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Sara Patenaude est une femme que l’on pourrait presque qualifier de wonder woman.
C’est que la productrice de fibre d’alpaga s’implique partout : elle est copropriétaire de l’entreprise Alpagas des Hauts Vents à Havelock, elle a fondé l’Association des éleveurs d’alpagas du Québec (présidée par son mari), elle vient d’accepter de reprendre la firme de génie-conseil de son père et, par-dessus le marché, elle est la mère de quatre enfants. Pas étonnant que la Fédération des agricultrices du Québec lui ait décerné, au Gala Saturne de novembre dernier, le prix 2013 de l’agricultrice de passion. Portrait d’une femme amoureuse de son métier et de ses alpagas.
La piqûre de l’agriculture
« L’agriculture, c’est du 80 heures par semaine, explique la productrice, avec des rushs et des congés différents de la normale. J’adore fonctionner à ce rythme-là. » L’horaire de 9 à 5, Sara Patenaude ne le supportait plus. Diplômée en gestion, elle avait pourtant un bon poste chez Bombardier.
Le couple, originaire de l’ouest de Montréal, s’achète une maison à Vaudreuil, la dernière au bout d’une rue, collée aux champs. Il se fait des amis producteurs qui travaillent dans les grandes cultures. Ces derniers viennent de s’acheter des veaux de lait pour diversifier leur production. Et c’est le coup de foudre du couple pour ce métier : « J’aimerais ça, cette vie-là », dit Sara à son mari en rentrant d’un souper chez leurs nouveaux amis.
En parallèle, Sara se pose une myriade de questions. « Je regardais ma fille jouer dans la cour et je ne comprenais pas la société dans laquelle je vivais. Je me demandais pourquoi je la laissais entre les mains d’inconnus alors que je pourrais l’élever moi-même. » L’agriculture représente l’un des rares domaines où il est possible de concilier travail et famille : « Je n’aurais pas pu avoir mes enfants avec moi quand je rencontrais des clients chez Bombardier, ce qui est possible aujourd’hui quand je m’occupe des animaux. » C’est grâce à un voyage de ses parents dans l’Ouest canadien que Sara découvre les alpagas. Le couple tombe amoureux de ces bêtes et, en 2005, après deux années de recherches sur ces animaux et leurs éleveurs, décide finalement d’acheter une ferme à Havelock, en Montérégie, et d’en faire un élevage.
« Agrovestimentaire »
« Moi, ce que je fais, c’est de “l’agrovestimentaire”. Je tonds mes alpagas moi-même, fais filer la fibre recueillie et la revends transformée à ma boutique », affirme la productrice. D’ailleurs, en plus des tuques, gants et foulards, ce qui attire l’œil en entrant dans la boutique de la ferme, c’est la quarantaine de médailles accrochées à une poutre du plafond, témoignant de la qualité de la fibre qui y est vendue. Sara est une femme d’affaires intelligente et efficace. Avant même d’acheter son troupeau dans l’Ouest, elle s’est fait connaître par les producteurs. « On se part dans l’alpaga soit avec beaucoup d’argent, soit avec beaucoup d’efforts », raconte-t-elle. Elle a opté pour le deuxième choix : au cours d’un microvoyage de trois jours, elle a étudié 30 alpagas sur 10 fermes, pour en ramener 7 au Québec.
Aujourd’hui, le troupeau de Sara Patenaude comporte 50 têtes, et c’est une femme occupée. En 2012, elle a mis sur pied l’Association des éleveurs d’alpagas du Québec et organisé la première compétition de la province. Depuis le début de l’été, elle effectue cinq jours de travail en deux à la firme de génie-conseil et sept jours en cinq à la ferme.
Son rêve?
C’est sûr, à long terme, Sara aimerait intégrer ses enfants dans son entreprise, mais ce ne sera pas pour tout de suite, car ils ont 12, 10, 9 et 6 ans. Elle ne cherche pas non plus à grossir son troupeau parce qu’elle et son mari ne sont que deux pour s’occuper de la gestion. Non, son rêve un peu fou serait de faire elle-même sa production de A à Z. Les alpagas n’occupent qu’un huitième de la grange qu’elle possède (ancien bureau de poste datant de 1892) et le reste de l’espace sert à stocker du foin. En installant un moulin dans la grange, elle pourrait filer la fibre de ses bêtes sur place. « Il n’y a plus rien qui est fait au Québec », déplore-t-elle. Mais pour faire fonctionner un moulin, il faut engager deux personnes à temps plein. Est-ce réellement rentable?
L’alpaga en bref :
- On connaît bien le lama pour l’avoir aperçu sur des clichés du Pérou, mais moins son cousin l’alpaga, originaire lui aussi de la cordillère des Andes. Ils font tous deux partie, comme le chameau, de la famille des camélidés;
- L’animal mesure entre 80 cm et 1 m et pèse entre 45 et 90 kg;
- Habitué au climat des Andes, il s’accommode facilement à celui du Québec et tombe rarement malade. Il vit en troupeau, est docile, intelligent et craintif de l’humain;
- Les alpagas sont connus pour leur fibre exceptionnellement douce et les crachats acides qui proviennent de leur estomac. Leur crachat est d’ailleurs leur seul moyen de défense, puisque les alpagas ne possèdent ni ongles ni griffes et ont un coussin sous leurs sabots qui amortissent les coups;
- Il faut faire attention à ne pas trop les apprivoiser pendant l’élevage, puisque si une femelle apprivoisée donne naissance à un mâle, celui-ci s’habituera à la présence de l’humain et pensera qu’il fait partie du troupeau. Or, en période de reproduction, il pourrait l’attaquer.
Comment sont fabriqués les vêtements en fibre d’alpaga?
La fibre est douce (presque autant que le cachemire), fine, hypoallergène et très chaude. Sara Patenaude tond ses bêtes et envoie la fibre dans un moulin semi-artisanal au Nouveau-Brunswick, où elle est filée. Un alpaga donnera environ 5 lb de fibre, ce qui permettra de fabriquer 200 balles de laine de 100 g, 20 tuques, 10 foulards ou 5 chandails. La fibre de l’alpaga est classée par grades : 1, 2 et 3 seront assez doux pour se transformer en foulards ou tuques; 4 sera plus résistant et idéal pour faire des chaussettes (mélangé avec de la laine mérinos pour plus d’élasticité); 5 et 6 serviront à confectionner des semelles de bottes d’hiver ou de la bourrure pour une couette.
L’avantage de filer la fibre de manière semi-artisanale est la capacité de réaction et d’adaptation à la mode. « C’est difficile de modifier ta production quand tu fais de la production industrielle comme il s’en fait au Pérou. Au Québec, je trouve que l’artisanal a vraiment sa place. C’est du fait sur mesure et on peut s’adapter rapidement à la mode », explique Sara Patenaude.