Partenaire de La Terre 30 octobre 2023

Assurer la relève en agriculture : les défis et solutions de la nouvelle génération

Ce contenu a été produit par l’Union des producteurs agricoles.

Les temps ont bien changé. Se lancer en agriculture de nos jours ne ressemble en rien à ce qui se faisait il y a 30 ans. Les jeunes agriculteurs font face à de nombreux obstacles : entre la flambée des prix des terres et l’envolée des coûts initiaux, exacerbée par la montée des taux d’intérêt et le contexte inflationniste, la tâche semble ardue. Il n’est donc pas surprenant que moins de jeunes s’y engagent.
En 2021, ils étaient 3 645 agriculteurs de moins de 35 ans, contre 4 775 une décennie plus tôt.

Pourtant, le besoin d’une relève dynamique n’a jamais été aussi important en raison du vieillissement notable des producteurs du Québec. Pour preuve, en 2021, l’âge moyen des exploitants agricoles s’élevait à 54 ans, en progression depuis 2011, où il était de 51,4 ans. Pas moins de 22 590 producteurs avaient franchi le cap des 55 ans cette année-là, contre 17 450 en 2011.

Malgré ce tableau, tout n’est pas sombre. La nouvelle génération a des atouts en main. Mieux formée, interconnectée, ouverte aux nouvelles pratiques, elle innove et s’adapte. Elle a aussi des idées pour résoudre les défis auxquels elle fait face. Mobilisés au sein de la Fédération de la relève agricole (FRAQ), qui rassemble 2 054 membres de moins de 40 ans, les jeunes producteurs et productrices ont élaboré des revendications claires et les ont regroupées sur une plateforme Web. L’objectif de cette initiative : alerter les instances et sensibiliser la communauté agricole, ainsi que le grand public. Survol des aspirations d’une relève déterminée.

Les demandes de la relève pour l’avenir de l’agriculture

Julie Bissonnette, présidente de la FRAQ et productrice laitière dans le Centre-du-Québec

Il y aura bientôt un an que la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ) a dévoilé sa plateforme de revendications, qui rassemble les demandes formulées par les membres de ses 13 syndicats régionaux au cours des dernières années. « Nous n’avions pas de place commune pour les retrouver et les détailler. La plateforme vient corriger cette lacune. L’ensemble de nos positions sont maintenant contenues dans un même document disponible sur le site de la FRAQ, qui sera mis à jour chaque année pour en rajouter ou en retirer selon l’évolution des différents dossiers et les résultats obtenus », explique Julie Bissonnette, présidente de la FRAQ et productrice laitière dans le Centre-du-Québec. 

Le déploiement de la plateforme a nécessité plusieurs mois de travail. Chacune des demandes est contextualisée et présente les solutions élaborées par les membres de la FRAQ. Pour compléter l’exercice, ils ont également estimé le coût de la plupart de leurs propositions (certaines étant à coût nul) qui peuvent être mises en œuvre à court ou plus long terme. « La plateforme constitue un précieux outil que nous pouvons présenter aux différentes instances pour faire entendre la voix de nos membres sur les différents enjeux qui les touchent », précise Pier-Luc Hervieux, vice-président de la FRAQ et producteur maraîcher de la région de Lanaudière. 

Une représentation adéquate des jeunes de la relève, c’est la première demande que la FRAQ adresse à plusieurs intervenants, dont aux instances de l’UPA, aux spécialités et au gouvernement. « C’est important que les jeunes agriculteurs et agricultrices soient au cœur des décisions qui seront prises pour l’avenir de l’agriculture, ajoute Julie Bissonnette. Après tout, nos membres sont les mieux placés pour parler de leurs défis, de leurs aspirations et de la réalité du terrain. »

Les revendications de la FRAQ sont regroupées en cinq volets : 

  • Principe fondamental;
  • Agroenvironnement et accès aux terres;
  • Financement et transfert;
  • Mise en marché, transformation et traçabilité;
  • Éducation, emploi, social et santé.

Voici les principales orientations de la relève agricole.


Un incitatif fiscal pour encourager la vente à la relève

Face à la hausse importante du prix des fermes, l’accès aux terres est un enjeu majeur pour les jeunes qui veulent s’établir. Hubert Steben-Chabot peut en témoigner, lui qui a cherché en vain une terre pour établir son entreprise maraîchère, le Potager des Koasseux. Il s’est plutôt tourné vers la location d’un lopin de terre à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec, pour cultiver les fruits et les légumes qu’il vend directement aux consommateurs. 

« À cause du prix rendu prohibitif des terres, il n’y avait aucune possibilité de rendre l’exploitation rentable, soutient le jeune producteur. En 2019, dans la région, le prix d’une terre variait de 15 000 $ à 20 000 $ l’hectare. Aujourd’hui, il est de 60 000 $ à 70 000 $ en raison de la spéculation foncière. »

Comme solution, la FRAQ suggère une modification fiscale afin d’inciter les agriculteurs actuels à vendre leurs terres à la jeune génération plutôt qu’aux plus offrants. Le mécanisme proposé se baserait sur l’impôt minimum de remplacement (IMR) existant, permettant à un vendeur de recevoir un remboursement de l’IMR en cas de vente à un jeune agriculteur. Parallèlement, un crédit d’impôt à l’investissement serait offert à l’acheteur pour réduire les coûts de transaction. 

Cette demande couvrirait entre 600 et 800 transferts de fermes au Québec, estime la FRAQ.

Flambée du prix des terres agricoles

Au Québec, la valeur des terres cultivées est en hausse constante depuis trois décennies. En 2022, la province a enregistré une augmentation de 11 % de la valeur moyenne des terres agricoles, selon le plus récent rapport de Financement agricole Canada. Prise sur 20 ans, la hausse est impressionnante, dépassant les 400 %. 

L’an dernier, c’est la région de Mauricie-Portneuf qui a enregistré la plus forte progression (19,2 %), contrastant avec l’augmentation de 5,3 % observée en 2021. Les terres le long de la rive nord du fleuve Saint-Laurent ont été particulièrement convoitées, ce qui a poussé les prix à la hausse.

D’autres régions, dont la valeur par acre est traditionnellement plus faible, ont également vu une augmentation significative de la demande. Les régions du Bas-Saint-Laurent–Gaspésie (18,3 %), de l’Outaouais (15,7 %), du Saguenay–Lac-Saint-Jean (14 %), et de Chaudière-Appalaches (13,5 %) ont toutes enregistré des hausses marquées. L’afflux d’acheteurs venant d’autres régions en quête de terres offrant un bon rapport qualité-prix expliquerait ces résultats.

Toutefois, l’Abitibi-Témiscamingue fait exception à cette tendance, avec des valeurs demeurées stables tout au long de l’année 2022. Dans cette région, la valeur par acre s’établit à 1 500 $. C’est en Montérégie où elle est la plus élevée, à 19 700 $, suivie de près par Laurentides-Lanaudière (18 300 $) et le Centre-du-Québec (11 800 $).


Renouvellement du programmes Territoires : protéger le potentiel agronomique

Le programme de soutien au drainage et au chaulage des terres, qui est arrivé à son terme en mars dernier, est également au cœur des préoccupations. La FRAQ demande son renouvellement pour cinq années supplémentaires, en conservant les municipalités actuellement admissibles. La finalité? Préserver le potentiel agronomique des terrains, notamment face aux coûts élevés du drainage et du chaulage. Une mesure dont le coût estimé est de 16 millions de dollars par année, soit l’enveloppe habituelle des années précédentes.

Revaloriser les terres laissées en friche

La FRAQ propose la mise en place d’un programme de subvention consacré à la revalorisation des terres en friche qui couvrirait les coûts liés au défrichage et à la plantation. Elle demande également que les propriétaires qui en seraient bénéficiaires aient l’obligation de maintenir leur terre en culture. L’instauration d’une taxe supplémentaire permettrait de les dissuader d’abandonner l’activité agricole. 

Pour les membres de la relève, chaque parcelle de terre en friche représente une occasion ratée de renforcer l’autonomie alimentaire du Québec. Cependant, il est difficile de chiffrer les superficies en abandon de culture au Québec. « Il n’existe pas de portrait global, seulement quelques relevés faits dans certaines régions, déplore Pier-Luc Hervieux. Il est certain que cela représente plusieurs centaines de milliers d’hectares qui pourraient être mis à la disposition de la relève. »

Pier-Luc Hervieux

Morcellement des terres : encadrer pour trouver un équilibre

Le morcellement des terres présente son lot d’avantages pour la relève agricole. L’achat d’une parcelle de terre peut faciliter le lancement de nouvelles entreprises et favorise la pluralité des modèles agricoles. Néanmoins, cette pratique a également des inconvénients. C’est pourquoi la FRAQ demande la mise en place d’un cadre pour mieux contrôler le morcellement. La relève veut avoir son mot à dire sur la question. Elle recommande notamment de limiter la valeur constructible sur un lot morcelé, d’éviter la multiplication des « maisons manoirs », et de contrôler strictement l’accès à la construction d’une résidence sur un lot, et pour un minimum
de 5 à 10 ans suivant le morcellement. Les membres suggèrent l’instauration d’un délai minimum avant d’autoriser la construction d’une résidence. Passé ce délai, si l’exploitation agricole prouve sa rentabilité, la construction d’une maison pourrait être approuvée. Cette demande résulte d’un sondage sur l’accès et le prix des terres agricoles réalisé auprès de ses membres en 2021.

Des revendications qui mènent à un gain : équité dans les transferts intergénérationnels

La FRAQ milite pour une égalité fiscale lors du transfert de fermes entre membres de la famille, similaire aux transferts effectués hors du cercle familial. Auparavant, la vente d’une entreprise ou d’une ferme à un membre de la famille était considérée comme un dividende et non comme un gain en capital. Cela était défavorable aux transferts familiaux. Le Québec a rectifié cette situation en 2016. Du côté d’Ottawa, la rectification a été faite récemment, soit en 2021.


De meilleurs outils de financement pour la relève

Des obstacles financiers empêchent trop souvent la réussite de la transmission ou le démarrage d’entreprises agricoles. Actuellement, la relève agricole est confrontée à un parcours du combattant pour obtenir les prêts nécessaires à leur installation. La multiplicité des prêts à contracter, avec des taux d’intérêt variés et des garanties parfois difficiles à fournir, constitue un véritable casse-tête pour ces jeunes entrepreneurs. La FRAQ demande donc à la Financière agricole du Québec (FADQ) d’adapter ses mesures financières aux réalités changeantes du monde agricole pour mieux assurer la relève.

Création de prêts à long terme 

Une revendication de longue date de la FRAQ : offrir des prêts à long terme d’une durée de 40 ans, avec un taux d’intérêt fixe et bas, faciliterait l’achat de terres ou le rachat d’entreprises agricoles aux jeunes ayant un plan d’affaires approuvé. « De cette façon, ce sera plus facile pour la relève de budgéter même si la terre ne produit pas rapidement au niveau attendu, explique Julie Bissonnette. Dans le contexte où le Québec perd cinq fermes par jour depuis 20 ans, il y a un réel besoin de réforme du financement agricole. »

Frédéric Turgeon-Savard

Fin de la distinction entre temps plein et temps partiel 

La FRAQ demande également que le Programme d’appui financier à la relève soit transformé. Elle souhaite notamment l’abolition de la distinction entre temps plein et temps partiel. Aujourd’hui, travailler à l’extérieur de la ferme est une réalité pour de nombreux jeunes qui ne tirent pas de revenus suffisants de leur exploitation agricole pour vivre. Ceux qui opèrent à temps partiel s’investissent totalement dans leur entreprise et devraient avoir droit à la même subvention que ceux qui sont à temps plein. Actuellement, les montants peuvent être majorés de 50 % selon le statut.

Reconnaissance des fermes de groupe

La FRAQ demande aussi que les fermes de groupe, un modèle de plus en plus en vogue, soient aussi admissibles à ce programme. « Pour y avoir droit, les propriétaires doivent détenir au moins 20 % des parts de l’entreprise. S’il y a plus de cinq actionnaires, ils n’ont donc pas accès à la subvention [qui varie de 20 000 $ à 50 000 $ selon le niveau de scolarité des demandeurs] », explique Frédéric Turgeon-Savard, de la Ferme La Roquette, une coopérative de travail de la région d’Argenteuil, dans les Laurentides, qui se spécialise dans la culture des fruits et des légumes biologiques. Il a cofondé l’entreprise avec quatre autres actionnaires, et ils se sont donc qualifiés pour obtenir la subvention. « Les jeunes sont plus nombreux qu’avant à choisir la formule coopérative. Le financement doit s’adapter à l’économie d’aujourd’hui », soutient-il. 

Augmentation des montants de subvention 

« Malgré la hausse des coûts pour s’établir en agriculture, les montants de subvention accordés n’ont pas été revus depuis 2013, explique Julie Bissonnette. Nous proposons que les montants soient doublés. » Il faut savoir que le taux d’endettement des fermes au Québec ne cesse d’augmenter. Il était de 29 % en 2019, un lourd poids financier et mental mis sur les épaules de jeunes entrepreneurs. L’endettement freine les investissements qui pourraient entraîner une meilleure productivité et une diversification des activités de manière à atteindre la rentabilité. La FRAQ souhaite également une extension du délai d’admissibilité à divers programmes comme Territoires et Rabais pour la relève.

Des obstacles financiers empêchent trop souvent la réussite de la transmission ou le démarrage d’entreprises agricoles. Actuellement, la relève agricole est confrontée à un parcours du combattant pour obtenir les prêts nécessaires à leur installation.

Des idées nouvelles

Face aux défis complexes, des solutions novatrices sont nécessaires. La FRAQ mise sur deux propositions majeures : un régime de retraite dédié aux agriculteurs et une loi contre la spéculation foncière. Découvrons-les.

Mettre fin à la spéculation foncière

La surenchère des terres agricoles met en péril la relève. Pour la FRAQ, cette inflation des prix compromet l’avenir des futurs agriculteurs. « C’est la rentabilité des exploitations qui est compromise, puisque les revenus ne peuvent plus compenser la valeur marchande des terres, explique Julie Bissonnette. Les marges diminuent tout le temps. Des études ont démontré que les producteurs doivent aujourd’hui investir au moins 6 $ pour tirer 1 $ de revenus. Dans d’autres domaines, le même investissement génère des revenus de 2 $ à 3 $. »

« Une partie du problème vient aussi d’acheteurs non-agriculteurs qui laissent leur terre en friche en attendant un dézonage pour les vendre à gros prix. Cela ne fait qu’alimenter la spéculation foncière », ajoute-t-elle.

Pour la FRAQ, il y a urgence d’agir et ses membres plaident pour une loi anti-spéculation sur les terres agricoles afin d’interdire l’achat de terres agricoles par des sociétés d’investissement et des promoteurs immobiliers. « C’est le garde-manger des Québécois qui est menacé, affirme Mme Bissonnette. De telles lois existent ailleurs, notamment dans l’Ouest canadien; on pourrait s’en inspirer. »

Rappelons que la zone agricole cultivable représente moins de 2 % du territoire québécois. Or, cette zone est constamment grugée par l’étalement urbain, les projets industriels et la construction d’infrastructures de transport. Selon l’UPA, 10 000 hectares de ces terres ont été reconvertis ces cinq dernières années.

Jean-Félix Morin-Nolet

Sécuriser l’avenir financier des producteurs

« Ma terre, c’est mon fonds de retraite. » Telle est la façon de penser d’un agriculteur sur deux au Québec, selon une étude de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Cela met de la pression sur le montant de la vente de la ferme, que ce soit pour une transmission familiale ou à des tiers. Pour accroître leur patrimoine, certains achètent des terres supplémentaires, rendant l’achat inaccessible financièrement pour la jeune génération. Pour briser ce modèle, la FRAQ propose un régime de retraite pour les entrepreneurs agricoles.

L’idée émane des membres de la Relève agricole de la Mauricie (RAM), approuvée lors du récent congrès de la FRAQ. « Cela ne fait pas de sens qu’un agriculteur s’appuie sur sa terre et ses quotas pour financer sa retraite, affirme Jean-Félix Morin-Nolet, président de la RAM et producteur laitier. La solution serait de mettre en place un régime de retraite agricole collectif en s’inspirant de ce qui existe ailleurs, notamment en France. »

En effet, les agriculteurs français bénéficient d’un régime de retraite spécifique, instauré en 1945 et élargi en 2003. Il est divisé en un régime de base et un régime complémentaire qui sont gérés par la Mutualité sociale agricole (MSA). Il diminue la dépendance à la propriété terrienne comme source principale de retraite.

« Le régime pourrait aussi être offert aux travailleurs agricoles, ce qui permettrait de rendre les emplois plus attrayants dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre », précise Jean-Félix Morin-Nolet. 

La FRAQ envisage des discussions avec l’UPA pour créer ce programme de cotisation adapté au contexte québécois, avec un possible incitatif fiscal pour son adoption.


Un ministre à l'écoute de la relève

Le 26 septembre dernier, la Fédération de la relève agricole du Québec a rencontré le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne. 

« La relève est une priorité pour moi. Nous avons échangé sur de nombreux enjeux tels l’attractivité de la profession d’agriculteur, la relève non issue du milieu agricole, les défis liés à la hausse des taux d’intérêt, l’accès à la terre. Je leur ai réitéré mon engagement et celle de toute l’équipe au ministère à poursuivre le travail de collaboration pour assurer le meilleur accompagnement à notre relève », a déclaré le ministre au terme de la rencontre.

Du côté de la FRAQ, on était aussi très heureux de cet entretien, puisque le ministre a proposé des rencontres plus fréquentes pour que les enjeux de la relève continuent d’être inclus dans les programmes et la politique bioalimentaire du Québec. L’ensemble des personnes présentes se sont entendues pour maintenir une bonne courroie de discussion.


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