Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
La livrée des forêts n’a plus le champ libre dans certaines érablières du Témiscouata, dans le Bas-Saint-Laurent. Un projet pilote y a été réalisé au printemps 2024 afin de réduire, par le biais d’une opération d’arrosage, la présence de cette chenille vorace qui peut dévorer toutes les feuilles d’un arbre en quelques semaines.
Le Club d’encadrement technique de l’acériculture de l’Est est à l’origine de ce projet auquel ont participé 39 entreprises acéricoles, dont plusieurs producteurs bio, regroupées dans le même secteur.
Au final, ce sont quelque 3 600 hectares d’érablières qui ont fait l’objet d’un arrosage par la Société de protection des forêts contre les insectes et maladies (SOPFIM), avec l’accord du ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), affirme l’agronome et coordonnatrice du Club, Andréanne Ouellet.
« Le ministère a accepté, pour la première fois au Québec, de faire de l’arrosage autant en forêt privée qu’en forêt publique, et ses lots intramunicipaux », souligne sa collègue, la technicienne en foresterie et responsable du projet pilote, Chantale Francoeur.
Détail : les coûts de l’opération, estimés à 120 $ par hectare, ont été payés en totalité par les producteurs et n’ont fait l’objet d’aucune subvention.
Pas recommandé
La mise en œuvre du projet n’est pas anodine, car, de façon générale, le MRNF ne recommande pas l’arrosage contre la livrée des forêts, un insecte défoliateur indigène présent en Amérique du Nord depuis 1791, année où la première invasion a été signalée.
« Les peuplements forestiers sont des êtres vivants en soi et ils peuvent se défendre contre leurs ennemis naturels, les insectes et les maladies », fait valoir l’entomologiste au ministère, Pierre Therrien.
Selon lui, les épidémies de livrée des forêts durent environ trois ans dans un peuplement donné, contrairement, par exemple, à celles de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, qui peuvent s’étirer sur deux décennies.
Cela dit, il est bien au fait que certains producteurs décident malgré tout d’aller de l’avant avec cette option. Dans le Bas-Saint-Laurent, un insecticide biologique, approuvé par les organismes Écocert et Québec Vrai, a été appliqué pour répondre aux besoins des érablières bio.
Les producteurs dont l’érablière est située en terres publiques doivent obtenir le feu vert du bureau régional du MRNF, rappelle Pierre Therrien. Et seule la SOPFIM peut procéder à l’arrosage.
Pour contrer les effets de la livrée des forêts, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts recommande plutôt de miser sur des mesures préventives, dont la réalisation d’interventions sylvicoles, pour favoriser la santé du peuplement forestier.
La mouche sarcophage est également un ennemi naturel de la livrée, souligne M. Therrien. Les larves de la mouche se nourrissent de pupes de livrées (cocons), contribuant à en faire chuter les populations.
Des airs d’automne…
Selon l’entomologiste, l’appétit de cette chenille qui se déplace en horde est à ce point grand qu’il lui permet de défolier entièrement un arbre. La livrée affectionne particulièrement les peupliers faux-trembles, mais les érables à sucre sont également en tête de liste de ses préférences végétales.
« C’est très spectaculaire, particulièrement à partir de la deuxième année, parce que ça peut manger tout le feuillage d’un arbre, dit M. Therrien. On a l’impression que c’est l’automne! Mais il y a une deuxième feuillaison, qui permet quand même à l’arbre de se préparer pour l’hiver. »
C’est justement pour soutenir ses membres du Témiscouata aux prises avec la livrée des forêts que le Club d’encadrement technique de l’acériculture de l’Est a élaboré un projet pilote pour arroser le secteur où de la défoliation, ainsi que d’importantes masses d’œufs, avaient été notées l’automne dernier.
Un dossier dûment documenté a été préparé. La SOPFIM a travaillé de façon étroite avec le Club avant, pendant et après l’arrosage, réalisé à la mi-mai.
Un bilan sera effectué, mais les résultats seraient déjà probants. Les peuplements voisins des superficies arrosées sont défoliés, tandis que ceux visés par le projet pilote ont conservé leurs feuilles, explique Andréanne Ouellet.
Pierre Therrien du MRNF souligne que, pour l’heure, il n’a pas été démontré que la présence de la livrée des forêts a un impact sur la production acéricole. Des pertes de rendement auraient cependant été observées chez quelques producteurs du Bas-Saint-Laurent dont les érables ont été défoliés par l’insecte, selon Mme Ouellet.
D’où ce désir de réagir face à cet envahisseur aux manières d’ogre. « L’acériculture est le premier gagne-pain dans le Témiscouata », souligne la coordonnatrice du Club. Dans les faits, de toutes les productions agricoles au Témiscouata, l’acériculture est celle qui compte le plus d’entreprises. Elle génère également plus de 60 % des revenus agricoles, selon la MRC locale.
Intérêts
Chose certaine, le projet pilote suscite de l’intérêt, particulièrement dans les régions également aux prises avec des épidémies de livrée des forêts, dont l’Estrie.
« C’est la première fois où j’ai autant d’appels pour ça, affirme le président régional des Producteurs et productrices acéricoles du Québec, Jonathan Blais. On s’intéresse à l’expérience des autres régions. On veut préparer les choses pour l’an prochain. »
Selon M. Blais, la livrée des forêts est surtout présente dans les municipalités situées en bordure de la frontière américaine, dont Audet et Saint-Ludger.
Une opération d’arrosage pourrait être envisagée au printemps 2025.
Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’expérience soit répétée dans le Bas-Saint-Laurent l’an prochain. La superficie pourrait être revue à la hausse, avance la technicienne en foresterie Chantale Francoeur.
Des épidémies de livrée des forêts ont également été recensées en 2024 en Abitibi, ainsi qu’au Saguenay–Lac-Saint-Jean. À ces endroits, les chenilles ont même jeté leur dévolu sur les plants de bleuets.
« Normalement, ces arbustes-là ne sont pas touchés, avance l’entomologiste du MRNF. Mais, si les populations sont fortes et qu’il y a eu beaucoup de défoliation, les chenilles vont manger ce qu’elles peuvent. »
Les chenilles apparaissent généralement au début mai, avec les premières feuilles. Elles se nourrissent jusqu’à leur maturité, à la mi-juin, puis se transforment en chrysalides dans des cocons jaunâtres. Les papillons émergent vers le début juillet. Les femelles pondent par la suite leurs œufs à la cime des arbres. Et le cycle est reparti.