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SAINT-FULGENCE – Pour la première fois, cette année, un maraîcher du Saguenay, Adrien Belkin, fera le pari de se servir de ses trois serres en plein hiver pour la production de verdurettes résistantes au froid, telles que des épinards, du persil, des céleris, du tatsoi et des oignons verts. Ces cultures pousseront à même le sol jusqu’en avril, dans ses installations chauffées à très basse température.
Un programme de Québec pour le développement des serres et des grands tunnels, à la portée des petits producteurs depuis 2020, l’a encouragé, comme plusieurs autres, à ajouter des serres sur son site. À la base, le maraîcher de Saint-Fulgence souhaitait améliorer son rendement d’été, accélérer les récoltes de légumes populaires, tels que les tomates et les concombres, et diversifier son offre de produits. En parallèle, plutôt que de laisser ses serres vacantes de novembre à avril, il y cultivera des produits à seulement 2 °C.
Rentabilité ardue
L’agronome Charlotte Giard-Laliberté observe un engouement pour la culture en serres froides ou très peu chauffées de verdurettes, soit une catégorie de produits qui inclut aussi la laitue, le bok choy ou encore la roquette. Ce phénomène, dit-elle, fait suite à un boum de constructions de serres ces dernières années. « C’est une occasion de rentabiliser les structures en ajoutant une culture, de répartir la charge de travail et les sources de revenus à l’année. Il y a aussi une notion de fidélisation de la clientèle, en proposant des légumes locaux à l’année », constate la chargée de projet en culture maraîchère au Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+) du cégep de Victoriaville. Moins énergivore et plus accessible aux petits maraîchers que la production de tomates ou de concombres, qui poussent à 20 °C, la culture hivernale de verdurettes n’en demeure pas moins difficile à rentabiliser, prévient-elle.
Car contrairement à Adrien Belkin, qui alimentera deux de ses serres à l’électricité, la majorité des agriculteurs n’ont pas accès au réseau triphasé et chauffent au propane. Une option qui s’avère très coûteuse.
Vincent Séguin, un producteur de Sainte-Hélène-de-Chester, dans le Centre-du-Québec, se dit encore « en expérimentation » après trois ans d’essais et d’erreurs pour améliorer sa technique de culture hivernale. « On apprend à connaître nos cultures, mais ça devient vite pas rentable du tout, le chauffage.
La première année, on a perdu de l’argent, par manque de connaissances. Ça nous coûtait en propane ce qu’on récoltait », raconte le maraîcher, qui a relevé un manque d’expertise en service-conseil pour cette pratique émergente.
Un produit d’appel
Selon ses dires, la rentabilité des paniers d’hiver de M. Séguin repose surtout sur l’ajout de légumes de conservation et de produits transformés à base de ce qu’il cultive pendant l’été. Les verdurettes de serre viennent compléter l’offre à titre de produit d’appel.
Adrien Belkin aura une stratégie similaire cet hiver en utilisant les produits de serre comme levier pour vendre ses pommes de terre, ses oignons, ses carottes, ses radis et ses betteraves, qu’il conserve en entrepôt réfrigéré.
Si une étude qu’elle a menée ces dernières années montre que la production en serres chauffées à 5 °C peut être rentable, Charlotte Giard-Laliberté prévient qu’il s’agit surtout d’une intéressante « culture d’appoint », qui doit être complémentaire à une offre diversifiée.
« Je suis sceptique quant à la spécialisation des producteurs. C’est intéressant à explorer, mais avec prudence. […] Est-ce que ce sera une mode ou est-ce que ça va rester constant comme mode de production? Je pense que c’est la question de la rentabilité et du développement de l’expertise technique qui va décider de ça. » Plusieurs projets de recherche relatifs, par exemple, à la gestion de la lumière naturelle et de l’énergie, auxquels participe le CETAB+, sont prévus ou en cours.
Des plants qui survivent à -15 °C
Un habitué de la serriculture à basse température, François Biron, estime tirer un revenu brut de 15 $ par mètre carré avec ses cultures hivernales d’épinards, de crucifères, de coriandre, de persil et de chicorée qu’il vend en gros ainsi que pour la production de paniers d’hiver.
Pour protéger sa marge de profits, le producteur de L’Ange-Gardien, en Outaouais, chauffe le moins possible, juste assez pour que les cultures s’acclimatent progressivement au froid. « Quand la température extérieure passe de 0 à -4 degrés, on commence par chauffer à -2 pour que la plante s’habitue. Après, on descend à -3, -4, -5, -7, -8, et un moment donné, quand on juge que les plants sont adaptés, on ne chauffe plus du tout », explique celui qui utilise le propane pour alimenter ses installations.
Jugeant qu’il ne vaut pas la peine de produire durant les mois les plus sombres de l’année, il met sa production sur pause de la mi-décembre à la mi-février et récolte durant les mois plus lumineux qui favorisent naturellement la croissance des plants, soit d’octobre à la mi-décembre et de la mi-février à la mi-mai. Durant la pause, au creux de l’hiver, il maintient la température aussi bas qu’à -15 °C dans ses serres, de sorte que les plants survivent sans subir de dommages.
« Chez nous, les plants ne poussent pas l’hiver, ils survivent. […] Un des gros facteurs limitants, c’est la lumière. Ça ne sert à rien de chauffer sans lumière pour faire la croissance. J’ai appris ça, à force de l’essayer », indique celui qui a mis six ans avant de trouver la technique qui lui convient.