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Il n’y a plus de fromage fait à partir de lait de vache Canadienne dans Charlevoix depuis l’automne dernier, alors que le troupeau qui alimentait la Laiterie Charlevoix a quitté la région à la mi-octobre. Steve Tremblay, propriétaire de la Ferme Hengil, à Saint-Hilarion, les élevait depuis 15 ans, mais a dû se départir de ses bêtes, faute de relève et pour des raisons de santé.
La Laiterie Charlevoix, fabricante des fromages 1608 et Origine, utilisera désormais du lait de Holstein pour les produire, comme c’est le cas pour ses autres fromages. En entrevue, Bruno Labbé, copropriétaire et directeur général, souligne les défis financiers reliés à la production de fromage de vache de race Canadienne, qui est une appellation réservée. « Produire avec un tel cahier de charges, ça vient avec des coûts supplémentaires, mais ça ne se reflète pas dans le prix de vente. Au Québec, contrairement à l’Europe, les consommateurs n’ont pas cette éducation face aux appellations réservées, explique-t-il. Ce rôle-là, il revient au gouvernement, pas à une petite fromagerie. »
L’éleveur Steve Tremblay évoque, pour sa part, l’enjeu des frais de transport. Bruno Labbé confirme : « Je paie à la Fédération le prix du lait comme s’il m’était livré, mais ce n’est pas le cas. Nous allions le chercher nous-mêmes, dit-il. On a fait des demandes à la Fédération, mais ils ont refusé de nous aider. Ils auraient pu sortir ce type de production du régime de contrôle laitier. Ce n’est pas deux fromageries comme nous et le Pied-de-vent [détentrice de l’autre principal troupeau, aux Îles-de-la-Madeleine] qui auraient mis à terre la gestion de l’offre. » Il ajoute que, selon lui, un élevage jumelé à une fromagerie a une meilleure chance de succès.
C’est d’ailleurs à un fromager et éleveur de Jersey de Saint-Nicolas, en banlieue de Québec, qu’ont été vendues les 52 vaches en lactation de la Ferme Hengil. L’adaptation des vaches à ce nouvel environnement ne s’est toutefois pas faite sans heurts. « On a eu un mois et demi pour trouver une solution pour les accueillir », explique le copropriétaire de la Ferme Phylum, Patrick Soucy. Les animaux, qui étaient attachés et à l’intérieur dans Charlevoix, se sont retrouvés en stabulation libre avec un accès à l’extérieur et, qui plus est, un système de salon de traite. Si bien que le nouveau propriétaire a perdu plus d’une douzaine de vaches en raison de blessures et de maladies, ce qui a eu pour effet de ramener le troupeau à 38 têtes. « Comme c’est là, je perds de l’argent », dit-il.
Au départ, ce dernier a vu dans le troupeau de Canadiennes un bon potentiel de commercialisation. « Ça m’a intéressé pour des raisons de marketing, reconnaît M. Soucy. J’ai monté un gros projet. » ll veut miser sur l’agrotourisme. « Dès qu’on a des vaches Canadiennes, tout le monde veut les voir! » estime le producteur, qui aimerait y ajouter un volet éducatif et un volet d’avancement génétique puis ajouter la production d’un fromage. Il est déjà en test avec un fromage à croûte lavée. « La Canadienne a bien des défauts, juge-t-il (voir l’encadré). Mais elle a une qualité, par exemple : son lait est vraiment excellent, meilleur que celui de la Jersey, je dirais. »
Pour réaliser son projet, il juge qu’il devra toutefois impérativement obtenir une certaine forme de soutien financier de la part du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. « Deux fonctionnaires doivent venir dans les prochains jours, mentionne-t-il. J’aurai besoin d’une réponse d’ici la fin juin pour être prêt le 15 octobre au plus tard et avoir un espace où les mettre l’hiver prochain. »
Du caractère à revendre
Patrick Soucy estime que ses nouvelles venues ont un tempérament nerveux, ce à quoi il attribue, en partie, ses difficultés avec la race Canadienne. Mélanie Gagné, de la Ferme Triple G, à Saint-Esprit, dans Lanaudière, observe pourtant le contraire avec ses vaches. « Nos visiteurs n’en reviennent pas comme elles sont calmes! Nous avons un camp de jour et elles côtoient des jeunes chaque jour, dit-elle. Ça se passe très bien. »
Selon elle, le stress est certainement en cause dans le déménagement vers Saint-Nicolas. « C’est un gros changement dans leur vie. Mais c’est vrai [que les vaches Canadiennes] ont du caractère! Elles sont habituées de se débrouiller toutes seules ». Bien qu’elle compte construire une étable froide pour le confort de ses vaches l’an prochain, l’éleveuse rapporte que ces dernières ont vécu sans problème à l’extérieur depuis 5 ans, et ce, 365 jours par année.
Questionné au sujet de la personnalité des Canadiennes, Dominique Arsenault, copropriétaire de la Fromagerie du pied-de-vent, qui côtoie ces vaches depuis 25 ans, confirme qu’elles ont du caractère. « Mais elles ne réagissent pas pour rien, dit-il. Je suis avec des touristes qui en sont proches tous les jours et je ne suis jamais craintif. Un classificateur est venu la semaine dernière et il n’en revenait pas comme nos animaux étaient calmes. » Il estime toutefois que la douceur et la patience sont la clé. « Si on est nerveux ou expéditif, elles le sentent tout de suite, rapporte-t-il. Ce sont aussi des animaux très routiniers. »
Des projets en cours pour la vache Canadienne
La Ferme Triple G commencera à vendre son lait à partir du début juillet à la Fromagerie du Vieux Saint-François à Laval, qui compte créer un nouveau fromage. Un entrepreneur de l’Outaouais est également en développement de projet pour un élevage. « On est au début des jours meilleurs, dit Mélanie Gagné, présidente de la Société des éleveurs de bovins canadiens. Je sens un engouement pour les vaches et le nombre de têtes augmente. On a enfin une vision commune, avec des vaches de plus en plus pures. Mais on a besoin de nouveaux producteurs. La génétique est riche; c’est une chance qu’on a. L’assouplissement de la réglementation pour le transport du lait et la ristourne, l’amélioration de la génétique… La vache aura besoin de tout ça pour prospérer. Je vois un bel avenir pour cet animal. Mais il ne faut juste pas lâcher. »