Vie rurale 22 octobre 2014

Lac-Saint-Jean : Sirois achète (à gros prix) une terre destinée à la relève

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ALMA — Un producteur agricole du Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui voulait acheter une terre pour sa fille âgée d’une vingtaine d’années, vient de se faire damer le pion par l’homme d’affaires Charles Sirois, président de la firme Pangea.

Jean-Pierre Doré, 59 ans, était prêt à payer 3 505 $ l’acre, soit 701 000 $, pour permettre à sa fille Julie, 27 ans, de mettre la main sur 200 acres de terres cutivables.

« Je me trouvais même un peu fou de m’endetter pour un aussi gros montant… » confie-t-il, ironique, en entrevue à la Terre.

Contre toute attente, il s’est fait surprendre par une offre supérieure à la sienne. Pangea a payé 750 000 $, soit 3 750 $ l’acre, pour des terres où elle compte cultiver le soya.

« J’en reviens pas encore! » lance, estomaqué, le producteur laitier de Métabetchouan–Lac-à-la-Croix.

Cette transaction fait grand bruit au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où la fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles (UPA) tient aujourd’hui son congrès annuel. Son histoire ne laisse personne indifférent, et elle fait remonter à la surface les enjeux de la financiarisation des terres agricoles et de la relève, incapable de payer les prix de la spéculation.

On chuchote, dans les corridors, sans en fournir des preuves concrètes, cependant, que la Banque Nationale est « toujours dans les parages », aux côtés de Charles Sirois et de son associé, Serge Fortin.

Jean-Pierre Doré, qui a été maire de Métabetchouan, est amer. Il croyait pouvoir permettre à sa fille Julie de « disposer de plus d’espace pour cultiver ».

« C’est elle, la relève, après tout, et avec cette terre, elle pouvait envisager de doubler la production de céréales. C’est une terre dans un bon secteur, près du Lac, et qui bénéficie d’un microclimat propice à la culture. »

Devant le notaire

Or, tout dernièrement, Jean-Pierre Doré a réalisé qu’il ne « luttait pas à forces égales » lorsqu’il s’est présenté au bureau du notaire, lors de l’ouverture des soumissions.

« J’ai vite compris, soupire-t-il. Ils [Pangea] payaient environ 250 $ de plus l’acre. C’était moi, le producteur privé, contre une entreprise qui a les moyens d’une société inscrite en Bourse. Au moins, si mon concurrent avait été un de mes voisins qui gagne sa vie en agriculture, ça m’aurait moins choqué. »

« Ça ne me rentre pas dans la tête, insiste-t-il, que des fonds d’investissement viennent se mêler d’agriculture. Ce n’est pas ça, notre avenir. »

Un combat perdu?

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la présence de Pangea, de plus en plus visible avec son imposant centre de grains flambant neuf, continue de diviser les producteurs. Le simple fait de prononcer le nom de la firme de Charles Sirois semble déranger tout autant.

« On ne sait pas ce que le gouvernement a l’intention de faire pour [contrer] l’accaparement », a soulevé, de son côté, le président de la fédération régionale, Yvon Simard, à l’intention de la centaine de délégués présents au congrès, à Alma.

La relève y est fortement représentée, et pour cause : les enjeux n’ont jamais été aussi grands. « Il va falloir trouver des façons imaginatives pour donner accès au financement, si on veut garder nos jeunes, a réagi Pierre Lemieux, 1er vice-président de l’UPA. Il faudra que les institutions prêteuses fassent preuve de plus de souplesse, sinon on va perdre toute une génération, et ce n’est pas ce qu’on veut, bien au contraire! »