Élevage 7 octobre 2024

Des bâtiments d’élevage vidés de leurs animaux

ORFORD – Avant de se départir de ses derniers animaux au début du mois de septembre, la Ferme Marilau avait la particularité de produire, de transformer et d’approvisionner sa boutique en viandes de bœuf, de porc, d’agneau et de poulet. Une multitude de facteurs ont poussé la propriétaire, Laura Sharp, à prendre la décision de mettre la clé sous la porte, mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la hausse des coûts à la ferme, notamment celle du prix du veau, et sa croisade contre sa municipalité.

Debout, dans la portion de l’étable qui faisait office de poulailler, la propriétaire mentionne que la ferme élevait en moyenne annuellement 2 000 poulets, 35 bouvillons, 250 agneaux, 100 porcs et 65 poules pondeuses. Aujourd’hui, les seules habitantes des bâtiments d’élevage sont des araignées. 

Ce n’est pas qu’on a de la difficulté à avoir de la clientèle ou quoi que ce soit, mais c’est juste que les coûts augmentent tellement. On n’est plus capables de générer le profit nécessaire pour assumer, juste assumer les engagements financiers. 

Laura Sharp, propriétaire de la Ferme Marilau

Dans une optique de pouvoir offrir aux consommateurs une viande de qualité à un prix raisonnable, presque toutes les étapes du processus, de la culture des grains à la vente de la viande, étaient effectuées à la ferme, à l’exception de l’abattage. Mais la production était particulièrement difficile à rentabiliser. « C’est à petite échelle dans chacune des catégories animales, donc on n’a pas d’économie d’échelle au niveau des achats qu’on doit faire [pour chacune] », mentionne l’agricultrice.

La Ferme Marilau, d’Orford, en Estrie, est sur le marché immobilier depuis le début de l’été.

Avec l’objectif de diminuer les charges financières de la ferme, Laura Sharp a concentré la production bovine sur l’engraissement des veaux. Elle a vendu le troupeau de vaches de boucherie à une autre ferme et acheté, quelques mois plus tard, les veaux nés de son ancien troupeau. Comme ils ont été achetés au prix de l’encan, cela a représenté une hausse de coûts de 33 %. « Le veau que j’ai rentré à l’étable me coûtait, à l’entrée, la même chose que quand je vendais mon bœuf fini, sauf qu’il est là minimum un an », souligne-t-elle. Deux options s’offraient à elle, soit d’augmenter les coûts de la viande proportionnellement à la hausse subie, ce qui aurait donné un prix « complètement fou » pour le consommateur, ou de maintenir les mêmes prix et de perdre quotidiennement de l’argent pour engraisser les animaux. « C’est là que j’ai pris la décision de lâcher prise et de mettre l’entreprise à vendre », soutient Mme Sharp. Dans la dernière année, la productrice avait déjà majoré ses prix en moyenne de 20 à 30 %.

Sans compter que le prix du diésel a doublé, celui des ingrédients nécessaires à la transformation a bondi de 50 %, la main-d’œuvre réclamait des salaires élevés et même dame Nature s’est mise de la partie. Les récoltes d’avoine étaient moins abondantes en raison de la météo et il a fallu s’approvisionner ailleurs pour nourrir les animaux dans un marché où le prix des grains atteignait des records.

L’objectif de la productrice était de commercialiser la viande de ses propres élevages de poulets, de bœufs, d’agneaux et de porcs, afin de l’offrir à un prix raisonnable pour le consommateur.
Laura Sharp

Réglementation contraignante

La productrice a tenté de modifier son modèle d’affaires pour assurer la survie de son entreprise, mais la réglementation municipale en vigueur l’en empêchait. « Exemple, on achète [des carcasses] d’autres producteurs locaux, on les découpe et on vend [la viande] sur place, ben ça, ce sont toutes des choses qui, pour l’instant, ne sont pas ­permises », fait-elle remarquer.

Après un long combat de deux ans, la productrice est toutefois parvenue à faire changer quelques règlements municipaux, notamment celui sur la vente à la ferme. Alors qu’avant, tout ce qui était vendu à la ferme devait exclusivement provenir de là, aujourd’hui, ce doit être une majeure partie des produits. « Ç’a été très lourd comme processus et ce n’est pas normal de devoir se battre pour exister », dit-elle, avec une pointe de ­tristesse et d’amertume dans la voix. 

Cela n’a cependant pas réglé tous ses problèmes. La réglementation municipale et régionale (de la MRC) interdisait la production porcine sur leur territoire à l’exception d’une zone précise. Pour remédier à la situation, la productrice a élevé son cheptel porcin ailleurs, mais bien qu’elle le produisait elle-même, il lui était quand même interdit de vendre les carcasses à la boucherie de la ferme puisqu’ils n’étaient pas produits majoritairement sur place. Ce problème n’est toujours pas réglé avec les instances concernées. 

En attendant la vente de la ferme, la productrice écoule les stocks de viande à la boutique. Le quota de poulet, la machinerie, les bâtiments d’élevage, la boucherie, la boutique, la maison et la terre sont tous sur le marché. « Toutes les possibilités sont là », assure la propriétaire.