Bien-être animal 13 février 2024

« C’est comme avoir un casier judiciaire »

Il y a quelques années, un jeune éleveur de porcs de la relève, établi en Montérégie, a reçu une amende de près de 3 000 $ pour un manquement aux normes de bien-être animal. Il en subit encore les conséquences. 

« J’ai payé l’amende, et même si ça fait deux ans et que tout est réglé, c’est marqué «bien-être animal» dans mon dossier. Ça revient toujours, c’est comme avoir un casier judiciaire. Dernièrement, mon créancier m’en a même parlé. Il m’a demandé si l’infraction de bien-être animal pouvait m’empêcher de continuer à produire. Tu ne sais jamais quand ça va te retomber dans le visage. Tu te poses des questions. Tu baisses ta production. Dans ce temps-là, tu n’avances pas », témoigne celui qui a tenu à conserver l’anonymat. 

Le libellé de son infraction demeure large : « Étant propriétaire d’un animal, ne s’est pas assuré qu’il était gardé dans un lieu salubre, propre, convenable, suffisamment espacé et éclairé. » Ses porcs à l’extérieur étaient couverts de boue après avoir creusé des trous et cela a agacé l’inspecteur, explique le jeune producteur. Il mentionne aussi la litière accumulée à l’intérieur et un bout de tôle plié qui dépassait du bâtiment. « Il y a une grosse question d’interprétation. Qu’est-ce qui est conforme ou pas avec du vivant?  Chez moi, aucun de mes animaux n’était maltraité, malade, le flanc creux, mal nourri, ou en détresse. Avant de rentrer dans le bâtiment avec l’inspecteur, on les entendait même ronfler! Et pour les bâtiments, c’est vrai que c’est vieux ici, mais quand tu es jeune, il faut que tu commences quelque part, avec de vieilles affaires que tu améliores. Je pense qu’un autre inspecteur aurait pu avoir un autre constat », est-il d’avis. L’agriculteur assure ne pas être un amateur, détenant notamment un diplôme de l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec en production animale et en transformation à la ferme. 

Il dit être certain que la plainte initiale vient de son voisin, un producteur de porcs de plus grande envergure qui voyait en son élevage à l’extérieur une menace pour sa biosécurité. Ce climat de dénonciation n’aide pas au bon voisinage, exprime le producteur.

Peu de soutien pour les petits

Le jeune agriculteur déplore le manque de soutien et d’information pour les petites productions quant aux normes du bien-être animal.

L’inspecteur te dit que ce n’est pas correct. OK, mais après, je me tourne vers qui pour savoir quoi faire pour être 100 % conforme? Il n’y a aucun service-conseil pour ça.

Ce constat est partagé par Léon Bibeau-Mercier, président de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ). « Ce qui est certain, c’est que pour l’élevage non conventionnel, d’animaux en plein air, comme le porc, le poulet de chair et la poule pondeuse, il n’y pas de chemin clair pour les normes de bien-être animal, ni de diffusion de connaissances et ni de professionnels en accompagnement capables de formuler des réponses qui se tiennent. » 

Il donne l’exemple du porc.  « Quelle est la densité animale qui peut m’éviter de me retrouver dans un parc de bouette après deux semaines? Ce genre de soutien agronomique, on ne l’a pas. Alors les producteurs y vont par essai et erreur, dans une certaine mesure », mentionne M. Bibeau-Mercier. 

Ce dernier espère que les grandes fédérations, comme dans le secteur de la volaille, qui accueillent certains petits producteurs parmi ses membres, transmettent davantage leurs expertises en matière de bien-être animal. Il dit être en discussion aussi avec le ministère de l’Agriculture pour « décoller » un projet sur les bonnes pratiques.


Possible de contester?   

Un jeune producteur de porcs de la Montérégie indique qu’il s’avère laborieux de contester une infraction de bien-être animal. « Au début, j’ai plaidé non coupable. J’avais en main des éléments qui prouvaient que je suis un producteur responsable avec mes factures d’achat de litières, etc. Quand j’ai parlé au procureur, il m’a dit : ‘’Tu vas perdre ta cause. Il n’y a pas un juge qui sera en faveur d’un producteur qui a une infraction de bien-être animal.’’ J’ai demandé à l’UPA [Union des producteurs agricoles] si leurs avocats pouvaient m’aider et il n’y avait rien à faire. J’ai décidé d’arrêter de me battre. Et moralement, ça m’a mis à terre. »

La Terre a demandé à Me Diane Simard, directrice des affaires juridiques à l’UPA, à qui un producteur peut s’adresser pour élaborer un dossier de non-culpabilité face à une accusation de bien-être animal. « Un producteur peut communiquer avec tout bureau d’avocat qui agit en droit pénal, dont BHLF [cabinet de droit agricole affilié à l’UPA], mais tout avocat a toujours la discrétion d’accepter ou non un mandat », a dit Me Simard.

De son côté, Benoit Bouffard, un agriculteur et propriétaire d’abattoir qui n’en est pas à sa première infraction en matière de bien-être animal, explique qu’il conteste justement des amendes qu’il a reçues. « Il y a moyen de contester. J’ai même déjà gagné quelques causes. Les juges ont du jugement, quand tu leur montres qu’il y a exagération de la part des inspecteurs, ou qu’ils ont pris des photos hors contexte, les juges comprennent. Mais c’est extrêmement long, les procédures, et ça finit quand même par te coûter aussi cher en avocat que le prix de l’amende », affirme-t-il.