Mélanges fourragers au champ : De multiples bénéfices… si les conditions gagnantes sont là

Adoptés par une majorité de producteurs de plantes fourragères au Québec en raison de leurs bénéfices, les mélanges multiespèces font ­l’objet de plusieurs travaux de recherche qui visent à mieux documenter ces avantages et éventuellement en arriver à des recommandations de ­combinaisons d’espèces.

Brigitte Lapierre

Chercheuse scientifique à Agriculture et Agroalimentaire Canada, Marie-Noëlle Thivierge participait en février dernier au Colloque sur les plantes fourragères présenté par le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ). En collaboration avec Brigitte Lapierre, agronome à DLF Canada, les deux spécialistes ont dressé l’état des lieux à travers leur présentation Mélanges fourragers : multiespèces, multifonctions, multi questions!

Il est connu que les mélanges multiespèces apportent plusieurs bénéfices. Ils permettent de produire du rendement, d’offrir une bonne valeur nutritive, de réduire les pertes de nitrate par lessivage, d’apporter du carbone au sol, de contrôler les mauvaises herbes. Mais avec ces fonctions vient aussi une certaine complexité pour le producteur agricole qui doit choisir les espèces, calculer les doses de semis pour chacune d’elles, voir aux conditions d’implantation, à la régie qu’il devra appliquer au champ.

Marie-Noëlle Thivierge, chercheuse scientifique à Agriculture et Agroalimentaire Canada

De trois à six espèces

Un mélange allant de trois à six espèces, avec minimalement une légumineuse qui fixe l’azote et une graminée qui l’utilise, est la règle générale à privilégier. « Au-delà de ça, on ne va pas aller chercher une plus-value en termes de production agronomique », soutient la chercheuse, qui prévoit une exception pour un producteur qui voudrait par exemple établir une bande de prairie pour favoriser la biodiversité ou restaurer un champ dégradé.

Le nombre de graminées (1, 2 ou 3) affecte peu la valeur nutritive du mélange pourvu qu’elles soient récoltées à leur stade optimal. À l’inverse, l’ajout d’une deuxième légumineuse à la luzerne améliore en général la valeur nutritive du mélange. Par exemple, l’ajout de trèfle blanc améliorera la digestibilité des matières sèches ou l’addition de trèfle rouge et de lotier améliorera le ratio ­énergie-protéines.

C’est aussi dans des conditions météo plus difficiles et plus variables, comme la saison 2023, que les mélanges multiespèces vont révéler toute l’étendue de leurs bénéfices. « Si on a une période de sécheresse par exemple et qu’on a semé cinq espèces, il y a de bonnes chances que deux ou trois d’entre elles tolèrent mieux la sécheresse que les autres. C’est pour ça qu’on va aussi parler de résilience élevée avec les mélanges multiespèces », mentionne la chercheuse scientifique. 

Marie-Noëlle Thivierge

Pas d’espèce miracle

Pour ces raisons, les deux agronomes résistent à la tentation de désigner une légumineuse ou une graminée en particulier comme un incontournable dans un cocktail fourrager.

On donne l’exemple de la fétuque élevée qui excelle en condition de sécheresse parce qu’elle a un système racinaire très profond. Mais si le printemps est très humide, elle ne survivra pas. Il n’y a pas une espèce qui répond à tous les besoins. C’est vraiment le mélange ­d’espèces qui permet d’avoir tous les avantages.

Marie-Noëlle Thivierge

Cependant, elles rappellent certaines règles dans le cas où le mélange comprend des espèces plus compétitives. C’est-à-dire qu’on diminue la proportion de fétuque élevée ou de dactyle si le mélange comprend de la fléole des prés ou du lotier corniculé. Même règle avec la proportion de trèfle rouge, qui doit être diminuée s’il est semé avec de la luzerne. Et pour certaines espèces comme le pâturin des prés (1 kg/ha), le trèfle blanc Ladino (2 kg/ha) et l’ensemble des bromes d’un même mélange (10 kg/ha), les deux agronomes suggèrent un dosage maximal à ne pas dépasser.

Les conditions gagnantes

Et au-delà des choix des espèces, des conditions gagnantes doivent être mises en place afin qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle. Un sol en santé et de bonnes pratiques culturales sont des facteurs déterminants pour une culture ­réussie. « Un sol bien drainé, avec un bon pH, c’est essentiel pour que les espèces s’implantent bien », rappelle l’agronome. 

Quant à la régie de la récolte à privilégier la première année, Brigitte Lapierre et Marie-Noëlle Thivierge recommandent de procéder lorsque l’espèce dominante, celle semée en plus grande proportion, atteint son point de maturité. « Mais il faut se rappeler que ça ne sera pas toujours la même dans la 2e ou 3e année de production par exemple. Il faut donc s’ajuster, car c’est en récoltant au stade de maturité de l’espèce dominante qu’on va réussir à garder la bonne valeur nutritive de notre mélange fourrager », insiste la chercheuse scientifique. L’outil NUTRI-fourrage – disponible sur nutrifourrage.craaq.qc.ca – permet également de déterminer le moment idéal de la récolte. 

Les bénéfices environnementaux des mélanges multiespèces étant désormais reconnus, de même que leur capacité à atténuer les effets liés aux changements climatiques, les projets de recherche sont nombreux à voir le jour. 

« On pense que dans les prochaines années, on va avoir beaucoup de beaux résultats à présenter aux producteurs », conclut Marie-Noëlle Thivierge, qui collabore de son côté au projet LegumeLegacy, qui mesure la performance agronomique et environnementale de mélanges fourragers comprenant jusqu’à six espèces, et au Laboratoire vivant Racines d’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, qui cherche à déterminer si l’ajout d’une ou plusieurs espèces à un mélange de plantes fourragères pérennes permet de stabiliser les rendements d’une coupe à l’autre et d’une saison à l’autre.

Choix des espèces : des facteurs à considérer

  • Objectifs de l’entreprise;
    Sols;
    Climat/microclimat;
    Régie de coupe;
    Durée de vie des prairies;
    Besoins alimentaires des animaux;
    Autres aliments constituant la ration;
    Mode de gestion des fourrages (pâturage, ensilage, foin);
    Mode d’entreposage des fourrages.