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La prise de décisions n’est pas toujours facile entre les propriétaires d’une ferme, et si les finances de l’entreprise deviennent précaires, la discorde et les tensions peuvent grimper, rendant le tout ingérable, jusqu’à la scission du pouvoir. Une telle situation peut par contre être amoindrie par une bonne convention d’actionnaires. Sauf que de nombreux agriculteurs n’ont jamais établi une telle convention, en se disant qu’ils possèdent la ferme avec une personne de confiance, soit leur conjointe, leurs frères ou leurs parents.
À Oka, dans les Laurentides, Louis Vaillancourt raconte qu’être copropriétaire à 50 % de sa ferme, Les Jardins de la Pinède, avec son ex-conjointe se révèle une expérience des plus difficiles aujourd’hui, surtout que l’entreprise se dirige vers la faillite. Il accepte d’en parler à La Terre, en espérant que sa situation aidera d’autres agriculteurs.
Quand la ferme n’a plus été en mesure de supporter sa dette totalisant 5,5 M$, les créanciers ont demandé un plan de redressement aux deux propriétaires. « Mon plan de redressement était le contraire du sien. Moi, je visais une réduction des dépenses et elle visait une augmentation des revenus. On ne parvenait pas à s’entendre. C’est le problème quand tu es à 50-50… Ensuite, elle m’a exclu de la gestion en obtenant avec son avocat une ordonnance de sauvegarde. » Sans entrer dans les détails de leur vie privée, précisons seulement que l’ordonnance de sauvegarde, qu’a signée M. Vaillancourt, est une décision rendue par un juge de manière temporaire afin de régler une question ou une situation urgente qui ne peut attendre un procès.
Louis Vaillancourt conclut cependant qu’être partenaire à 50 % dans une entreprise est risqué et que l’être avec un conjoint l’est encore plus. « Ceux qui pensent que rénover une maison, c’est dur sur un couple, être copropriétaire d’une ferme qui vient d’emprunter 4 M$, c’est 1 000 fois pire. Et je suis très conservateur en disant 1 000 fois pire. »
Le partage du pouvoir décisionnel
D’entrée de jeu, le fiscaliste Stéphane Magnan ne recommande pas un partage des décisions à 50-50 entre deux copropriétaires. « Souvent, ça ne vire pas bien et les banques haïssent ça. Elles ne veulent pas que leur prêt soit pris dans une chicane. » Il insiste sur l’importance de différencier la notion du partage des profits et du partage des décisions.
D’où l’importance d’une convention d’actionnaires qui précise tous ces détails, car les lois ne se mêlent pas de la régie interne d’une entreprise, souligne M. Magnan. « Les gens sont souvent surpris que la loi ne prévoie rien. Par exemple, si un propriétaire meurt, l’autre pense qu’il pourra automatiquement acheter la part [du défunt], mais non. Si rien n’a été décidé dans une convention, la part de l’associé s’en va plutôt à ses héritiers », donne-t-il en exemple.
Dans une situation de conflit entre propriétaires et que chacun veut racheter l’autre, il conseille de préciser, dans la convention, le mécanisme d’achat ou de vente. « La vente aux enchères est moins violente que le shotgun. […] Chacun des actionnaires apporte une enveloppe avec le prix qu’il est prêt à miser pour acheter les parts de l’autre. L’offre la plus élevée remporte », indique M. Magnan. Une convention peut également prévoir que si l’un des actionnaires est reconnu coupable de fraude, l’autre peut acheter ses parts pour 1 $. Ou si l’un veut demeurer propriétaire, mais qu’il ne désire plus travailler à la ferme, la convention peut prévoir qu’il doit vendre ses parts obligatoirement à l’autre, etc.
Avant les problèmes
Au Bas-Saint-Laurent, l’agriculteur Simon Michaud, de la Ferme Régika, estime que tous les propriétaires de la ferme sont gagnants avec une bonne convention d’actionnaires. « Il s’agit de bien s’entourer et de prendre le temps de le faire. Il ne faut pas attendre, car une fois que ça va mal, c’est trop tard; chacun tire la couverture. Ici, on n’en a jamais eu besoin, mais avec la convention, tout le monde sait ce qui va arriver [si quelqu’un meurt ou quitte l’entreprise, etc.]. »
Par exemple, si Simon était mort dans les cinq premières années suivant sa participation dans la ferme, une partie de ses parts aurait été léguée à ses parents et une autre partie à sa conjointe. Après 10 ans, toutes ses parts iront à sa conjointe. Dans les 10 premières années, si sa conjointe avait décidé de quitter l’entreprise, un plafond a été fixé quant au remboursement de ses actifs et une portion de ce remboursement est prévu pour être échelonné dans le temps. Il est prévu que Simon et sa conjointe Mylène établiront une nouvelle convention, du même genre, avec leurs enfants quand ceux-ci prendront la relève dans quelques années.
Une convention ne vaut rien si…
Le fiscaliste Stéphane Magnan stipule qu’une convention ne vaut rien si elle ne précise pas la valeur de l’entreprise. « Tous les ans, on s’assoit avec nos clients, pour établir un chiffre, une valeur à l’entreprise, qu’on leur fait signer religieusement », affirme-t-il.
L’autre élément clé est de simuler la convention. « Le gros problème avec les conventions d’actionnaires est que bien souvent, les gens ne la font pas vivre. Si ton associé meurt, c’est prévu que tu puisses racheter sa part, mais oups, tu n’as pas les liquidités ou la compagnie n’a pas les liquidités pour acheter sa part de 2 M$. Tu fais quoi? Les gens réalisent qu’ils devraient alors peut-être prendre une assurance-vie sur la tête de leur partenaire d’affaires ou de convenir qu’advenant sa mort, ses héritiers seront payés sur 10 ans », explique celui qui dirige le bureau de comptable Stéphane Magnan CPA, à Saint-Hyacinthe.