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Impacts économiques, agronomiques et psychologiques des faibles précipitations des derniers mois sur les agriculteurs et agricultrices d’Abitibi-Ouest et leurs entreprises
Pour nous, agriculteurs et agricultrices, les derniers mois se sont résumés à tenter de protéger nos fermes, nos terres et nos animaux contre les feux de forêt et la mauvaise qualité de l’air qui ont sévi sur notre territoire. Des mesures et des coûts extraordinaires ont dû être déployés pour l’alimentation et les déplacements de nos animaux, autant lors des évacuations que lors de la réintégration à la ferme, une fois la menace écartée.
Cette situation d’urgence a cependant occulté une autre menace pour nos fermes, dont les conséquences désastreuses se ressentent encore aujourd’hui. Plus insidieuse, moins sensationnaliste que les forts brasiers, encouragée par le temps chaud et les faibles précipitations, la sécheresseest d’une rare intensité, cette année, en Abitibi-Ouest. Nombreux sont les agriculteurs et les agricultrices qui n’ont jamais vécu cette réalité d’une façon aussi aiguë. Bien installée dans les champs et les parcelles cultivées, elle participe à accentuer les risques d’inflammabilité, à dégrader la résilience des agroécosystèmes, à diminuer la productivité et la qualité de nos cultures fourragères, céréalières et maraîchères. Elle hypothèque les revenus de nos entreprises agricoles et provoque des conséquences importantes sur notre qualité de vie et notre santé psychologique. La sécheresse des sols cause beaucoup plus de dommages à nos fermes que les incendies ont pu en occasionner.
Malheureusement, les quelques millimètres de pluie tombés au cours des derniers jours ne nous permettront pas d’atténuer les conséquences provoquées par la sécheresse.
État critique de nos cultures
Une des conséquences majeures de la sécheresse s’observe au niveau des rendements de production extrêmement bas, voire catastrophiques dans certains de nos champs et de nos parcelles.
Cultures fourragères
Déjà affectées par les gels hivernaux, nos cultures fourragères ont démarré leur saison de croissance avec un taux de mortalité très élevé, nous obligeant à ensemencer de nouveau les champs. De plus, le manque d’eau en post-germination a provoqué un faible taux de survie des nouvelles cultures. Cette double conjoncture nous occasionne des coûts supplémentaires, ce qui accentue nos pertes financières.
Habituellement, en Abitibi-Ouest, nous pouvons effectuer de trois à quatre rotations de paissance pour les ruminants. À ce jour, la deuxième rotation est presque impossible, considérant la très faible repousse. Nous sommes dans l’obligation (1) de compenser par une alimentation à base de foin sec directement au pâturage, (2) d’utiliser nos réserves et (3) de nous procurer du foin provenant de l’extérieur de la région. Le prix de ce foin d’urgence fluctue de 40 $ à 100 $ la balle ronde, selon les distances d’approvisionnement. À ce prix, certains d’entre nous seront contraints de vendre une partie de leur cheptel, n’ayant plus les moyens de nourrir leur troupeau.
Cultures céréalières
Conséquence de la sécheresse, nos productions céréalières témoignent d’une faible croissance qui affectera le rendement à la récolte et inévitablement, nos revenus à la vente. Aussi, la rareté de la paille disponible, utilisée comme litière hivernale pour les animaux, nous occasionnera des dépenses supplémentaires pour assurer le bien-être animal durant toute la saison froide.
Cultures maraîchères
Nos fermes maraîchères sont également victimes des aléas climatiques. Le manque d’eau affecte nos cultures même lorsque nous misons sur l’irrigation pour compenser la sécheresse de nos sols. Nous observons une baisse importante de nos rendements de fruits et de légumes, fragilisant la sécurité financière de nos fermes et la pérennité de nos projets.
L’importance des cultures fourragères d’excellente qualité pour une ferme
Les cultures fourragères – foin sec, ensilage et pâturage – sont les principales sources de protéines, de fibres et de minéraux dans l’alimentation du bétail. La qualité des nutriments est directement liée à l’état de santé et au bien-être des animaux. C’est pourquoi la production de fourrages à la ferme est à la base de la viabilité de nos entreprises. L’autoproduction nous permet de contrôler la qualité et de réduire les coûts engendrés par l’achat de suppléments – souvent sous forme de moulée – lorsque le foin est de mauvaise qualité. L’obtention d’une production à haut rendement et d’excellente qualité dans nos entreprises agricoles est une préoccupation quotidienne de tous les signataires de cette lettre.
Le stress des agriculteurs et des agricultrices face aux aléas du climat
Nous, agriculteurs et agricultrices, sommes les premiers baromètres de l’état de situation du terrain. Nous devons gérer les stress climatiques et leurs impacts sur nos agroécosystèmes. Tous les jours nous sommes envahis d’insécurités.
• Est-ce que la quantité de foin sera suffisante pour les besoins de mon troupeau? Est-ce qu’il sera de bonne qualité?
• Est-ce qu’il va rester suffisamment de foin dans le marché régional ou vais-je devoir en acheter à l’extérieur de la région et débourser des frais supplémentaires écrasants?
• Est-ce que le foin de l’extérieur sera de bonne qualité? Un agriculteur nous a confié qu’il avait reçu du foin moisi…
• Est-ce que je vais devoir vendre une partie de mon troupeau pour assurer la survie économique de mon entreprise?
• Est-ce que les programmes de La Financière agricole du Québecseront à la hauteur des pertes occasionnées?
• Est-ce que la qualité de la viande de mes bovins sera affectée par du foin de l’extérieur dont je ne connais pas la qualité?
• Est-ce que la production de lait de mes animaux sera impactée par tous ces stress?
• Est-ce que le rendement de ma production maraîchère sera suffisant pour répondre aux réservations de mes paniers de fruits et légumes?
• Est-ce que je vais survivre financièrement comme petite ferme n’ayant pas souscris à La Financière agricole du Québec?
Tous les jours nous subissons les aléas du climat. Les réalités climatiques sont souvent différentes dans une même région. Les conditions de production ne sont donc jamais les mêmes. Nous sommes des observateurs assidus des données environnementales afin d’assurer une production optimisée.
Dans un quotidien imprévisible, nous cherchons le moindre indice pour prendre les meilleures décisions possibles. Nous nous informons. Nous nous comparons. Nous nous partageons nos insécurités et nos inquiétudes. Nous sommes en constante analyse des impacts et des difficultés qui touchent nos vies et nos entreprises agricoles.
Tous les jours nous sommes préoccupés : la survie de nos fermes est menacée!
Une situation intenable aux répercussions socio-économiques sans précédent
Nous, agriculteurs et agricultrices, désirons développer des entreprises agricoles et agroalimentaires remarquées et prospères. C’est l’addition de nos réussites qui forge un écosystème agroalimentaire de produits régionaux de qualité.
Cependant, cette période de précarité causée par la sécheresse des derniers mois provoque un retard dans nos objectifs entrepreneuriaux et mine notre confiance en la viabilité de nos entreprises. C’est la qualité de vie de nos familles qui s’effrite et notre moral qui est mis à rude épreuve. Ce sont nos revenus qui disparaissent et nos dettes qui s’accumulent, jusqu’à nous empêcher parfois de respecter nos engagements : les paies de nos employés, nos prêts, nos contrats, etc. Notre précarité financière teinte nos relations d’affaires, lesquelles deviennent parfois plus tendues.
Présentement, la très grande majorité des entreprises agricoles d’Abitibi-Ouest est affectées par la sécheresse : fermes bovines, fermes laitières, fermes maraîchères, sans oublier toutes les petites fermesprésentes sur le territoire. Nous sommes plus de 75 entreprises agricoles signataires de cette lettre.Une représentation sans précédent pour une MRC qui compte plus de 20 000 citoyens. Les impacts sont d’autant plus importants qu’une grande part de l’économie productive d’Abitibi-Ouest provient de l’industrie agricole et agroalimentaire.
Au-delà de nos inquiétudes et de nos frustrations, c’est la vitalité de notre territoire qui en souffre. C’est pourquoi, nous, agriculteurs et agricultrices d’Abitibi-Ouest, désirons témoigner de cette situation intenable aux répercussions collectives.
Éric Lafontaine, Ferme Lafontaine-Noël
Alexandre Bégin, Fermes Bégin et Ferme Le Cheptel des Frères Bégin Inc.
Mathieu Dumont, Ferme Mathieu Dumont
Maxime Fontaine, Ferme Despics
Initiateurs