Pommes de terre 8 septembre 2023

Un projet de sauvegarde de la patate bleue de la Minganie

RIVIÈRE-SAINT-JEAN – Des citoyens de la Minganie se mobilisent pour assurer la sauvegarde d’une patate bleue qu’ils cultivent de génération en génération, selon une méthode bien particulière. Un espace ­derrière la future coopérative du village de Rivière-Saint-Jean leur permettra de la cultiver pour la faire connaître et en assurer la pérennité.

Ce projet de culture entrait tout à fait dans la mission de la nouvelle coopérative. Le magasin d’alimentation, qui devrait être opérationnel à l’automne, vise à assurer la souveraineté alimentaire des citoyens de ce village et de celui de Longue-Pointe-de-Mingan, qui doivent faire plusieurs dizaines de kilomètres pour s’approvisionner, explique Alex Beaudin, président du conseil d’administration de la coopérative.

On projette d’ouvrir un casse-croûte du terroir, avec au menu des champignons sauvages, de la bannique au canard, et des patates bleues de la Minganie, entre autres. Quand on a acheté le terrain où sera érigée la coop, on s’est rendu compte qu’on avait un grand espace cultivable, où il y a déjà eu des chevaux. On a donc décidé d’y cultiver la patate bleue pour la servir au casse-croûte et la faire connaître aux touristes.

Alex Beaudin

Les résidents de la Minganie et d’ailleurs sur la Côte-Nord cultivent cette pomme de terre à pelure bleu-mauve et à chair blanche veinée de rouge selon une méthode bien particulière qu’ils perpétuent depuis au moins la fin du 19e siècle.

« On raconte que ce serait un curé qui l’aurait apportée à Pointe-aux-Esquimaux, aujourd’hui appelé Havre-Saint-Pierre », mentionne Alex Beaudin. Selon la tradition, la patate bleue est déposée dans une tranchée creusée dans le sol sableux, parfois même directement sur la plage, sur un lit de poissons morts, souvent des capelans, ces poissons qui roulent sur le sable chaque mois de mai. Après la récolte, un compost d’algues est étendu sur les planches de patates, puis enfoui au ­printemps, ce qui évite le ruissellement pendant l’hiver et enrichit le sol.

« On s’est cotisé pour apporter des semences [de chacune de nos familles] et puisqu’on n’a aucune machinerie par ici, tout le monde est venu avec sa pelle et son râteau. Les patates qu’on a plantées cette année sont destinées à la multiplication. On espère pouvoir en servir au casse-croûte dès l’année prochaine », dit M. Beaudin, qui ajoute qu’un bout de terrain sera également consacré à la préservation d’une talle d’airelles vigne-d’Ida, une plante menacée par l’érosion et le passage des véhicules tout-terrains dans les tourbières où elle pousse naturellement, aux abords du village.

Les données scientifiques concernant cette variété de pommes de terre semblent rares, ou même inexistantes. Même si le Consortium de recherche sur la pomme de terre du Québec, situé sur la Côte-Nord, n’a jamais fait d’étude à son sujet, Christine Neass, chercheuse à la retraite, connaît bien cette fameuse patate bleue de la Minganie.

« On en avait reçu du village d’Aguanish, et on trouvait que ça ressemblait à la Purple Chief. Malheureusement, l’apparence fait toute la différence, et ses yeux trop ­profonds et les veines rouges de sa chair sont ­considérés comme des défauts pour la commercialisation », ­dit-elle.