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Un système pour contrôler les particules libres, gérer les troubles respiratoires, améliorer la qualité des rations et même créer sa propre formule nutritionnelle est en train de révolutionner la filière équestre (et potentiellement le foin de commerce tout court).
L’histoire commence à l’écurie de pension Laitoibleu à Mirabel, où Danielle Levac et Serge Guay, producteurs de foin et propriétaires de l’établissement qui héberge une cinquantaine de chevaux, cherchent des moyens d’optimiser leurs fourrages. « Nous avions plusieurs chevaux asthmatiques, ce qui nous obligeait à mouiller le foin. Le processus était laborieux et générait beaucoup de pertes », raconte Serge. « Et les chevaux étaient malades malgré tout », d’interjeter Danielle. « Le foin est responsable de plusieurs problèmes, aussi bien pulmonaires que digestifs. Chaque fois qu’on devait changer de foin, on se retrouvait avec le même problème. » C’est en mélangeant deux types de foin pour en rééquilibrer l’apport nutritif que le couple découvre la quantité de poussière qu’ils abritent. « En voyant le nuage de particules s’élever dans l’air, on s’est dit : ça n’a pas de bon sens », se souvient Danielle.
Essais terrain
En étudiant les composantes des différentes moulées offertes sur le marché, Danielle a un éclair de génie : remplacer l’eau par de l’huile. « On a constaté qu’en ajoutant de l’huile de soya dans un mélangeur agricole adapté, on éliminait le problème de poussière », relate-t-elle. Le couple entreprend d’administrer ce foin transformé à l’ensemble du troupeau, et observe rapidement plusieurs changements positifs. « La cote de chair et la qualité de la robe s’amélioraient. Les chevaux avaient une belle énergie, et, étonnamment, les troubles respiratoires s’arrêtaient », témoigne Danielle. « Et comme le foin goûtait la même chose partout, on éliminait le gaspillage. Ça réglait beaucoup de problèmes », renchérit Serge.
La rumeur de ce foin « miraculeux » se répand alors dans le milieu. Des vétérinaires aux prises avec des chevaux atteints d’asthme équin sévère (AES) demandent le produit, qui effectue plusieurs sorties concluantes.
Galvanisé par les témoignages émouvants qui se multiplient, le couple entreprend de vendre son foin traité. Une logistique qui s’avère vite impraticable devant la forte demande et les distances à desservir. « C’est alors qu’on a eu l’idée de fabriquer une machine pour traiter son foin soi-même », d’expliquer Serge. Encouragé par son vétérinaire (le Dr Yvan Desjardins, aujourd’hui retraité), le couple lance une première machine en 2015. D’autres prototypes sont ensuite développés, perfectionnant le modèle d’origine. Une version définitive de ce mélangeur agricole adapté est offerte en 2017. « Nous avons mis cinq ans de recherche et développement entre les premiers essais et la commercialisation de la machine, mais nous la voulions solide, sécuritaire, facile à utiliser et bâtie avec des composantes durables. N’importe qui peut manœuvrer la machine », souligne fièrement l’agriculteur.
Bien que l’efficacité du concept soit alors largement reconnue dans le milieu, Danielle insiste pour en établir la probité scientifique. « Je harcelais le Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV) à Saint-Hyacinthe pour qu’on fasse une étude! » raconte en riant cette passionnée de santé équine, qui finit par obtenir gain de cause : l’équipe du Dr Jean-Pierre Lavoie, du Laboratoire de recherche sur l’asthme équin du CHUV, mènera une recherche clinique sur des chevaux atteints d’AES. Publiées en 2019, les conclusions favorables de l’étude1 seront reprises dans plusieurs revues scientifiques.
Ouvrir le marché
Pour Serge Guay, au-delà des mérites scientifiques du procédé, le traitement des fourrages permet d’élargir le marché. « Le système simplifie l’achat du foin. Quand on peut nourrir de cette façon-là, on peut faire plus avec les lots qu’on obtient et optimiser l’offre disponible », souligne le producteur, évoquant les aléas climatiques et la baisse anticipée des volumes de foin de qualité. C’est d’ailleurs dans l’optique de faire rayonner les avantages du concept au bénéfice du plus grand nombre que le couple, qui se décrit comme des agriculteurs avant tout, décidera finalement de passer le flambeau de la distribution.
C’est ainsi qu’une rencontre avec la propriétaire d’un cheval malade marquera le début d’une belle complicité entre des passionnés engagés dans une même cause, et offrira un tremplin commercial au Nutri-Foin. Suivant la recommandation de sa vétérinaire, Sophie Dubois amorce la transition de son cheval Jasper, atteint d’AES sévère, au Nutri-Foin. « Sa conversion a été immédiate », témoigne la cavalière avec émotion. « Lorsque Danielle et Serge ont exprimé leur désir de vendre, la décision s’est imposée d’emblée. » En partenariat avec le horseman Éric St-Arnault, elle fonde l’entreprise E-Star Ranch, qui acquiert la technologie Nutri-Foin.
Un produit multifonction
Sophie en convient, malgré les bénéfices du produit pour la santé générale du cheval, ce sont d’abord ses propriétés pour le contrôle de l’asthme qui attirent les propriétaires de chevaux.
« Les gens mettent un cheval sur ce foin parce qu’il souffre de problèmes respiratoires, puis finissent par l’administrer à tout le troupeau par prévention, mais aussi pour faciliter la gestion. »
Pour Éric St-Arnault, la possibilité de concevoir des formules nutritionnelles adaptées représente d’ailleurs un atout majeur. « J’aime bien ajouter les vitamines et minéraux directement à la portion de foin, ce qui m’évite souvent de donner de la moulée. Je l’utilise aussi pour mélanger des types de foin. Par exemple, pour augmenter le niveau de protéine des juments qui allaitent ou des poulains en croissance, je peux ajouter une partie de luzerne à mon foin de mil. On peut aussi calibrer les premières et deuxièmes coupes. En ajustant le temps de brassage, on peut modifier la texture du foin de départ pour obtenir la consistance recherchée », ajoute l’entraîneur.
Des créneaux à développer
La machine est conçue pour traiter du foin sec en balles carrées, mais avec un peu de manipulation, certains l’utilisent aussi pour des balles rondes. « Nous réfléchissons à la version 2.0 de la machine, qui proposerait des accessoires à adapter aux besoins », explique Sophie. « On travaille aussi à développer un marché pour le Nutri-Foin prêt à livrer, avec des formules conçues pour des contextes particuliers, par exemple pour les chevaux seniors, ou sujets à fourber, ou convalescents », ajoute Éric. « Pour les chèvres laitières, incorporer un tourteau de soya est très faisable. C’est un marché qu’on veut explorer. » L’entrepreneur collabore également avec des producteurs laitiers pour la vente de foin sec, et souhaiterait travailler avec des agriculteurs de la région pour développer un foin spécifique aux besoins des chevaux. Depuis 2017, plus de 100 systèmes Nutri-Foin ont été distribués à travers le Québec.
1. A. Jochmans-Lemoine, K. Picotte, G. Beauchamp, A. Vargas, Jean-Pierre Lavoie, Effects of a propriety oiled mixed hay feeding system on lung function, neutrophilic airway inflammation and oxidative stress in severe asthmatic horses, 2019