Volailles 3 juillet 2024

L’abécédaire du bon producteur

Avec quelque 2 823 producteurs de poulet, le secteur avicole canadien représente près de 102 000 emplois et contribue 8 milliards de dollars au PIB. En 2022, le Québec a produit à lui seul 482,6 millions de kg de la protéine préférée des consommateurs, soit 26,3 % de la production canadienne. Si les chiffres impressionnent, c’est d’abord la chaîne de valeur qui préoccupe le citoyen-mangeur. Qu’est-ce qu’un bon producteur de poulet aujourd’hui?

« Un bon producteur sait lire son élevage et est soucieux du bien-être de ses animaux. C’est aussi un gestionnaire efficace, capable de dégager des profits tout en garantissant la durabilité de son exploitation, qui maîtrise les technologies et intègre des pratiques qui réduisent son impact environnemental, tout en soutenant les communautés locales », déclare l’agronome Stéphane Beaudoin. 

Un bon producteur de poulet se définit par un équilibre entre le bien-être animal, la rentabilité et la pérennité, l’innovation technologique, et la responsabilité sociale et environnementale, affirme Stéphane Beaudoin.

Auditeur, formateur et conseiller pour les secteurs agroalimentaires canadiens, M. Beaudoin est le fondateur de Gestbeau, une entreprise spécialisée dans les questions de bien-être animal. S’appuyant sur plus de 865 audits à travers le pays, il propose une analyse des points qui ­préoccupent les éleveurs.

La densité, un enjeu?

La densité d’élevage influence directement le bien-être des animaux, leur performance et l’uniformité de la production, et cet aspect est rigoureusement surveillé par toutes les parties prenantes. « Au Canada, la densité est normée et auditée pour chaque élevage. Au Québec, les Éleveurs de volailles du Québec [EVQ] gèrent maintenant les placements d’oiseaux pour mieux encadrer la densité et éviter les surprises en fin d’élevage, et le taux de conformité est très élevé », constate M. Beaudoin. 

Les producteurs ont aussi massivement investi dans la conversion des poulaillers traditionnels vers des poulaillers plus technologiques. Ces investissements ont permis de maintenir des taux de mortalité, de morbidité et de condamnation très raisonnables, malgré l’augmentation des densités et des pourcentages de production.

Stéphane Beaudoin

Cela étant, doit-on se satisfaire des chiffres? « Je ne crois pas », avance l’agronome. « Malgré le faible pourcentage de 1,57 % total de condamnation pour le Québec, ce sont quand même des millions d’oiseaux qui pourraient avoir connu un meilleur sort. C’est aussi un grand gaspillage de denrées qui n’ont pas rejoint les consommateurs. » Pour lui, l’analyse économique des pertes encourues pour le secteur devrait aussi être une bonne source de motivation pour une approche sectorielle.  

La biosécurité : mieux contrôler les risques en tout temps

Les principes de biosécurité, soit la surveillance régulière des animaux, la restriction de l’accès aux installations et l’assainissement des équipements et surfaces, sont gouvernés par des programmes détaillés et scrupuleusement audités. Ils sont bien connus, mais leur application systématique reste un défi majeur. « Parfois, on oublie que l’infiniment petit ne lit pas les pancartes d’interdiction. Dans le feu de l’action, on prend des raccourcis qui augmentent le risque d’infection », note M. Beaudoin. « L’influenza aviaire a montré à quel point une infection peut être dévastatrice, mais d’autres pathogènes, comme la salmonellose et la coccidiose, peuvent causer des pertes significatives », ajoute-t-il, insistant sur la pertinence des rappels et d’une définition claire de la zone d’accès restreint. « Des améliorations simples, comme l’installation de bancs à l’entrée permettant le changement de chaussures et de survêtement, peuvent faire une grande différence dans le respect des mesures et dans la prévention des infections », atteste l’agronome. 

L’euthanasie des jeunes oiseaux non conformes représente un autre point à améliorer. « Même si les gens sont formés pour le faire, cela demande du courage. C’est l’un des éléments sur notre radar du renforcement, pour s’assurer que les bonnes techniques sont employées, et au moment où c’est opportun pour l’oiseau. En faisant la sélection plus tôt, on évite que des oiseaux moribonds séjournent trop longtemps dans l’élevage », explique-t-il.

Des bâtiments qui évoluent… lentement

Si densité d’élevage rime pour plusieurs avec optimisation des installations, force est de constater qu’il y a peu de nouveaux bâtiments depuis 10 ans. « Le mouvement vers l’amélioration des bâtiments est enclenché, mais il connaît son lot de défis », reconnaît M. Beaudoin, citant la pandémie, la lourdeur administrative, le coût des matériaux et le manque d’aide financière parmi les facteurs en cause. « Ce processus nécessite une approche intégrée et collaborative pour atteindre des objectifs optimaux de bien-être animal, d’utilisation des ressources et de rentabilité », observe l’agronome. 

Pour lui, améliorer la communication des données, de la ferme à l’abattage, reste au cœur de cette évolution. « Une coordination efficace permettrait de prendre des décisions en temps réel, ce qui améliorerait le contrôle du bien-être animal et l’efficacité de la chaîne de production », allègue-t-il. Ici, la technologie est un levier formidable, mais pas une fin en soi, selon lui.
« Une ferme sans équipement de pointe, mais dont l’éleveur surveille son poulailler 5-6 fois par jour et apporte les ajustements requis, ne s’en tire pas forcément plus mal qu’une autre équipée d’outils qui ne sont pas bien maîtrisés. Chacun doit savoir tirer le maximum de ses installations », fait-il valoir.

Le transfert des connaissances, catalyseur d’efficacité et d’évolution

Pivot de tous les points qui bâtissent la rentabilité d’un élevage, le transfert des connaissances est essentiel au développement durable des exploitations avicoles. Il se fait par la formation, les services de consultation et la technologie, et grâce aux partenariats entre éleveurs, institutions académiques et entreprises privées. Ici, plusieurs ressources sont disponibles. « Les EVQ jouent un rôle clé en offrant des ­formations et des services de ­consultation pour améliorer les pratiques d’élevage. Ils fournissent aussi des outils pour optimiser les conditions de vie des animaux et maximiser leur potentiel génétique. En plus des auditeurs qui accompagnent les éleveurs dès le premier élevage, ils ont récemment ajouté des ressources terrain pour de l’accompagnement spécialisé », mentionne l’agronome. « Les experts-conseils peuvent aussi aider les producteurs à adopter de meilleures pratiques de régie et à résoudre des problèmes spécifiques. L’Équipe québécoise de contrôle des maladies aviaires [EQCMA] joue aussi un rôle important dans les formations de biosécurité et l’élaboration de mesures d’intervention et de suivi », poursuit l’expert.

Il voit aussi les modules de formation ciblée pour différents groupes d’employés, le mentorat et l’utilisation d’outils numériques, tels la réalité augmentée et la réalité virtuelle, comme d’autres moyens à développer.

Pour améliorer le transfert technologique aux employés et aux travailleurs étrangers et renforcer les compétences, il faut encourager une culture de ­communication et d’apprentissage. En organisant des réunions régulières pour discuter des défis et des succès, et en offrant une rétroaction constructive aux employés, on favorise un environnement d’apprentissage continu.

Stéphane Beaudoin

Au final, l’évolution et la rentabilité des élevages doivent miser sur des stratégies de chaîne de valeur, plutôt que des approches traditionnelles en silo. « En intégrant les différentes étapes de la production, de l’élevage à la transformation, les producteurs peuvent mieux aligner leurs efforts et ressources », souligne M. Beaudoin, qui y trouve plusieurs avantages, tant pour les consommateurs que le système. « En produisant un poulet sain et de haute qualité, les consommateurs canadiens auront plus de confiance et de fierté envers les produits locaux. Cela renforce le soutien au système de gestion de l’offre et assure la pérennité de l’industrie. »

Les meilleures conditions dès le départ

Un bon démarrage des poussins est crucial pour assurer leur santé et leur croissance. Au Québec, le programme Poussin Podium guide les producteurs dans l’exécution de démarrages optimaux qui préconisent le retrait des antibiotiques, l’optimisation des conditions de démarrage, des mesures d’hygiène et de biosécurité rigoureuses, et une connaissance approfondie des besoins des poussins. « Le retrait des antibiotiques au couvoir est un choix de société judicieux, qui vise à réduire la résistance aux antimicrobiens et à promouvoir une production plus durable. Cependant, cette décision a apporté des défis supplémentaires aux producteurs », convient Stéphane Beaudoin. « Sans l’utilisation d’antibiotiques comme béquille, on doit se concentrer sur l’optimisation des conditions de démarrage. Cela inclut une attention particulière aux paramètres comme la température, l’humidité et la ventilation, qui sont essentiels au bien-être des poussins », souligne-t-il. « Nous connaissons les besoins spécifiques des poussins, tels qu’un accès constant à une eau propre et à une alimentation équilibrée. Le programme Poussin Podium fournit des fiches techniques et des guides pour aider les producteurs à répondre efficacement à ces besoins. »