobiens vendus pour la production animale, et malheureusement, le porc est le premier acheteur », a mentionné Dominic Poulin-Laprade.