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En juillet dernier, le fabricant de biochar québécois Airex Énergie et ses partenaires ont annoncé la construction, à Port-Cartier, de ce qui sera la plus grande usine de biochar en Amérique du Nord. Selon quelques spécialistes interrogés, au moins quatre autres usines d’importance et toujours confidentielles verront le jour dans les prochaines années, s’ajoutant aux quelques producteurs actuels. « Ça fait 20 ans que je suis dans le domaine.Depuis deux ans, c’est vraiment exponentiel. Avant, on me prenait pour une martienne! » lance Suzanne Allaire, sommité en matière de biochar, et copropriétaire de la firme Geca Environnement, qui accompagne des entreprises et laboratoires dans la mise sur pied de leur projet. « Il y aura des usines dans toutes les régions du Québec. »
Le biochar – pour biomasse et charbon – est cet amendement pour le sol qu’on obtient par la pyrolyse, un chauffage à haute température sans oxygène. Ses particules, remplies d’alvéoles, s’apparentent à une éponge rigide. « C’est un condo cinq étoiles pour les micro-
organismes », résume le producteur Jean-François Lévêque, des Jardins de l’écoumène, qui a contribué à la recherche sur le sujet. Il s’agit à la fois d’un habitat pour les nutriments, mais également pour l’eau, ce qui lui confère des propriétés prisées.
En 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a classé le biochar dans les technologies d’« émissions négatives », qu’il juge indispensables pour retirer du CO2 de l’atmosphère. Utilisé dans plusieurs endroits du monde, sa pertinence et son incidence notable en agriculture ne font plus débat. « Il y a des centaines d’études et de thèses de doctorat sur le sujet », rapporte Suzanne Allaire.
Pourtant, rares sont les agriculteurs du Québec qui l’utilisent ou l’ont même essayé. Selon Suzanne Allaire, c’est notamment dû au fait qu’il soit encore peu connu, même des agronomes.
Parmi eux, le producteur maraîcher bio François Tremblay, des Jardins de Sophie, à Saint-Fulgence, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’a testé en 2022, notamment sur du céleri-rave. « Nous avions eu un printemps vraiment pluvieux. Et sur les plants sans biochar, le feuillage était jauni, versus un beau vert éclatant pour celui qui en avait. » Cela l’a convaincu, et cette année, il en a étendu à la grandeur de son jardin.
Le prix, un frein
Même pour les plus motivés, il existe toutefois un frein bien réel pour les agriculteurs : le prix. « Ça peut aller de 150 $ à 3 000 $ la tonne et on recommande selon le cas d’étendre entre 5 et 20 tonnes à l’hectare », explique Selmene Ouertani, chercheur chez Biopterre, un centre de développement des bioproduits. « C’est le principal obstacle », ajoute-t-il.
À l’heure actuelle, ce sont certains marchés précis, où les volumes de terres cultivées sont moins imposants, qui se développent, comme les productions en serres, horticole et maraîchère.
Des solutions poignent toutefois à l’horizon, grâce à la vente de crédit sur marché du carbone.
De plus, avec toutes les usines en construction, le coût du biochar est, selon plusieurs spécialistes, appelé à baisser significativement. « Ça va commencer dans deux ans environ, après leur entrée sur le marché », estime Suzanne Allaire. Est-ce à dire qu’il vaut mieux attendre avant de se procurer du biochar? « Les producteurs agricoles aux prises avec des sols compactés ou trop secs et autres problèmes du genre n’ont aucun avantage à attendre », insiste-t-elle.
Une aide des coopératives?
André Benoit, vice-président au développement de BioChar Boréalis, souligne qu’aller vendre des crédits carbone s’avère compliqué pour un producteur agricole, mais il voit une solution, amenée aussi par d’autres intervenants.
« Les coopératives agricoles pourraient acheter le biochar, aller vendre des crédits et baisser le prix pour les agriculteurs », suggère-t-il. Selon Suzanne Allaire, cette vente peut rapporter jusqu’à 600 $ la tonne. « C’est quand même beaucoup d’argent », fait-elle remarquer.
Les ambitions internationales d’Airex
Avec l’usine de Port-Cartier, Airex Énergie et ses partenaires comptent entrer sur le marché du biochar agricole dès l’automne 2024, avec une production de 10 000 tonnes, pour ensuite atteindre une vitesse de croisière de 30 000 tonnes de biochar annuellement. Elle vise également à construire d’autres usines à l’international, notamment en Europe, avec deux premières usines dans la région parisienne. L’objectif est de produire 350 000 tonnes de biochar par année d’ici 2035.
Une vitrine technologique
BioChar Boréalis est une organisation sans but lucratif qui a pour mission de développer l’industrie du biochar afin de valoriser la biomasse forestière. Dans sa vitrine technologique de Mashteuiatsh, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, on trouve deux pyrolyseurs servant à la recherche. Avec son partenaire scientifique Agrinova, ces dernières années, elle estime avoir travaillé avec 70 organisations et mené des tests sur une trentaine de produits en développement, destinés au secteur agricole.