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Depuis quelques années, dans le paysage québécois, une vague de fond déferle sur nos assiettes, propulsant l’autonomie alimentaire au cœur des préoccupations. Au fil des saisons et des défis mondiaux, les Québécois rêvent d’une assiette remplie, variée et ancrée dans leurs terres fertiles, produite par une communauté d’agriculteurs engagés.
ette conscientisation à l’achat local incarné dans le grand concept de l’autonomie alimentaire est certes l’une des rares leçons positives tirées de la pandémie de COVID-19. Même le gouvernement en a réaffirmé l’importance quand les frontières fermées et les obstacles à la main-d’œuvre agricole ont menacé la capacité des Québécois à se nourrir.
Ce souhait collectif bien ancré dans le présent et porteur d’avenir ne date pas d’hier. Il a alimenté la passion des agriculteurs au cours des cent dernières années. Dès le moment où le Québec s’est mis à structurer ses politiques agricoles, depuis les débuts de notre agriculture moderne, cette idée de travailler la terre afin de nourrir toutes les bouches du Québec s’est trouvée au cœur de la vision des cultivateurs, décideurs et grandes associations de producteurs.
« Quand on parle d’autonomie, on cible la capacité, pour un territoire donné, de produire assez de nourriture pour nourrir ses populations sans égard à leurs portraits socio-économiques et culturels », indique Jean-Nick Trudel, directeur général de l’Association des marchés publics du Québec (AMPQ).
Bien que les termes « autonomie alimentaire » et « autosuffisance alimentaire » soient souvent utilisés de manière interchangeable, ils ont des nuances de sens distinctes. L’autonomie alimentaire met davantage l’accent sur la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires, tandis que l’autosuffisance alimentaire supprime toute forme de recours à des productions extérieures. L’autosuffisance, souvent appelée autarcie, vise donc à satisfaire tous les besoins alimentaires par les ressources locales (ou nationales).
Peu de politiciens ont incarné ces notions comme l’a fait Jean Garon. Lorsque celui-ci arrive en poste en 1976 comme ministre de l’Agriculture du Québec, il fait de l’autosuffisance alimentaire l’objectif central de sa politique bioalimentaire. À la sortie de son autobiographie en 2013, il décrivait en entrevue sa démarche de « nourrir le Québec » comme étant celle « d’être capable de nous nourrir nous-mêmes ou, plus précisément, de produire suffisamment pour que nos exportations compensent nos importations ».
On ciblait alors des produits tels que les fruits, les légumes, le bœuf et les céréales. Les pêcheries sont intégrées à cette démarche en 1979. Lorsque les troupes de Robert Bourassa retrouvent le pouvoir en 1985, le Parti libéral abandonne ce projet, marquant le début d’une période néolibérale caractérisée par l’ouverture des frontières et la déréglementation.
Ouverture des marchés
Avec la ratification de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cette libéralisation s’accélère dans les années 1990. Tout le secteur bioalimentaire en est affecté.
De « nourrir le Québec », on passe à « nourrir le monde » alors que les politiques encouragent les entreprises d’ici à exporter sur les marchés mondiaux. Or, depuis les années 1980, l’accroissement du nombre de traités de libre-échange a entraîné une diminution de l’indépendance alimentaire du Québec, laquelle est passée de 80 % à 30 % actuellement.
Dans les années 2000, le principe de souveraineté alimentaire revient au cœur de notre politique bioalimentaire avec le rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. Son application souffrira toutefois des changements de garde entre les partis Libéral et Québécois, tandis que la CAQ, élue en 2018, fait le choix de la continuité avec sa Politique bioalimentaire 2018-2025.
Mais ça, c’était avant que la pandémie de COVID-19 ne mette en lumière la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement et soulève des préoccupations quant à la dépendance aux importations alimentaires.
Revirement majeur : l’autonomie alimentaire devient un pilier de la politique bio-alimentaire, conduisant à des initiatives telles que la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois, le Plan d’agriculture durable 2020-2030, la Stratégie de croissance des serres 2020-2025 et le Plan de développement des communautés nourricières, toutes visant à promouvoir l’achat local, à accroître la production et à favoriser la durabilité dans le secteur bioalimentaire.
Renforcer les liens entre producteurs et consommateurs
L’autonomie alimentaire implique de faire un choix conscient en faveur des produits québécois. Pour beaucoup de citoyens, cet éveil est passé par une volonté de reprendre contact avec les producteurs, notamment dans les marchés publics.
Plus de 2 500 producteurs agricoles et artisans bioalimentaires y offrent leurs produits.
Pour M. Trudel, le potentiel sociétal des marchés publics est énorme, car c’est un joueur d’importance dans le tissage de liens entre producteurs et consommateurs. En fait, c’est tout l’écosystème des circuits courts – incluant les marchés fermiers, les coopératives agricoles, les points de vente à la ferme ou les partenariats directs avec les producteurs et des restaurants ou des épiceries locales – qui favorise une économie régionale, réduit l’empreinte carbone associée au transport des aliments sur de plus longues distances et participe à l’éducation du public face au travail de tous les types de fermiers.
Des filières autosuffisantes?
Le Québec démontre déjà une certaine autosuffisance dans plusieurs filières agricoles, exportant des produits tels que le sirop d’érable, les canneberges, le porc, le veau et les bleuets. Cependant, des disparités subsistent, notamment dans le secteur maraîcher, où les saisons de croissance limitées et le climat nordique posent de nombreux défis. Soutenir les secteurs avec un potentiel de croissance, notamment la production de pommes, de bœuf, d’agneau, de miel et de poisson d’élevage, est identifié comme un moyen d’améliorer l’autonomie alimentaire.
Les retombées positives de l’augmentation des achats d’aliments locaux sont multiples, créant des emplois, générant de la richesse et revitalisant les communautés locales. L’autonomie accrue offre également une stabilité économique et politique face aux crises potentielles.
Rappelons que les outils de mise en marché collective (gestion de l’offre, plans conjoints, chambres de coordination, etc.) jouent un grand rôle dans l’économie de notre agriculture. Ces outils, dont le premier a vu le jour en 1956, aident les producteurs dans la commercialisation de leurs produits et sont déterminants dans l’assurance d’une part de notre autonomie alimentaire, notamment en période de crise.
Un dialogue qui porte ses fruits
Suivant la vague d’intérêt suscité par la pandémie, l’UPA et l’Institut du Nouveau Monde ont entamé en 2020 un dialogue sur la question de l’autonomie afin de favoriser les rencontres et les échanges entre producteurs et citoyens et de leur permettre de mieux comprendre leurs réalités respectives, attentes et besoins spécifiques dans la chaîne agroalimentaire.
Cette réflexion a mené au constat que pour garantir son autonomie alimentaire, le Québec doit surmonter des défis tels qu’un cadre législatif obsolète, une rigidité financière de l’industrie agroalimentaire, un aménagement déficient du territoire, et d’évidentes contraintes financières.
Des leviers tels l’innovation, la mise en place d’infrastructures agricoles régionales, l’adaptation de la politique bioalimentaire, la diversification de l’industrie agroalimentaire et l’actualisation dynamique du cadre législatif et réglementaire pourront servir de forces motrices favorables à la réalisation de l’autonomie alimentaire.
Profiter de l’élan donné par la pandémie
« Pendant la pandémie, l’achat local était sur toutes les lèvres, se rappelle Florence Lefebvre St-Arnaud, copropriétaire des Jardins biologiques Campanipol à Sainte-Geneviève-de-Batiscan en Mauricie. La volonté populaire de se nourrir à même le fruit de nos sols avait rarement été aussi forte. »
La jeune fermière de famille, agricultrice de deuxième génération, était encore au berceau quand ses parents, Robert et Danielle, livraient leurs premiers paniers maraîchers bio à des familles curieuses de découvrir cette nouvelle offre alimentaire. Ces pionniers du circuit court n’auraient jamais imaginé que, 30 ans plus tard, le concept serait à ce point populaire. Avec ses paniers de denrées, entre autres initiatives, le Réseau des fermiers de famille regroupe aujourd’hui plus de 150 fermes biologiques au Québec et au Nouveau-Brunswick, qui nourrissent chaque année près de 30 000 familles.
« On doit augmenter la part québécoise dans nos assiettes, insiste l’agricultrice. Oui, ça passe par les circuits courts, mais pas seulement, nuance-t-elle. Il faut aussi que d’autres genres d’entreprises aient leur place dans cette assiette, parce que les contextes changent. Le soutien aux producteurs doit être adapté à leurs besoins. »
L’augmentation de l’autonomie alimentaire n’implique pas l’isolement, mais plutôt une production accrue tenant compte des ressources et des réalités climatiques locales. Oui, on doit éduquer le consommateur, mais la prise de conscience doit être collective, à tous les niveaux. Les écoles, les restaurants et les autres institutions doivent s’approvisionner en produits québécois, et les décideurs doivent mettre en place des politiques claires en ce sens et voir à leur respect.
Pérenniser les bonnes habitudes
Force est de constater que l’engouement suscité par l’achat local pendant la période pandémique s’efface peu à peu, mais il est encore trop tôt pour en mesurer toutes les facettes. La situation économique s’est assombrie après la pandémie; les consommateurs ont constaté une nette augmentation du prix du panier d’épicerie et les entreprises agricoles ont vu une augmentation de la majorité du coût de leurs intrants (semences, énergie, main-d’œuvre, frais de transport, etc.). Cette poussée inflationniste a d’ailleurs provoqué la fermeture de plusieurs fermes de proximité et l’avenir est encore sombre pour un grand nombre.
Reste à s’assurer que le consommateur agisse aussi en tant que citoyen, c’est-à-dire qu’il reste conscient de l’importance d’acheter local.
L’avenir nous en dira plus.