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Les producteurs agricoles sont de plus en plus nombreux à se servir des téléphones intelligents pour communiquer, on s’en doute bien, mais aussi pour améliorer la productivité de leur ferme. Comment optimiser cette technologie? Est-elle employée par tous les producteurs? L’UtiliTerre a tenté d’approfondir ce sujet complexe dans un dossier complet.
Contrôler sa bouilloire, les pieds dans le sable
À Saint-Boniface, René Gélinas n’est jamais très loin de son téléphone et de sa tablette intelligente. Le producteur « high tech » de 46 ans n’ose même pas imaginer comment il pourrait gérer sa ferme sans ces appareils qu’il a appris à maîtriser au fil des ans. C’est à l’hiver 2011 qu’il a constaté à quel point son iPhone était devenu son meilleur ami. Il profitait alors de vacances pleinement méritées en Guadeloupe. La vie était belle, le soleil, lumineux.
« J’ai vérifié, avec mon téléphone, si tout se passait bien à Saint-Boniface et j’ai découvert que la bouilloire était en panne. Il y avait une alarme, et la température de l’eau commençait à chuter sous les 130° », raconte-t-il.
Il a été en mesure de redémarrer la bouilloire… à distance. Une heure plus tard, tout était rentré dans l’ordre. Même sous le soleil, on peut deviner que René Gélinas en a été quitte pour des sueurs froides.
L’éleveur de volailles n’est pas pour autant un crack de l’informatique. Il s’en remet à son conseiller et ami Patrick Dallaire. « C’est un spécialiste des nouvelles technologies qui me conseille et qui arrime mes systèmes informatiques », dit-il.
Le bureau de M. Gélinas ressemble en quelque sorte à une mini-centrale de surveillance assistée par ordinateur. Ses installations sont toutes reliées. Une trentaine d’alarmes ont été programmées sur son iPhone, que ce soit pour détecter les mouvements dans les poulaillers, pour vérifier la température de l’eau dans la grosse bouilloire qui chauffe les bâtiments et sa maison ou pour éviter que ne se déclare un incendie.
René Gélinas passe des heures à naviguer sur les différents sites Web pour acheter des équipements à bon prix. « Je suis allé sur Internet pour acheter mes tuyaux pour l’eau chaude. Les tuyaux étaient fabriqués au Danemark. C’est un distributeur québécois qui me les a livrés », dit-il. Il a également trouvé des mangeoires à poulet en pitonnant sur son ordinateur. Cette fois, le fabricant se trouvait en… Italie. « Il n’y a plus de limites géographiques! » s’étonne-t-il à peine.
Démocratisation des technologies
Dans la salle de montre d’Équipements Laguë, Bruno Bouchard en voit défiler de plus en plus, des agriculteurs de la trempe de René Gélinas. Il attribue cela à la « démocratisation des nouvelles technologies intelligentes » dans le secteur agricole, tout particulièrement. « On voit un nombre grandissant de producteurs accros. Ils n’utilisent plus leur iPhone uniquement pour téléphoner et surveiller la météo! » fait-il remarquer.
Les acheteurs de tracteurs et de moissonneuses-batteuses, par exemple, sont de plus en plus informés… et branchés. « On leur propose un modèle d’application – JD Link – qui leur permet d’aller chercher de l’information pointue. Ils peuvent savoir si leur tracteur a des ennuis mécaniques et, si oui, pourquoi. Ça les informe si le niveau de carburant est anormalement bas, si la pression d’huile est trop élevée, etc. Tout cela peut se faire à partir du téléphone intelligent », dit Bruno Bouchard.
En outre, le site Web du fabricant John Deere permet aux propriétaires de tracteurs de commander à distance des pièces d’équipement. « Ça peut sembler irréel, mais le client commandera sa pièce la nuit et il passera à l’atelier le lendemain matin! »
Il convient que tout va très vite. « Nos clients nous envoient maintenant des textos avec la photo de leur tracteur pour nous montrer ce qui ne va pas avec leur machine », raconte-t-il, amusé.
Une tendance révélatrice
Un fait demeure : les agriculteurs sont loin d’être « dans le champ » en ce qui concerne l’utilisation d’outils technologiques pour communiquer ou faire des affaires, si on en croit les résultats d’un sondage réalisé l’an dernier par Financement agricole Canada (FAC) auprès de 4 121 agriculteurs.
Selon le coup de sonde, 81 % des producteurs agricoles possèdent un téléphone cellulaire et 29 %, un téléphone intelligent, tandis que 6 % sont les heureux propriétaires d’une tablette intelligente. En outre, plus de la moitié (53 %) des producteurs canadiens utilisateurs du téléphone intelligent affirmaient avoir l’intention d’acquérir une tablette intelligente au cours des deux prochaines années.
Les producteurs soulevaient également l’importance de pouvoir bénéficier d’une « liaison Web stable » – une connexion à haute vitesse – pour bénéficier de la technologie de pointe.
Comme l’a fait remarquer FAC, les nouveaux appareils peuvent transformer les véhicules ou les machines agricoles en « bureaux mobiles ». Le producteur peut ainsi passer ses commandes, commercialiser des produits et vérifier, par exemple, la météo, les taux d’intérêt et les marchés des grains.
Les téléphones intelligents, est-ce pour tous?
Il ne faut pas perdre de vue qu’une forte proportion d’agriculteurs québécois n’a pas encore attrapé la fièvre du téléphone intelligent. « Il y a de l’intérêt pour ces appareils, c’est indéniable, mais pas au point de parler d’un véritable engouement », observe André Thiffault, directeur des ventes et de la distribution chez Sogetel Mobilité, qui compte 7 000 abonnés à la téléphonie cellulaire en Beauce, en Mauricie et dans le Centre-du-Québec.
« Quand ils passent la porte de nos bureaux, ils savent ce qu’ils recherchent : un téléphone cellulaire robuste qu’ils pourront manipuler sans avoir peur qu’il se brise, constate André Thiffault. Ils ne veulent pas avoir peur d’échapper leur cellulaire dans la boue, c’est aussi simple que cela! »Il ajoute : « On réalise environ 10 % de nos ventes avec les appareils intelligents. C’est encore peu. » À vrai dire, d’après ce qu’il voit et entend, les agriculteurs qui sont ses clients seraient encore hésitants à s’aventurer sur la route technologique. Il croit même que plusieurs n’en voient pas l’utilité dans l’immédiat et désirent simplement un téléphone fiable et robuste.
L’analyse sommaire du directeur des ventes de Sogetel rejoint en partie celle d’un spécialiste de la question. Écoutons à ce propos Luc Gendron : « Les producteurs exploitent à moins de 5 % de sa capacité le téléphone intelligent, et ça s’explique facilement. Il est difficile de maîtriser parfaitement cette nouvelle technologie. Même les plus habiles, même les experts, s’y perdent fréquemment. »
Il préconise une utilisation judicieuse du téléphone intelligent, un appareil qui peut faire gagner du temps aux producteurs mais à la condition, dit-il, de ne pas se laisser séduire par les gadgets et des applications souvent inutiles. De plus, il met en garde les producteurs : « Ce n’est pas nécessairement rentable de passer du temps sur les réseaux sociaux. »
Faut-il voir les téléphones intelligents comme la solution de l’avenir? Les agriculteurs qui refusent de suivre la voie du « high tech » se retrouveront-ils sur la voie d’évitement? « On a accès à des quantités phénoménales d’information. Mais ce qui m’intéresse, c’est la rentabilité qu’un producteur peut espérer atteindre avec l’utilisation d’Internet. La question n’est pas de savoir si on doit être branché mais plutôt de savoir se servir de cette technologie de façon intelligente », conclut Luc Gendron.