Lait 22 juillet 2024

Les fromages fins dans la mire d’une ferme laitière

TERREBONNE – Un vent de changement souffle sur la Ferme Caribou avec l’implication d’une jeune relève passionnée de fromages fins. La transformation ­laitière est dans la mire de l’entreprise de Terrebonne qui produit 285 kilos de quota avec 170 vaches.

« Depuis que je suis haute de même, je dis à tout le monde dans la vie que ce que je veux faire, c’est ­transformer notre lait qu’on produit à la ferme », lance la pétillante Viviane Mathieu, coactionnaire de ­l’entreprise depuis 2022 avec son père, Jasmin. 

Son projet de commercialisation de fromages fins qu’elle espère concrétiser d’ici 2025 avec son conjoint, Mathew Das-Paul, est en préparation depuis deux ans déjà. La nouvelle fromagerie de 6 000 pieds carrés, dont le plan a été accepté par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, ­inclurait une boutique et une usine conçue pour transformer 2 000 des 7 000 litres de lait que sa ferme produit quotidiennement.

En attente d’un permis de l’Environnement

En date du 11 juillet, des étapes restaient à franchir, en revanche, avant que la construction puisse aller de l’avant. Après de longues et fastidieuses démarches administratives et le dépôt d’une demande en février, l’agricultrice de 23 ans était encore en attente d’un ­permis du ministère de l’Environnement pour la mise en place d’un système de traitement des eaux usées. La Ville de Terrebonne doit ensuite autoriser l’installation du système et la construction de la fromagerie. 

« L’environnement, c’est extrêmement long. On a déposé ça en février et on a zéro nouvelle », raconte la jeune femme, qui se croise les doigts pour obtenir tous ses papiers au cours de l’été.

L’agricultrice de 23 ans est coactionnaire de la ferme avec son père, Jasmin. Photo : Caroline Morneau/TCN

La passion du fromage affiné

Au Centre d’expertise fromagère du Québec, qui offre des services d’accompagnement, la conseillère Louise Lefebvre estime qu’un à deux projets semblables à celui de la Ferme Caribou émergent par année. Ce qui a été moins commun dernièrement, selon elle, c’est la volonté dès le départ de se spécialiser en fromages affinés. « Plusieurs vont partir avec du fromage frais, en grains. On a vu un peu moins de fromages fins ces dernières années, ou ce qu’on va voir, c’est l’ajout de fromages fins plus tard », remarque-t-elle, affirmant que ce créneau plus complexe requiert beaucoup de connaissances techniques. 

Forte d’une formation de trois ans en transformation à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec, à Saint-Hyacinthe, et de connaissances acquises en France, où elle a fait un stage à la ferme et suivi un cours en fabrication de fromages à pâte molle, Viviane Mathieu est confiante que son projet fonctionnera. C’est elle qui veillera au volet technique de la production fromagère, tandis que son conjoint, qui a étudié en gestion d’entreprise agricole, sera responsable du marketing et de la mise en marché.

Le fromage affiné ressort vraiment comme une passion pour moi, parce que tu travailles avec du vivant. Tu le fais affiner en cave. C’est là que toute ton expérience, toutes tes études, tu peux les mettre en œuvre.

Viviane Mathieu

« Tu fais une erreur, et c’est fini. Deux minutes de brassage de plus et ton fromage n’est plus pareil. Je sais que c’est un défi à chaque fromage; c’est pour ça que je vais chercher le plus de formation possible. Je m’inscris à des webinaires en France aussi. » 

L’agricultrice entend aussi fabriquer du fromage en grains et du lait de consommation.


Des fromages adaptés à la ration des vaches

Viviane Mathieu explique que les types de fromages fins qu’elle prévoit produire ont été choisis en fonction de la ration donnée aux vaches de sa ferme, qui contient de l’ensilage de maïs. « J’en ai choisi qui ne sont pas à risque de développer de mauvaises bactéries dues à la fermentation de l’ensilage de maïs. Il y a des fromages pour ­lesquels il faudrait changer l’alimentation pour du foin sec et je ne veux pas changer toute la régie à la ferme », explique la productrice. Son objectif, pour commencer, est de ­proposer trois fromages de types Reblochon, Camembert et Tomme.

Freiné dans son élan par la pénurie de main-d’œuvre

Depuis qu’il a démarré sa fromagerie fermière en 2019, qui met de l’avant des fromages fins, Patrick Souci a traversé plusieurs années d’embûches avec la pandémie et l’inflation, mais affirme que les affaires vont bon train aujourd’hui. Si bien que le copropriétaire de la Ferme Phylum, à Saint-Nicolas, près de Québec, pourrait transformer toute sa production laitière, n’eût été la difficulté à recruter de la main-d’œuvre qualifiée. « Pour les fromages affinés, c’est encore pire. Ça prend des employés qui ont de la formation, de la dextérité, des compétences », énumère celui qui transforme actuellement 160 000 litres de lait par année, soit huit fois plus qu’en 2019. Il estime qu’il serait capable d’en transformer 400 000 litres, soit la totalité de sa production, mais manque de bras. Les ventes et la rentabilité, en revanche, sont au ­rendez-vous, dit-il, et ses fromages gagnent en notoriété. Deux d’entre eux, le O’Kéfir et le Shalena, sont ­d’ailleurs finalistes aux prix Caseus 2024.