Cultures émergentes 18 octobre 2024

Objectif : 5 000 kilos de figues produites au Québec

MELBOURNE – Rarement La Terre n’a été en présence d’autant de journalistes dans une ferme. Une telle couverture médiatique est habituellement réservée à la visite d’un premier ministre pour une annonce agricole. Cette fois-ci, aucun premier ministre en vue, mais plutôt une thermopompe et 6 000 plants de figues.

Les propriétaires de la ferme peuvent être perçus comme des oiseaux rares dans le paysage agricole. Au départ, ils sont des producteurs d’électricité avec deux microcentrales hydroélectriques sur leur terre. Ce n’est que dernièrement, soit une vingtaine d’années plus tard, qu’ils ont décidé de se lancer dans la production agricole. 

Pourtant, aucun des cinq membres de la famille Proulx n’avait de bagage en agriculture. Ils ont su le tourner à leur avantage, car leur sens de l’innovation les démarque et fait de leur ferme un laboratoire à ciel ouvert pour l’ensemble du milieu agricole. 

Le cerveau

Les serres de La vallée du moulin, situées à Melbourne, en Estrie, sont pleines à craquer de figuiers, tous dans des pots individuels. Anne-Marie Proulx fait remarquer qu’il s’agit de la première production de figues en serres en climat nordique, ce qui impose une longue courbe d’apprentissage. Les rendements de près de 500 kg cette année devraient doubler l’an prochain et atteindre 5 000 kg d’ici quelques années, souhaite-t-elle. 

Une telle plante a besoin de chaleur, et sept types d’énergie assurent le fonctionnement des serres. Étienne Proulx explique les particularités des chaudières aux granules de bois. Il ajoute que pour réaliser des économies et assurer une forme de sécurité énergétique, les serres sont également équipées d’une chaudière à gazéification, qui brûle à près de 1 000 °C les arbres morts de la forêt pour produire de la chaleur. Et quand vient le temps de parler de la fameuse thermopompe, Étienne désigne leur père, Serge, plus loin sur le terrain. « C’est lui, le ­cerveau », dit-il avec le sourire. 

Ingénieur en électricité, Serge Proulx a participé à la réfection de centrales hydroélectriques dans différents pays. Avec son nouveau projet agricole, il travaille à établir une régie d’énergie de façon à utiliser la source énergétique la plus performante selon le climat. La thermopompe devient ainsi la plus économique pour chauffer la serre lorsque la température extérieure est plus chaude que -10 °C. « Avec la thermopompe, pour un kilowatt (kW) d’électricité, j’obtiens trois kW thermiques. Ce sont des ordres de grandeur, mais cela revient donc à 0,02 $ le kW thermique avec la thermopompe, contre 0,05 $ le kW thermique pour le système aux granules. »

La déshumidification est l’autre avantage de ce système de thermopompe dernier cri. Serge Proulx explique que la façon classique de déshumidifier les serres consiste à ouvrir les volets, ce qui a le désavantage de laisser sortir la chaleur de la serre. La thermopompe permet de déshumidifier sans ouvrir les volets. « C’est un projet de R & D, mais j’y crois fermement. On espère avoir une économie de 30 % sur nos coûts de chauffage », explique celui qui pourra comparer la performance et les économies de ce système avec l’autre complexe de serres qui n’a pas de thermopompes. 

François Désautels indique qu’Hydro-Québec encourage, par des subventions, les projets d’efficacité énergétique comme la déshumidification des serres par thermopompage, comme l’illustre l’appareil à côté de lui. 

La présence à la ferme, le 9 octobre, des représentants d’Hydro-Québec et de la compagnie manufacturière de la thermopompe s’explique d’ailleurs par le fait que les Proulx seraient les premiers à déshumidifier leurs serres avec cette technologie.

Jamais assez de figues

Serge Proulx regarde ses bâtiments et sa production de figues avec fierté. « Il n’y avait rien ici, il y a cinq ans », dit-il. L’idée de son projet familial a d’ailleurs germé grâce à La Terre. « Même si je n’étais pas en agriculture, je m’y intéressais et j’étais abonné à La Terre de chez nous. J’ai lu tellement de beaux exemples d’innovation et de familles qui avaient des projets ensemble que cela a motivé mon intérêt de créer mon propre projet agricole avec ma famille », confie-t-il.

Et c’est ainsi que sa fille Anne-Marie, qui a étudié pour être enseignante en mathématiques, a joint Serge en 2017 pour démarrer l’aventure de la figue. D’ailleurs, pourquoi la figue? « Un peu de naïveté, mais surtout l’envie de faire différent », répond-elle, en spécifiant que contrairement à la banane, une figue cesse de mûrir dès qu’on la cueille. Une production commerciale de figues fraîches, mûries à point, devient donc très rare au Québec, argue-t-elle. 

Les restaurants et fromageries démontreraient, selon elle, un réel engouement. « Je crois qu’on ne produira jamais assez de figues pour la demande qu’il y a! »

Il reste cependant à peaufiner la production. Son frère Étienne explique tous les tests qui sont effectués afin d’accroître la production au mètre carré et de conserver les figuiers productifs le plus longtemps possible. Il a même installé un système de code-barre sur chaque figuier afin de quantifier la production de chacun et ainsi pouvoir déterminer, ultimement, quelle grandeur de pot, quel type de taille et quelle régie de culture généreront les meilleures performances.


Un coup de pouce du manufacturier Enerprox

Les frais d’ingénieur pour adapter un projet de chauffage et de ventilation électriques à une serre en plus de la marge de l’entrepreneur « tuent » parfois la rentabilité du projet, estime Christian Poudrier, président et directeur général d’Enerprox, une entreprise de Victoriaville spécialisée en chauffage et climatisation de grands bâtiments. Son équipe et lui ont donc mis au point un système de modélisation informatique qui évite qu’un ingénieur reparte à zéro pour chaque serre, et ce, en calculant la capacité requise de la thermopompe en fonction des besoins particuliers de la serre, dont la courbe d’évapotranspiration des plantes qui y sont cultivées. La thermopompe peut abaisser les coûts de chauffage et offrir un niveau optimal d’humidité aux plantes, ce qui diminue les maladies phytosanitaires, souligne-t-il.

Hydro simplifie l’accès à ses subventions pour les serriculteurs

Depuis le mois d’avril, Hydro-Québec a simplifié ses mesures avec l‘objectif de permettre aux producteurs en serre de connaître à l’avance l’appui financier qu’ils pourraient recevoir s’ils implantent des technologies d’efficacité énergétique, comme la déshumidification par thermopompe. François Désautels, délégué commercial pour la société d’État, assure que des subventions pouvant atteindre 75 % du coût du projet deviennent intéressantes pour les serriculteurs. Et si le producteur désire comparer la rentabilité de différents systèmes, comme la thermopompe électrique, Hydro-Québec subventionne de 40 à 100 % la réalisation d’une étude technico-économique.