Bertrand Gravel se passionne pour les noisettes depuis des décennies, menant une lutte à finir avec le pire ennemi de cette récolte traditionnelle : le balanin de la noisette.

Plusieurs Québécois l’ignorent, mais la récolte de noisettes fait partie des traditions de différentes régions, comme l’Estrie, le Bas-Saint-Laurent et le Saguenay. L’automne venu, leurs habitants allaient cueillir des noisettes sauvages dans les forêts environnantes. « On les mettait dans des sacs de jute qu’on frappait contre le ciment pour se débarrasser de l’enveloppe », se souvient Bertrand Gravel, pépiniériste à Saint-Fulgence, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette technique permettait de se départir de la gaine piquante sans se blesser. « Ensuite, on faisait sécher les noisettes et on les conservait au grenier. On en avait pour presque tout l’hiver. »

S’il en parle au passé, c’est que les noisetiers sauvages – dits à long bec – ont depuis été décimés par un insecte nuisible, le balanin des noisettes.

Bertrand Gravel s’ingénie depuis des décennies à préserver cette tradition de moult façons, grâce notamment à la culture d’arbres à noix hybrides sur sa terre de 45 acres. Plantés il y a plus de 30 ans, ses premiers noisetiers lui ont offert une belle surprise.  « Je les ai oubliés là pendant 5 ans, raconte-t-il. Puis, j’ai réalisé qu’ils avaient produit des amandes d’une taille exceptionnelle et en abondance. En plus, l’enveloppe ne pique pas. »

Depuis 2015, sa pépinière se consacre exclusivement aux arbres à noix. En parallèle, avec ses deux enfants, il a bâti un verger pour l’autocueillette, Noisettes et Cie, qui a ouvert ses portes en 2017.

Les gens de la région, ça leur rappelle des souvenirs.

Bertrand Gravel

M. Gravel a partagé son savoir sur la culture des noix en donnant plus d’une centaine de conférences partout au Québec. Il a également collaboré avec Biopterre, d’une part en leur fournissant des plants pour implanter cette production dans le Bas-Saint-Laurent, mais également pour la recherche dans la lutte au balanin. « Je cherche un moyen naturel pour m’en débarrasser, avec des pièges, des champignons ou autres. On ne veut pas utiliser de pesticides », explique-t-il.

Il vient toutefois de connaître un revers dans sa bataille. Bien que les arbres hybrides y soient moins sensibles, le balanin est aujourd’hui présent dans 3 à 5 % des noix du verger. Cette année, il a donc décidé avec son fils Charles, propriétaire de la noiseraie, de couper les 2 000 arbres du verger au ras du sol. L’opération se fera à l’automne ou au printemps prochain. Cela va ainsi priver le balanin de sa « nourriture », puisque les larves seront privées des amandes dont elles se nourrissent. Mais tout cela n’inquiète pas M. Gravel. « Dans 4 ans, ça va avoir repoussé et recommencé à produire aussi fort », explique-t-il.

Que fera-t-il pendant le temps de la repousse? Il continuera à exploiter sa pépinière, qui, chaque année, vend au gros entre 2 000 et 5 000 noisetiers. « Je vais aussi continuer ma lutte contre le balanin », dit celui qui a perdu une bataille… mais pas la guerre!  

Les 2 000 noisetiers du verger se déclinent en une dizaine de variétés. Ces noisetiers hybrides sont plus résistants au balanin de la noisette que leur cousin indigène, le noisetier à long bec. 

Une nouvelle production dans le Bas-Saint-Laurent

En 2018, Biopterre a entrepris un projet de recherche et développement avec 22 agriculteurs du Bas-Saint-Laurent. Le but? Faire de la culture de noisette une production phare pour la région, comme le bleuet a pu l’être pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean. En 2024, 16 producteurs sont toujours investis dans le projet. « J’ai bon espoir de voir les autres revenir », affirme Maxim Tardif, codirecteur chez Bioterre. Il explique que les recherches vont bon train et qu’elles ont déjà montré des résultats. Une demi-douzaine de cultivars plus prometteurs ont été identifiés. 

Par ailleurs, certains producteurs agricoles ont commencé à agrandir leur production.

C’est bien parce qu’on voit qu’ils commencent à s’approprier la culture .

Maxim Tardif

La commercialisation et la transformation se feront toutefois dans une prochaine étape, puisque les instigateurs de l’initiative se sont donné 10 ans pour l’amener à terme.

Quant au balanin de la noisette, il a commencé à pointer son nez dans certains sites de production. « Ce n’est pas un enjeu encore, mais ça le sera éventuellement, précise-t-il. On travaille à trouver des solutions qui auront le moins d’impact possible sur l’environnement. » 

Il rapporte que certains agriculteurs l’ont aussi approché avec l’intention de se lancer en production de noisettes dès maintenant. « Mais je leur dis d’être patients, d’attendre que nous ayons plus de données encore sur la productivité, la hâtivité de la culture des cultivars et sur les conditions optimales de production. Parce qu’au final, ce sont de gros investissements », dit Maxim Tardif, invitant les curieux à assister au colloque sur la noisette du Québec, qui aura lieu à Rivière-du-Loup, à la fin novembre. 

« C’est tout un défi, de lancer une industrie, mais je suis optimiste, explique-t-il. Il y en a qui voient le mauvais côté des choses et qui pensent qu’on n’y arrivera pas. Mais j’y crois et ça en prend d’autres comme ça aussi. S’il n’y avait pas eu des pionniers comme Bertrand Gravel pour porter la production de noisettes, on n’en serait pas à ce stade de développement aujourd’hui. »

Le saviez-vous?

  • L’lsle-aux-Coudres doit son nom aux coudriers, terme qui désignait les noisetiers en France au 16e siècle. C’est Jacques Cartier qui, en constatant qu’elle en était couverte, a ainsi nommé cette île du Saint-Laurent. Les coudriers y sont toutefois bien rares de nos jours, puisque les forêts ont cédé leur place à l’agriculture.
  • Les branches de noisetiers sont utilisées comme baromètres, puisque lorsque la branche est tournée vers le haut, elle annonce le beau temps. Lorsqu’elle est tournée vers le bas, c’est plutôt le mauvais temps qui nous guette.
  • Les sourciers utilisent également des branches de noisetiers pour identifier les sources d’eau sur les terres.
  • Les Premières Nations consommaient des noisettes à long bec. Comme l’a rapporté l’explorateur européen Paul-Louis Martin, pour départir les noisettes de leur gaine piquante, ils les plantaient simplement dans le sol durant une douzaine de jours.