Technologie 23 mai 2024

Les drones envahissent les champs

Il ne fait plus aucun doute qu’un nombre toujours croissant de producteurs vont aller au champ en ayant sous le bras leur console avec écran et télécommandes, non avec l’intention d’essayer un nouveau jeu vidéo, mais bien pour travailler. Bienvenue dans l’univers de l’agriculture assistée par drone, une révolution venue des airs.

« Évidemment, c’est un outil qui va devenir essentiel », croit le chercheur Sylvio José Gumiere, de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. Lui-même a participé à titre de conférencier à la journée de formation Démystifier l’usage des drones en agriculture organisée l’an dernier par le Réseau québécois de recherche en agriculture durable (RQDAD).

La station mobile RTK de positionnement par satellite est synchronisée au drone pour lui permettre de travailler avec une très grande précision. Photos : Pierre Saint-Yves

Le chercheur utilise abondamment ces petits engins volants pour la capture d’images spectrales qui, avec d’autres relevés effectués sur le terrain, permettent d’analyser les problèmes de drainage et le stress hydrique et thermique des plantes. Il mène d’ailleurs actuellement un projet de recherche avec les producteurs de la coopérative La Patate du Lac-Saint-Jean, de Péribonka, pour identifier les zones sujettes au stress hydrique et ainsi mieux cibler les interventions.

La liste des formateurs lors de cette journée du RQDAD comprenait aussi des représentants des entreprises DroneXperts, de Québec, et Drone des champs, de Laval, qui dispensent toute une gamme de services par drone aux propriétaires terriens et forestiers.

L’entreprise OJ Ag, de Drummondville, est l’une des plus jeunes dans le domaine. Son fondateur, Olivier Barmettler, a développé son service de drone pour cartographier les cultures et identifier les zones de stress afin d’ajuster les taux d’application. Il offre aussi des services de pulvérisation de précision par la voie des airs.

« Le marché est en plein développement, mais ces appareils ont déjà fait leurs preuves ailleurs, puisque ça fait maintenant plus de cinq ans que les drones survolent les champs aux États-Unis », dit le jeune homme, qui est bien familier avec le milieu agricole puisqu’il est le fils d’un producteur laitier de Sainte-Élizabeth-de-Warwick.

Dans son atelier du boulevard Lemire à Drummondville, il bichonne ses engins volants de toutes les dimensions, dont les imposants AGRAS T40, dont il fait maintenant la vente. Une fois déployés les quatre bras supportant les rotors, ces engins atteignent plus de trois mètres de diamètre. Preuve de l’intérêt des producteurs pour cette agriculture par voie des airs, la petite entreprise en a déjà livré une dizaine depuis le début de l’année.

Des engins quasi autonomes

Ces appareils entièrement électriques sont alimentés par une batterie qui se branche en quelques secondes. Pour les opérations d’épandage, l’engin est muni d’un réservoir de 40 litres pouvant transporter des matières liquides ou granulaires. Il faut environ une douzaine de minutes pour déverser son contenu. Selon Olivier Barmettler, l’appareil peut donc traiter une superficie de 16 hectares (40 acres à l’heure). 

Le drone effectue son parcours de façon automatisée grâce à la station mobile de positionnement par satellite RTK préalablement placée à la limite du champ. Une fois cette dernière sous tension et synchronisée au drone, ce dernier grimpe à 30 mètres pour cartographier la zone à traiter, puis redescend à un mètre et demi du sol pour entreprendre les va-et-vient, d’une limite à l’autre du champ.

Le réservoir du drone, dont l’ouverture est bien visible sur le dessus de l’appareil, peut être chargé de produits liquides ou granulaires.

« Le drone travaille avec une précision d’un centimètre », explique le jeune opérateur. « Il va détecter les irrégularités du champ et les obstacles qu’il va contourner. Puis, lorsque le réservoir est vide, il revient se poser par lui-même à l’endroit précis d’où il a décollé. Il ne reste qu’à faire le plein du réservoir, changer la batterie et l’appareil reprend l’épandage là où il avait arrêté. »

La console de commande de drone pourrait devenir un outil commun pour les producteurs agricoles.

Le drone peut donc devenir un outil précieux autant dans les exploitations maraîchères ou de grandes cultures que dans les vignobles, les vergers et les propriétés forestières. Les avantages sont nombreux, affirment les propriétaires et opérateurs de ces engins volants. « Le plus grand avantage, c’est que le drone permet d’éviter la compaction du sol », indique Olivier Barmettler. « Il permet aussi de réelles économies de temps parce que même après une averse, il est possible de faire l’épandage en toute sécurité et pour beaucoup moins cher qu’un hélicoptère. Récemment, j’ai même utilisé le drone pour semer du trèfle avant même que la fonte des neiges soit terminée, ce qui, évidemment, est impossible avec les techniques conventionnelles. »

Il y a donc fort à parier que le drone va changer les méthodes de travail à la ferme.

Pesticides interdits

Au Canada, l’épandage par drone de pesticides, herbicides et insecticides est strictement prohibé, sauf si l’étiquette du produit le précise.

Cette interdiction provient de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada qui, avant d’accorder son autorisation, attend les résultats de recherches en cours portant notamment sur les résidus détectés sur les produits cultivés et la dérive des produits lors de l’épandage.

La réticence de l’ARLA exaspère bon nombre d’opérateurs de drone, et Olivier Barmettler est du nombre.

« Comment expliquer que l’épandage par hélicoptère soit permis, mais impossible avec un drone? Lors d’une opération d’épandage, le drone vole à environ un mètre et demi du sol, donc le risque de dérive des produits est beaucoup moins grand. »

Reste que le drone peut servir dans certaines opérations de lutte aux parasites, notamment avec l’épandage de trichogrammes pour combattre la pyrale du maïs et le ver gris occidental des haricots. L’entreprise Drone des champs et ses partenaires se présentent comme les pionniers au Canada dans l’épandage de trichogrammes par drone, une opération qui se fait huit fois plus rapidement qu’à la main.

Avant de prendre les commandes

Avant de prendre les commandes

Les drones d’un poids compris entre 250 g et 25 kg doivent être immatriculés. Au-dessus de 25 kg, ils n’ont pas à l’être, mais le propriétaire et opérateur doit toutefois respecter une série de conditions imposées par Transport Canada. La principale est d’obtenir un certificat d’opérations aériennes spécialisées (COAS) pour un système d’aéronef télépiloté (SATP). Les conditions à respecter pour obtenir ce certificat sont décrites sur le site de Transport Canada [Obtenir une autorisation pour des opérations spéciales de drones (canada.ca)].

Évidemment, une formation est de rigueur. Des entreprises comme DroneXperts offrent une panoplie de formations selon les besoins du propriétaire et opérateur de drone. Elles vont de l’utilisation récréative de l’appareil jusqu’à l’opération de caméras spectrales et thermiques.

Les entreprises spécialisées dans la vente de drones offrent aussi des formations spécifiques aux appareils et, comme OJ Ag, accompagnent le producteur lors des premières utilisations de son appareil.